Bastien Bouchaud
@BastienBouchaud
L
es marchés émergents conti-
nuent d’offrir aux investis-
seurs une combinaison de
rendements attractifs et de risques
parfois élevés. Plus d’un gérant s’est
ainsi brûlé les doigts lorsque le peso
argentin s’est effondré. Avec l’esca-
lade des tensions commerciales
sino-américaines cette année, la
prudence est restée de mise. L’expo-
sition des investisseurs aux mar-
chés émergents est relativement
faible et concentrée sur la dette
émergente. Mais des signes laissent
entrevoir un retour des investis-
seurs sur cette classe d’actifs.
(^1) UN PARI
DE LONG TERME
Le potentiel des marchés émer-
gents est reconnu par la plupart des
gérants, d u moins sur le l ong terme.
Ils sont 30 % à estimer que les
actions émergentes sont les plus à
même de surperformer au cours
des années 2020, davantage que
pour tout autre marché, selon
l’enquête d’octobre de Bank of Ame-
rica Merrill Lynch auprès des pro-
fessionnels de la gestion. Rien qu’en
Chine la classe moyenne pourrait
quasiment doubler d’ici à 2030
pour atteindre 723 millions de per-
sonnes, d’après des projections de
Morgan Stanley. De quoi offrir de
belles perspectives aux investis-
seurs, que ce soit dans les biens de
consommation, les services finan-
ciers ou le tourisme.
(^2) L’OMBRE
DES TENSIONS
COMMERCIALES
« Les investisseurs apprécient la
dette émergente, attirés par l’écart de
rendement avec la dette des pays
développés », observe Antoine
Lesné de SPDR. Les flux de capi-
taux, en particulier sur les actions,
sont toutefois sujets à de brusques
revirements, exacerbés par le com-
portement erratique du président
américain vis-à-vis de ses partenai-
res commerciaux. Depuis le début
de l’année, les fonds de dette émer-
gente ont attiré 56 milliards de dol-
lars alors que les fonds actions ont
subi pour près de 30 milliards de
rachats. « Les tensions commercia-
les sino-américaines restent le prin-
cipal facteur d’influence, à chaque
fois que le ton change au cours des
négociations, cela se reflète dans les
flux », ajoute-t-il.
(^3) EN CHINE,
SAVOIR
FAIRE LE TRI
De par sa taille et la vigueur de son
développement économique, la
Chine reste un marché incontour-
nable parmi les émergents malgré
les tensions commerciales. « Les
tweets de Donald Trump pèsent sur
le sentiment des investisseurs, mais
la consommation se porte bien en
Chine », souligne Michel Audeban,
directeur général de Gemway, une
boutique spécialisée dans les
actions émergentes, et en particu-
lier asiatiques. « Les marchés finan-
ciers s’y professionnalisent et le pou-
voir d’achat des Chinois croît
rapidement », ajoute-t-il. Encore
faut-il bien choisir ses paris parmi
les plus de 5.000 titres cotés en
Chine. Gemway mise notamment
sur Moutai, un producteur d’eaux-
de-vie haut de gamme, ou encore
Pinduoduo, une plate-forme
d’e-commerce qui s’est principale-
ment développée dans les villes
moyennes chinoises.
(^4) PRUDENCE
EN AMÉRIQUE
LATINE
Plusieurs pays sud-américains
font face à des manifestations
d’ampleur ces dernières semaines,
de quoi refroidir les ardeurs de
nombreux investisseurs. Pour
autant, le Mexique offre des taux
de rendement attractifs sur sa
dette et semble avoir contenu pour
le moment la pression de son voi-
sin américain. Au niveau des
actions, Comgest privilégie le Bré-
sil, où la société de gestion détient
quelques valeurs depuis plusieurs
années. « Nous jouons le consom-
mateur et l’infrastructure », expli-
que Wolfgang Fickus, membre du
comité d’investissement.
