Le Monde - 14.11.2019

(Tina Meador) #1
J’AVAIS 20 ANS

« APOLLO 11


AVAIT ALLUMÉ


UNE ÉTINCELLE


EN MOI »


CLAUDIE HAIGNERÉ


L’astronaute raconte l’improbable


trajectoire qui l’a menée à devenir


la première femme européenne


à partir en mission dans l’espace


imaginiez­vous un tel changement
de trajectoire?
J’ai eu le bac à 15 ans. A 20 ans, je finissais mes
études de médecine générale et m’apprêtais à
me spécialiser en rhumatologie. Je ne pensais
pas du tout à l’espace. Très sportive, mon pre­
mier projet était de devenir professeure d’éduca­
tion physique. La gymnaste roumaine Nadia
Comaneci, médaillée d’or à 14 ans aux JO de
1976, était mon modèle. Mais la pratique spor­
tive intensive des jeunes filles posait problème

physiologiquement, et je devais patienter une
année. A 16 ans, j’ai décroché le concours de
médecine du premier coup, terminant même
major de ma promo. J’ai poursuivi dans cette
voie et je ne le regrette pas. L’impact du sport
intensif sur la croissance a d’ailleurs été mon
sujet de thèse de médecine générale, en 1980.

On vous a surnommée « bac + 19 »... Etre sur­
douée, n’est­ce pas une forme de handicap?
J’étais plus douée que surdouée, et surtout
très travailleuse. Je suis née au Creusot (Saône­
et­Loire), une ville ouvrière. Mon grand­père
était mineur, mon père est devenu ingénieur
chez Creusot­Loire [une entreprise de sidérur­
gie] par sa seule volonté, sans en avoir le titre.
Collégienne, je passais mes week­ends avec le
Gaffiot [dictionnaire latin­français] à la main. Je
récitais les Commentaires sur la guerre des Gau­
les [un ouvrage d’histoire écrit par Jules César]
en latin. J’étais la bosseuse de la famille.

Comment le sport et la médecine
vous mènent­ils à l’exploration spatiale?
En 1977, quand je suis « montée » à Paris pour
poursuivre mes études en rhumatologie, j’ai
passé un certificat spécialisé en médecine aéro­
nautique et spatiale. Et puis, en 1985, j’apprends
que le CNES [Centre national d’études spatiales]

lance un appel pour recruter des candidats as­
tronautes. Je viens juste de terminer mes études,
je suis rhumatologue. C’est une période­clé, celle
où on se dit : « Je vais faire quoi maintenant? »
Cette annonce résonne avec quelque chose en
moi. La mission Apollo 11, qui a mené l’homme
sur la Lune en 1969 – j’avais 12 ans –, avait bien
allumé une étincelle en moi. J’ai postulé. Je dis
toujours aux jeunes qui viennent me voir : « Ne
laissez personne choisir pour vous, vous fixer vos
limites. Il faut avoir l’audace de saisir les opportu­
nités. L’échec fait partie de la réussite, au final. »

Etre une femme a­t­il été un handicap
pour obtenir votre ticket pour l’espace?
Je n’avais rien à perdre. J’aurais surtout regretté
de ne pas avoir tenté. Après six mois de sélection
parmi quelque 1 000 candidats, dont 100 candi­
dates, et pour sept postes à pourvoir, je serai la
seule femme retenue. En fait, j’avais, en tant que
femme, plus de chances d’être sélectionnée... J’ai
passé un DEA et une thèse en neurosciences.
Puis dix ans d’entraînement, dont neuf à la Cité
des étoiles, en Russie, où je rencontrerai mon
mari, Jean­Pierre Haigneré, spationaute. Quant
au fait d’être une femme, cela ne m’a posé ni
question ni problème. A 20 ans, j’étais portée par
un air du temps favorable, pas contraignant, les
portes étaient pratiquement toutes ouvertes, et
nul ne m’a empêchée de les pousser. Ce n’est pas
toujours facile pour toutes aujourd’hui, avec en­
core beaucoup de clichés et de « pesanteur ».

Vous disiez que l’homme sur la Lune
fut un élément déclencheur...
Je ne peux pas dire que c’est là que j’ai décidé
d’être astronaute, mais c’est sûrement ce qui m’a

Dates-clés
13 mai 1957 Naissance au
Creusot (Saône-et-Loire)

1985 Entrée au Centre
national d’études spatiales
pour devenir astronaute

1996 Mission franco-russe
dans la station Mir

2001 Mission à bord
de la Station spatiale
internationale (ISS)

2015 Ambassadrice
de l’Agence spatiale
européenne

2019 Présidente du Comité
d’éthique pour les données
d’éducation

Claudie Haigneré.
©ESA–P. SEBIROT

« J’ÉTAIS PORTÉE PAR UN AIR
DU TEMPS FAVORABLE,
PAS CONTRAIGNANT, LES PORTES
ÉTAIENT PRATIQUEMENT
TOUTES OUVERTES »

C


laudie Haigneré, 62 ans, est
aujourd’hui ambassadrice de
l’Agence spatiale européenne. Elle a
pris, le 21 octobre, la présidence du
Comité d’éthique pour les données
d’éducation, pierre angulaire de la gouvernance
que veut mettre en œuvre le gouvernement en
matière de données numériques.

