10 |france VENDREDI 29 NOVEMBRE 2019
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C
ondamnés mais bientôt
réélus, inéligibles mais
en campagne : pour cer
tains édiles, concilier
popularité électorale et condam
nation judiciaire n’a rien d’im
possible. Des époux Balkany à Le
valloisPerret (HautsdeSeine) à
l’exmaire (Les Républicains, LR)
de Grenoble Alain Carignon, de
retour dans sa ville, en passant
par AixenProvence, certains
maires ou anciens maires font fi
des injonctions de moralisation
et, conformément à ce que per
met la loi, ils candidatent.
« La liberté politique permet à
toute personne de se présenter dès
lors qu’elle n’a pas été condamnée
à une peine d’inéligibilité ou n’est
pas dans l’un des cas d’inéligibilité
prévus par la loi, résume Charles
Edouard Sénac, professeur de
droit public à l’université de Bor
deaux. De même qu’on peut voter
en prison, on peut se porter candi
dat alors qu’on est détenu. »
La loi du 15 septembre 2017 pour
la confiance dans la vie politique
a bien élargi le champ des infrac
tions passibles d’une peine d’iné
ligibilité, mais elle a abandonné
son ambition initiale, l’exigence
d’un casier vierge pour se présen
ter devant les électeurs. « C’est un
thème récurrent : savoir si l’on
veut une démocratie vertueuse, ou
bien une démocratie totale, dans
laquelle on laisse une très grande
liberté aux électeurs de choisir en
tre les candidats », estime M. Sé
nac. La France a choisi : « L’orien
tation du système français laisse
les électeurs décider, plutôt qu’un
juge ou le gouvernement. »
Popularité des époux Balkany
Certes, les maires indélicats peu
vent être révoqués mais rares
sont ceux qui l’ont été sous la
Ve République. Le dernier en
date, Stéphane SieczkowskiSa
mier, maire (divers droite) d’Hes
din (PasdeCalais), élu à 22 ans
en 2014 et surnommé le « petit
Sarko », a été révoqué par décret
le 21 août. Auparavant, le Conseil
constitutionnel l’avait déclaré
inéligible pour trois ans, notam
ment « à la suite du rejet de son
compte de campagne pour les
élections législatives en raison
d’irrégularités manifestes ».
En Guadeloupe, le maire de
PointeàPitre, Jacques Bangou, a
précédé de peu le couperet de la
révocation – motivée par la ges
tion financière de la ville – en
présentant sa démission en
juillet, pour annoncer deux mois
plus tard sa candidature pour les
élections de 2020.
Pour se faire élire en dépit de la
justice, une fenêtre de tir existe
donc, faite d’appels suspensifs
- une personne condamnée à
une peine d’inéligibilité, si elle
fait appel, peut faire acte de can
didature – et d’électeurs fermant
les yeux sur les accrocs judiciai
res de leurs élus. Aux prochaines
municipales, ils sont un certain
nombre à s’y engouffrer.
L’exemple le plus médiatisé est
sans doute celui de Levallois où,
malgré leurs condamnations à de
la prison ferme et à dix ans d’iné
ligibilité pour fraude fiscale et
blanchiment, Patrick et Isabelle
Balkany (LR) ne trahissent pour
l’heure aucun signe de renonce
ment. Ils continuent par ailleurs
de bénéficier d’un important
soutien parmi leurs administrés,
selon les résultats d’un sondage
commandé récemment par le
MoDem, qui crédite Patrick Balk
any, incarcéré, de 44 % des voix
au premier tour, suivi de l’oppo
sant divers droite Arnaud de
Courson, à 34 %. Si elle était can
didate à sa place, Isabelle Balkany,
première adjointe et aujourd’hui
maire par intérim, engrangerait
pour sa part 40 % des intentions
de vote, au coudeàcoude avec
M. de Courson (39 %).
Ailleurs et dans une autre af
faire retentissante en région pa
risienne, à Draveil (Essonne)
Georges Tron (LR), acquitté
en 2018 au terme d’un procès
fleuve pour viols et agressions
sexuelles, n’a pour l’heure pas si
gnifié son intention de se retirer
des affaires publiques.
« L’élu local, le maire, élu préféré
des Français, a un crédit incroya
ble qui est de réconcilier les Fran
çais avec la promesse du politi
que : transformer le quotidien, pe
ser sur le cours des choses, souli
gne Frédéric Dabi, directeur
général adjoint de l’IFOP. Con
trairement au niveau national,
quand bien même il peut être em
pêtré dans des affaires, la plupart
du temps, ça ne casse pas irrémé
diablement ce lien local entre re
présentant et représenté. »
C’est le cas par exemple à Aix
enProvence, où Maryse Jois
sainsMasini (LR) croit en son bi
lan, bien plus qu’en ses condam
nations, et n’attendra pas la déci
sion de la Cour de cassation sur
sa possible inéligibilité pour dé
tournement de fonds et prise il
légale d’intérêt. La maire de
77 ans doit officialiser sa candi
dature à un quatrième mandat
dans la deuxième ville des Bou
chesduRhône, qu’elle pilote de
puis 2001, d’ici à la fin du mois.
