UnWalkmanet
uneleçond’économ ie.
Elle trône là, au milieu duréfrigérateur,
si rouge et si luisante.Lacanette de Coca-Cola.
Cell edel’Ouest.«Maman l’arapportée en 1988
d’un voyage de l’autrecôtéduMur,àl’occasion
d’un enterrementdanssafamille»,se rappelle
TorstenBahrke.Ilaalors9ans, lorsqu’il se
recueille,avec uncopain, devant le frigo ouvert.
Torstenavait en tendu ce «pschitt»que font les
canettes dans les publicités durantdes vacances
en Yougoslavie.Lesdeux compères sepoussent
du coude, ils nepeuventrésister.«Justepour le
bruit, pour la sensation.»Ilsgoûtentàl’interdit
effervescent, puis, décontenancés,reposentla
canetteàmoitiévide dans le frigofamilial. Gare
au retour desparents.
TorstenBahrke,gaillardblond débonnaired’au-
jourd’hui 40 ans, se souvientdeceCocatenta-
teur comme s’il l’avait sirotélaveille.«Mamère
m’aunpeu grondé, elle avait prévuque lafamille
au complet puisse boirelacanet te ensemble, et je
ne savais pas quecela pouvait s’éventer.»
Chez lesBahrke,onest des purs«Ossies ».
Maman professeur de natation et de géographie;
papaingénieur-électricien.Torstenest engagé
comme«pionnier»dans lesJeunessescommu-
nistes.Mais le délitementprogressif durégime
questionne, la crainte du lendemainfait monter
l’angoisse. Alorsonseraccr oche auMur.«Mon
horizon»,comme le ditTorsten. Jusqu’àce qu’il
s’écroule. Et les premiersbilletsatterrissentdans
son porte-monnaie.
«Jevoulais unWalkman.Je trouvaisça supercool.
Àl’épo que, j’écoutais en boucleJason Donovan et
Kylie Minogue(leur duoromantique,Especially
foryou,estalorsunhit in ternational).Mais les
écouteursmefaisaientmal;j’ai dû l’utiliser deux
ou troisfois àpeine.»La surprise fut autre, en
cettepremièreincursioncôté Ouest.«Avec mon
grandfrèr e, on avait grandi dans la propagande :
on cr oyait que c’était un monderempli d’arnaques
et de dangers... Alorsquand deuxTurcsnous ont
offert une crêpe aucoin d’une rue, on s’est dit “ils
veulentnous droguer,c’estsûr...’’Onamangéla
crêpe et on s’estrendu compteque nos peurs
étaientinfondées.»
Le Walkmanremballé,ce sontles 60 deutsche-
marks restants, soigneusementconservés dans
une boîtedebiscuits deNoël, qui accompagnent
l’adolescencedublondinet. Il thésaurisepour les
coups dursdelafamille. Detemps entemps, son
père vientypiocher quelques sous, puis lerem-
bourseavec de généreux intérêts.«Espècede
Picsou!»,le chambrerason grand frère.
La famille s’adaptetantbien que mal au nouveau
monde.Samèrepoursuit sa carrière,son père
trime unpeu.«Quand j’ai dit que je voulaisfaire
des études d’économie, ils onteupeur»,raconte
Torsten. Il seraadmisàl’universitéHumboldt, où
des professeursétrangerslui dévoilerontles
engrenages de l’économie de marché.
Aujourd’hui, l’ex-petit pionnier du PC travaille
pour la multinationale General Electric. Cela
déconcerte un rien sesparents. Lui-même en
sourit.«Jesuis unache teur,précise-t-il,je joue
avec de l’argent virtuel.Onmepaie biencarjes ais
bien dépenser les sous.»Ancien«pionnier»dans les
Jeunesses communistes,
To rsten Bahrkeavait 10 ans
et rêvait d’unWalkman au
moment de la chute du Mur.
Ses études d’économie l’ont
pleinement convertiau
système capitaliste. Il est
désormais acheteur pour la
multinationale General
Electric.“OncrOyait quel’Ouest
étaitunmOnde rempli
d’arnaques et de
dangers... alOrsquand
deux turcsnOusOnt
Offert unecrêpeau cOin
d’un erue,Ons’est dit
‘ils veulentnOus
drOguer, c’estsûr...’.”
TorsTenBahrke