Libération - 05.11.2019

(avery) #1

France


I


ls sont aujourd’hui un pe-
tit millier, étalés sur deux
promotions en formation.
Une avant-garde, en quelque
sorte. Nom de code : IPA, pour
«infirmier en pratique avan-
cée». En juin prochain, ils se-
ront les premiers à terminer
ce cycle d’études supplémen-
taires de deux ans. Et les au-
torités sanitaires comme mi-
nistérielles les attendent
comme le messie. Ne les pré-
sente-t-on pas comme une ré-
ponse aux déserts médicaux
et aux défis d’une démogra-
phie médicale fortement dé-
clinante? Problème : pour ces
infirmiers aux compétences
élargies, qu’ils exercent à
l’hôpital ou dans le privé, la
rémunération ne sera pas à la
hauteur de leur nouvelle res-
ponsabilité. A preuve, l’ac-
cord signé lundi entre les IPA
libéraux et l’assurance mala-
die, qui prévoit un forfait
d’inclusion de 160 euros par
an, équivalent à quatre heu-
res annuelles par patient avec
pathologie chronique.

Compétences. Leur utilité
est pourtant démontrée : dé-
charger le travail des méde-
cins et donner un peu plus de
responsabilités aux infir-
miers dans la prise en charge
de certains malades. «La pra-
tique avancée vise un double
objectif : améliorer l’accès aux
soins ainsi que la qualité des
parcours des patients en ré-
duisant la charge de travail
des médecins sur des patholo-
gies ciblées», dit le site du mi-
nistère de la Santé. Très pré-
cisément, l’IPA «suivra des
patients qui lui auront été
confiés par un médecin, avec
son accord et celui des pa-
tients». Il verra régulièrement
ceux-ci pour le suivi de leurs
pathologies. «L’IPA discutera
du cas des patients lors des
temps d’échange, de coordina-

tion et de concertation régu-
liers organisés avec l’équipe. Il
reviendra vers le médecin
lorsque les limites de son
champ de compétences seront
atteintes ou lorsqu’il repérera
une dégradation de l’état de
santé d’un patient.» Pour
commencer, le décret a fixé
trois domaines d’interven-
tion : «Les pathologies chroni-
ques stabilisées, les polypa-
thologies courantes ; la
cancérologie ; la maladie ré-
nale chronique, la dialyse, la
transplantation rénale.»
Mais n’est pas IPA qui veut.
Après avoir exercé au mini-
mum trois ans comme infir-

mier, celui-ci devra suivre un
enseignement universitaire
sur deux ans, «autour d’une
première année de tronc com-
mun permettant de poser les
bases de l’exercice infirmier
en pratique avancée» et

«d’une deuxième année cen-
trée sur les enseignements en
lien avec la mention choisie».
Bref, cela se mérite. Et sur le
papier, c’est un vrai saut qua-
litatif de compétences. Ce qui
est une bonne nouvelle pour

les infirmiers qui voulaient
évoluer sans pour autant de-
venir cadre soignant.
Thomas Jézéquel, par exem-
ple, n’a pas hésité. Infirmier
en cancérologie pédiatrique
dans un CHU de l’ouest de la
France, il est en train de ter-
miner sa nouvelle formation.
Mais quelle ne fut pas sa sur-
prise quand il a découvert
que côté salaire, il ne sera pas
gagnant. «On s’est lancé là-de-
dans sans assurance sur le sa-
laire, mais quand même...
note-t-il, agacé. Là, je suis in-
firmier depuis huit ans. Je
suis payé 1 940 euros brut.
Avec les gardes et les primes,

Infirmiers «en pratique


avancée» : un salaire qui pique


Par
Éric Favereau

«On nous dit que l’on va gagner


en qualité de vie. Certes, mais


je vais me retrouver avec un


salaire inférieur, alors que j’aurai
de vraies responsabilités.»
Thomas Jézéquel Infirmier en pratique
avancée, en cours de formation

Les squatteurs du
­cinéma La Clef bientôt
mis à la porte? Les occu-
pants de l’emblématique salle du Quartier latin
sont convoqués ce mardi devant le tribunal en
vue d’une probable évacuation. Leurs soutiens
restent très mobilisés pour sauver le dernier
­cinéma associatif de Paris, occupé illégalement
depuis le 21 septembre. Photo LPLT CC 3.

LIBÉ.FR

j’arrive à peu près à la même
somme en net. Là, on vient
d’apprendre que comme IPA,
on va nous proposer 2 057 eu-
ros brut. Mais on ne pourra
plus faire de gardes. Au final
on va donc y perdre. On nous
répond que l’on va gagner en
qualité de vie. Certes, mais je
vais me retrouver avec un sa-
laire inférieur, alors que j’au-
rai de vraies responsabilités.»
Dans son cas, il aura ainsi une
file active d’enfants atteints
de cancer à suivre, d’un point
de vue clinique, biologique et
paraclinique. «Je vais être au-
torisé à prescrire des analyses,
à adapter les prescriptions. Ce
suivi se fera en alternance
avec le médecin qui aura va-
lidé les chimios. En plus, on va
faire de la recherche, de la for-
mation, mais aussi de la pré-
vention. Et au final, on cons-
tate que d’un point de vue
salaire, rien.»

Valorisation. Depuis quel-
ques semaines, ces futurs IPA
se sont regroupés en collectif
de neuf universités. «On n’est
pas nombreux, c’est dur de
faire du bruit», dit Thomas
Jézéquel. Ils ont écrit à Agnès
Buzyn. «Madame la ministre,
nous refusons de voir la prati-
que avancée comme un grade
supplémentaire, mais nous la
souhaitons véritablement
comme une nouvelle profes-
sion. Celle-ci doit être valori-
sée à juste titre et nous som-
m e s i n d i g n é s p a r l a
rémunération que vous nous
proposez. Nous pensons
qu’accepter d’exercer à ces
conditions, soit 2 050 euros
bruts au 1er échelon, c’est re-
noncer au déploiement de la
pratique avancée.» Et préci-
sément : «Nous revendiquons
une rémunération brute de
2 624,16 euros au 1er échelon.»
Puis : «Madame la ministre,
comme vous l’aviez annoncé,
la pratique avancée infir-
mière aura un véritable rôle
à jouer dans la réforme du
système de santé. Soyez la mi-
nistre qui reconnaît enfin la
profession infirmière au titre
qu’elle mérite.» Pas de ré-
ponse. Thomas Jézéquel : «Si
rien n’arrive, certains futurs
IPA se disent qu’ils ne vont pas
prendre ce statut, et redevenir
infirmiers comme avant. [...]
La ministre parle souvent de
nous. Elle évoque les IPA en
gériatrie, aux urgences. C’est
très bien. Mais s’il n’y a pas de
revalorisation salariale, cela
ne marchera jamais.»•

A partir de juin, les
premiers diplômés
«IPA» pourront
effectuer certaines
tâches jusqu’ici
réservées aux
médecins. Mais
leur rémunération
ne sera pas à la
hauteur de leur
qualification.

Lors d’une manifestation devant le ministère de la Santé, en novembre 2018. Photo Denis Allard

20 u Libération Mardi 5 Novembre 2019

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