« Elle met déjà des numéros de
vant des noms pour sa liste »,
glisse un de ses proches, et a
d’ores et déjà sollicité l’investi
ture de son parti.
Condamnée le 18 juillet 2018 à
un an de prison avec sursis et dix
ans d’inéligibilité pour détour
nement de fonds et prise illégale
d’intérêt, Mme Joissains, avocate,
a mené le combat juridique avec
acharnement et vu sa peine allé
gée à six mois avec sursis et un
an d’inéligibilité par la cour d’ap
pel de Montpellier, en mai. La
justice lui reproche la promotion
éclair de son chauffeur person
nel et l’emploi d’une collabora
trice de cabinet pour la protec
tion animale, compétence que
ne possédait pas la communauté
d’agglomération du pays d’Aix.
Retour d’Alain Carignon
L’élue retient surtout qu’« aucun
enrichissement personnel » n’a été
relevé par les juges, et s’est pour
vue en cassation. Dénonçant un
« procès politique », la maire d’Aix
enchaîne selfies et embrassades
tout en mettant l’accent sur son
bilan : rénovation du centreville,
création d’un pôle culturel aux
imposants équipements – conser
vatoire, centre chorégraphique
national, grand théâtre de Pro
vence – nouveau bus.
Et en cas d’empêchement, Ma
ryse Joissains a un « plan B ». Si
son inéligibilité était confirmée,
sa fille, Sophie Joissains, 50 ans,
sénatrice UDI et adjointe munici
pale, pourrait prendre sa suite au
pied levé. Après Alain, son père,
maire de 1978 à 1983 et
condamné à l’époque à deux ans
de prison avec sursis pour recel
d’abus de biens sociaux, et Ma
ryse, sa mère, elle perpétuerait la
dynastie Joissains à la tête d’Aix
enProvence.
A Grenoble, plutôt qu’une dy
nastie, c’est un grand brûlé de la
politique qui fait son retour. De
l’eau a coulé sous les ponts de
puis l’incarcération de vingt
neuf mois d’Alain Carignon
en 1994 pour corruption et abus
de biens sociaux, et l’ancien
maire gaulliste est en lice pour la
campagne des municipales. Il ar
rive même deuxième dans les
sondages, à environ 20 % d’inten
tions de vote, derrière le maire
sortant écologiste Eric Piolle.
« C’est le déni qui est grave, s’expli
que l’ancien ministre condamné
A La Réunion, Thierry Robert inéligible, mais candidat
L’ancien député MoDem, connu pour ses coups d’éclat, brigue la mairie de SaintLeu, commune de la côte ouest de l’île
saintdenis (la réunion)
correspondance
T
hierry Robert estil tou
jours candidat à la mairie
de SaintLeu, commune de
l’ouest de La Réunion? « Totale
ment, répond, sûr de lui, l’ancien
député MoDem. Je ne suis pas in
quiet du résultat si mon bulletin est
sur la table. » Car ce fidèle de Fran
çois Bayrou, qui, de luimême,
avait proposé à Emmanuel Ma
cron de devenir ministre, est inéli
gible depuis le 6 juillet 2018 pour
une durée de trois ans.
Ce jourlà, le Conseil constitu
tionnel a démissionné d’office
Thierry Robert de son mandat de
parlementaire. La faute de l’élu
réunionnais? Ne pas avoir payé
dans les temps la totalité de ses
impôts et de ses arriérés, soit près
de 200 000 euros de dettes.
Thierry Robert est le seul des
577 députés à ne pas avoir obtenu
d’attestation de l’administration
fiscale. Une obligation prescrite
par la loi du 15 septembre 2017 sur
la moralisation et la confiance
dans la vie politique.
Réagissant à cette destitution,
Thierry Robert, connu pour ses
coups d’éclat, crie au complot en
affirmant qu’il « gêne beaucoup »,
qu’« on » veut « lui couper la tête »
et qu’il faut « sortir La Réunion de
cette posture postcoloniale » en se
demandant si la France est bien
« une démocratie ». Après avoir an
noncé une cure de silence et un re
trait de la vie politique, l’exdéputé
décide en juin de redevenir maire
de SaintLeu, une commune qu’il
a dirigée pendant neuf ans. Sur Fa
cebook et sur le terrain, Thierry
Robert critique sévèrement le bi
lan de son dauphin, Bruno Do
men, qu’il avait installé en 2017.
Lui conseillant même de « prendre
du repos pendant ses vacances, pé
riode propice à la réflexion ».
« Décision politique »
Depuis, l’ancien parlementaire at
taque la décision du Conseil
constitutionnel. « Jusquelà, je me
disais : “Les sages ont rendu une
décision. Circulez, il n’y a rien à
voir.” Mais, en juin, un ami séna
teur m’apprend qu’une loi organi
que est à l’étude pour fixer le ré
gime de l’inéligibilité. » L’un des
avocats de Thierry Robert, Me Ma
thieu Croizet, estime que la plus
haute juridiction française a
« violé une liberté fondamentale »
et a « outrepassé ses pouvoirs ».