Après le lycée, vous avez choisi des études
de médecine, loin de l’espace. A 20 ans,

permis de sortir de l’enfance. C’était un an après
Mai 68. Cette époque portait un désir d’explorer,
de réinventer le monde, un souffle que nous
avons un peu perdu, me semble­t­il. On entrait
dans l’âge des possibles, grâce à la science et la
technologie. Ce jour­là, dans ma tête d’enfant,
quelque chose de l’ordre du rêve était devenu
réalité. Je me suis mise à beaucoup lire sur le
sujet. Je suis passée de Jules Verne, que je lisais
petite, à la science­fiction : Barjavel, Asimov, Tol­
kien... Le cinéma, aussi, avec 2001, L’Odyssée de
l’espace, de Stanley Kubrick. Un film fascinant,
avec ce personnage d’ordinateur, HAL 9000, qui
prend le contrôle du vaisseau et de ses passa­
gers, prémonition de l’intelligence artificielle...

Avoir vingt ans, c’est aussi faire la fête,
profiter de la vie... Vous, vous étiez déjà
militante politique, pourquoi?
J’écoutais Nougaro, Brel, Barbara, Elton John,
les Bee Gees, Françoise Hardy... Je me souviens
de virées en voiture à toit et à tombeau ouverts.
Ces années­là, à la fac de médecine, j’ai aussi sou­
tenu la candidature de Valéry Giscard d’Estaing.
Il était jeune, j’avais envie de participer à l’émer­
gence d’un monde nouveau. J’ai dû coller quel­
ques affiches et j’ai lu Démocratie française [écrit
par VGE en 1976]. L’élan d’ouverture de la vie étu­
diante sans doute, les discussions passionnées,
la perception de la fragilité de l’humain par les
études médicales. J’avais conscience que l’Eu­
rope était une solution et pas un problème, dans
un monde complexe en mutation. Déjà je sen­
tais que la diversité était un atout. J’ai découvert
Simone Veil un peu après et cela m’a renforcée
dans mes convictions. J’aurai la chance de la ren­
contrer plus tard. Et puis... il y avait un côté un
peu « prise d’indépendance » par rapport à ma
famille, viscéralement gaulliste, très RPR.

« Voir la fragilité de la planète, c’est quelque
chose », a dit Thomas Pesquet, l’un de vos
successeurs dans la station spatiale. Etes­
vous engagée dans le combat écologique?
Comme Thomas, j’ai eu le privilège de voir la
Terre d’en haut, d’éprouver l’émerveillement et
la conscience de sa finitude et de sa fragilité. La
science et les technologies ne sont pas une fin
en soi, ce sont des outils précieux, indispensa­
bles pour poser les bonnes questions, savoir de
quoi on parle, garder l’esprit critique, articuler
un raisonnement... Mais aussi, surtout, savoir
écouter l’autre et décider en responsabilité.
L’humanité est singulière, mais aussi plurielle.
Une station spatiale internationale, où la notion
de frontière n’a plus grand sens, est un formida­
ble outil diplomatique, autant que scientifique,
pour une coopération pacifique. Je fais partie du
Dialogue de Trianon, le forum franco­russe des
sociétés civiles, à la demande du président
Macron. J’entends les jeunes qui nous interpel­
lent quant à leur avenir et celui de notre Terre.

Finalement, 20 ans, c’était le plus bel âge?
A 20 ans, j’ai l’impression d’avoir été très chan­
ceuse, c’était une époque où, si on avait le ba­
gage, le travail et les yeux ouverts, on pouvait
saisir les opportunités. Je forme des vœux pour
que l’avenir de ceux qui ont 20 ans aujourd’hui
soit plein de défis prometteurs, comme ce fut le
cas pour moi. Quant à l’écologie, le maître mot
est l’é­du­ca­tion. Il ne suffit pas de se demander
quelle planète nous allons laisser à nos enfants.
Nous devons nous demander quels enfants
nous allons laisser à notre planète.j
propos recueillis par pascal galinier

18 |histoires


LE MONDE CAMPUS JEUDI 14 NOVEMBRE 2019

IL EST TEMPS


D’ÊTRE SOIMÊME.


À l’EMStrasbourg, nous avons la conviction quevous aurez plus de chances de
vous trouver chez nous plutôt qu’ailleurs... Et encore plus sivous avez besoin de
révéler destalents bien cachés.

Distinguez-vous en étantvous-même.be distinctive

SI VOUS VOUS


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VOUS RISQUEZ


DE VOUS TROUVER.


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