« Les réformes structurelles menées
par Bolsonaro peuvent offrir un
soutien, mais nous nous basons
avant tout sur le profil de croissance
du titre », ajoute-t-il en évoquant
des positions dans le groupe édu-
catif Proton ou l’assureur-vie BB
Seguridade.
(^5) LA RUSSIE,
ENTRE SANCTIONS
ET OPPORTUNITÉS
Les sanctions européennes et amé-
ricaines contre la Russie restent
d’actualité, mais cela n’empêche
pas Pictet AM de miser sur son
marché actions. « Les investisseurs
internationaux se sont détournés
après les sanctions, mais l’économie
russe a plutôt bien résisté », estime
son stratégiste Frédéric Rollin. De
fait, « les valorisations sont intéres-
santes et le taux de dividende parti-
culièrement attractif autour de
7 % », explique-t-il.n
DR
P
aul McNamara est l’un des
gérants les plus réputés
sur la dette émergente.
Directeur des investissements
chez GAM, il détaille pour
« Les Echos » ses vues sur
plusieurs marchés clefs.
Des troubles sociaux
ont éclaté ces dernières
semaines dans de nombreux
pays, est-ce le bon moment
pour investir dans les
marchés émergents?
Même si la politique et les manifes-
tations sont des considérations qui
doivent certainement être prises en
compte par un investisseur, e lles ne
constituent en aucun cas une rai-
son de s’interdire d’investir dans un
pays spécifique. De la même façon,
les manifestations des « gilets jau-
nes » ne justifiaient pas d’éviter la
France. Les turbulences politiques
peuvent être le signe d’une volati-
lité future, mais le risque potentiel
doit être comparé au prix proposé
pour décider si un investissement
est opportun ou non.
Quel regard portez-vous
sur la situation en Amérique
latine, en particulier
en Argentine et au Brésil?
Le résultat des élections en Argen-
tine présage d’une reprise des diffi-
cultés financières. La nouvelle
administration défend des politi-
ques susceptibles de contrarier
le Fonds monétaire international
(FMI). Or l’Argentine est extrême-
ment dépendante du FMI, car il
représente la seule source de finan-
cement externe pour faire face à
des besoins énormes en matière de
service de la dette. Pour le Brésil, le
passage de la réforme des retraites
est un bon signe, mais il y a d’autres
sujets de préoccupation. Le taux de
croissance sous-jacent reste ainsi
très faible et nous estimons que
la banque centrale a trop réduit
les taux, ce qui a affaibli le real
et risque de relancer l’inflation.
Nous ne regardons pas vraiment le
Venezuela, car il n’a pas de marché
en monnaie locale fonctionnel.
La Turquie représente-t-elle
aujourd’hui une opportunité
d’investissement?
La Turquie est potentiellement
une grande opportunité, mais elle
présente de sérieux risques. D’un
côté, la balance des paiements est
passée d’un déficit substantiel à un
léger excédent alors que les ban-
ques ont réussi à refinancer leurs
dettes extérieures. Les exporta-
tions vers l’Europe ont amorti le
choc de la récession et l’activité
semble prête à rebondir. De l’autre
côté, les réserves de change restent
faibles et ne seront probablement
pas suffisantes en cas de crise. Or,
le président turc, Recep Tayyip
Erdogan, est peu disposé à laisser
les marchés suivre leur cours.
Pourquoi restez-vous à l’écart
des pays de l’Europe de l’Est?
Les gouvernements de la région
PAUL MCNAMARA
Directeur des
investissements
chez GAM en charge
des fonds de dette
émergente
STRATÉGIE// Taux d’intérêt plus élevés, croissance solide et tendances de long terme pointent
de belles opportunités au sein des pays émergents. Mais, entre la guerre commerciale
sino-américaine et les troubles sociaux qui se multiplient, volatilité et risques restent élevés.