Mais le tribunal administratif de
SaintDenis a rejeté, lundi 18 no
vembre, le référéliberté de l’an
cien maire. Pour les avocats de
l’exélu qui ont saisi le Conseil
d’Etat, le juge ne s’est pas montré
courageux et a préféré « suivre ser
vilement » la position du Conseil
constitutionnel.
Thierry Robert conteste égale
ment en amont la saisine du
Conseil constitutionnel par le bu
reau de l’Assemblée nationale.
« J’avais envoyé tous les documents
pour montrer que ma situation
était régularisée. » Selon lui, une
« décision politique » se trouve à
l’origine de sa chute. Quatre ans
plus tôt, sur le thème des impôts,
le député avait provoqué une po
lémique sur le plateau du « Grand
Journal » de Canal+, menaçant de
rejoindre l’île Maurice, voisine de
La Réunion et paradis fiscal, en
raison du montant trop élevé de
ses impôts. « Je l’avoue, j’en ai un
peu ras le cul d’en payer autant »,
avaitil lancé à Michel Denisot en
révélant que ses activités de pro
moteur immobilier lui garantis
saient « 90 000 euros de revenus
mensuels et un patrimoine de
9 millions d’euros ». Thierry Ro
bert expliquait que, contraire
ment à la plupart des élus, « la po
litique n’est pas mon métier. Je n’ai
pas besoin de ça pour vivre ».
Attaquer de front les institu
tions reste une position habi
tuelle chez Thierry Robert, à qui
ses détracteurs reprochent une
rhétorique populiste. En 2012, il
s’était fait connaître en se procla
mant « le supérieur hiérarchique »
du préfet de La Réunion. Le dé
puté réagissait après avoir été ex
pulsé par des policiers des jardins
de la préfecture, qu’il occupait
pour réclamer des emplois aidés
dans sa commune.
« Je n’ai aucune inquiétude »
Moins anecdotique, la Haute
Autorité pour la transparence de la
vie publique (HATVP) a estimé à
deux reprises qu’il avait omis de
déclarer une partie de ses revenus
et de son patrimoine, notamment
5 millions d’euros en 2015. L’élu a
alors répliqué en remettant en
cause l’indépendance de la HA
TVP : « Les imputations de la Haute
Autorité sont diffamatoires et l’ac
cusation qui en résulte, calom
nieuse. » Une enquête préliminaire
sur son patrimoine s’est terminée
par un classement sans suite,
avant un nouveau signalement de
la HATVP en février 2018 et une se
conde procédure pénale déclen
chée par le parquet de Paris et tou
jours en cours. « Je n’ai aucune in
quiétude, dit M. Robert. C’est le ca
det de mes soucis. Mon dossier est
complexe. La HATVP l’a survolé. »
Condamné deux fois pour diffa
mation contre des rivaux politi
ques, Thierry Robert a également
été sanctionné en février 2018 par
la chambre sociale de cour d’appel
de Paris pour harcèlement moral
et sexuel sur son attachée parle
mentaire. « Injuste, a protesté l’élu.
Comment la justice peutelle
condamner sans preuve? (...) La
victime, dans cette affaire, c’est
moi... » Thierry Robert, qui a tou
jours affiché sa farouche rivalité
politique envers le président du
conseil régional Didier Robert
(LR), et qui ne soutient plus la ma
jorité présidentielle, considère
« faire les frais de [ses] prises de po
sition en dehors du cadre ».
jérôme talpin
Attaquer
de front les
institutions reste
une position
habituelle chez
Thierry Robert
Ces élus condamnés en attente du verdict des urnes
Plusieurs candidats se présentent aux élections municipales de mars 2020 en dépit de leur casier judiciaire
dans le cadre de l’affaire du mar
ché de l’eau de la ville. Aux Greno
blois, je leur dis la vérité : si j’ai été
condamné c’est que j’ai commis
des fautes. La justice et la démo
cratie sont indissociables. »
Face aux protestations de
bonne volonté de leurs édiles ou
anciens édiles, les électeurs se
ront donc juges, les 15 et
22 mars 2020. Les urnes diront si,
partagés entre résignation, ras
lebol et tolérance visàvis des
écarts des élus, les Français sou
haitent ou non faire une priorité
locale de la probité en politique.
« Il faut espérer que les réformes
qui ont été mises en place depuis
les lois Cahuzac [relatives à la
transparence de la vie publique]
commencent à changer les esprits,
note CharlesEdouard Sénac. On
peut adopter toutes les lois que
l’on veut mais si la mentalité des
électeurs reste la même, il n’y aura
pas de différence notable. »
julie carriat
et gilles rof (à marseille)
Les maires
indélicats
peuvent être
révoqués, mais
rares sont ceux
qui l’ont été sous
la Ve République