Le potentiel des marchés émergents
aiguise l’appétit des gérants
Laurence Arnold
prend en main
les initiatives
stratégiques
d’AXA IM
- SON ACTUALITÉ
Laurence Arnold est nommée
responsable de la gestion de
l’innovation et des initiatives
stratégiques chez AXA IM, sous
la direction de Gautier Ripert,
l’actuel responsable des opéra-
tions. Elle est notamment en
charge de la création d’une pla-
te-forme digitale de distribution
de fonds. Elle prend également
en main le partenariat conclu en
début d’année avec la fintech
suédoise Dreams. La jeune
pousse édite en Scandinavie une
application qui cible les millen-
nials et vise à les encourager à
épargner davantage et compte
bientôt se lancer en France. - SON PARCOURS
Agée de 39 ans, Laurence
Arnold a entamé sa carrière au
sein du groupe RATP, d’abord,
au sein de la salle des marchés,
au service de trésorerie et de
financement, puis sur des mis-
sions d’audit fi nancier. Elle a
rejoint AXA IM en 2009, où elle
est devenue deux ans plus tard
directrice des opérations de
l’activité de finance structurée.
Depuis 2015, elle a pris en
charge les initiatives liées au
« contrôle de portefeuille »
dans le groupe. Laurence
Arnold est diplômée de l’Uni-
versité Paris Dauphine en ban-
que et finance. - SA SOCIÉTÉ
AXA IM gère 757 milliards
d’euros d’actifs (au 30 juin 2019),
dont 123 milliards sur des actifs
alternatifs, ce qui en fait la troi-
sième plus importante société
de gestion d’actifs en Europe
derrière Amundi et l’ensemble
des affiliés de Natixis IM. Le
groupe traverse un moment
délicat, avec le départ mi-octo-
bre de son directeur général,
Andrea Rossi, et quelques jours
plus tard de son directeur des
opérations, Joseph Pinto. Pour
reprendre en main la filiale de
gestion d’actifs, AXA a fait appel
à Gérald Harlin, jusqu’alors
directeur financier du groupe,
qui devait prendre sa retraite
début 2020. —B. B.
—La filiale de gestion
d’actifs de l’assureur AXA
crée un poste de responsa-
ble de la gestion
de l’innovation et des
initiatives stratégiques.
LA PERSONNALITÉ
Retrouvez
notre page
gestion d’actifs
tous les mardis
etsur le site
`lesechos.fr/
« Le président turc est peu disposé
à laisser les marchés suivre leur cours »
sont populistes et se préoccupent
d’abord de la croissance avant
de s’intéresser à la stabilité. La
politique monétaire y est extrême-
ment souple à un moment où la
demande privée et les salaires aug-
mentent fortement. Mesurées par
les taux d’intérêt réels (taux direc-
teurs corrigés de l’inflation), la
Pologne, la Hongrie, la Roumanie
et la République tchèque ont
adopté les politiques monétaires
les plus a ccommodantes d u
monde. Nous estimons qu’il y a un
sérieux risque de détérioration
de la balance des paiements ou de
hausse de l’inflation.
Pourriez-vous expliquer
en quelques phrases votre
processus d’investissement?
Nous examinons les marchés
émergents à la recherche de signes
de crise potentielle de la balance
des paiements, du type de celles
qui ont récemment touché la Tur-
quie et l’Argentine. Le filtre se con-
centre sur la valorisation des actifs,
le déficit de la balance des paie-
ments et l’adéquation des réserves
de change. Nous regardons de près
les marchés qui se remettent d’une
crise, car cela représente souvent
un bon point d’entrée. Les signaux
d’alerte sont un déclin rapide des
réserves, un appétit populaire pour
la détention de dollars ou d’euros
au lieu de la monnaie locale, un
déficit extérieur important et une
monnaie sérieusement suréva-
luée. Nous tenons également
compte des tendances de solvabi-
lité à long terme dans les secteurs
public et privé.
Propos recueillis par B. B.
GESTION D’ACTIFS
MARDI 5 NOVEMBRE 2019