12 |france VENDREDI 29 NOVEMBRE 2019
0123
Prison ferme et amendes requises au procès du FN
Sept prévenus et trois personnes morales sont accusés d’escroquerie et d’abus de biens sociaux
U
ne longue litanie d’in
fractions multiples »,
s’excuse presque le
procureur Nicolas Bar
ret, en conclusion, mercredi 27 no
vembre, de six heures de réquisi
toire à deux voix avec sa consœur
Céline Ducournau. Après dix jour
nées d’audience au procès du
Front national (FN, devenu Ras
semblement national, RN), l’accu
sation a pu donner sa version,
sévère, des faits reprochés aux
sept prévenus et aux trois person
nes morales qui comparaissaient,
accusés notamment d’escroquerie
et d’abus de biens sociaux.
Les infractions sont, de fait,
pléthoriques. L’escroquerie, tout
d’abord, concernant le complexe
montage mis en place par plu
sieurs proches de Marine Le Pen
pour renflouer le parti en 2012 : un
« kit de campagne » comportant
tracts, affiches, site Web et presta
tions de comptabilité, imposé de
façon quasi obligatoire aux candi
dats FN aux législatives. D’un coût
de 16 000 euros, il était fourni par
l’entreprise de Frédéric Chatillon,
Riwal, au microparti Jeanne, qui le
vendait ensuite aux candidats.
Ceuxci avaient la possibilité
d’emprunter à Jeanne la somme
nécessaire, remboursée ensuite –
avec des intérêts de 6,5 % inclus –
grâce à l’argent reçu de l’Etat au
titre des frais de campagne.
« Vecteur de fraude »
Un montage problématique à
bien des égards pour les procu
reurs : dans la mesure où Riwal
offrait à Jeanne un « crédit fournis
seur » lui permettant de ne pas ré
gler le prix des kits, il s’agit pour
eux d’une « création fictive de
trésorerie ». Microparti qui n’a
« pas d’existence politique » réelle,
Jeanne n’a en effet jamais possédé
la somme lui permettant de
prêter aux candidats ayant sous
crit l’emprunt. Il finançait en réa
lité les emprunts des uns au fur et
à mesure des remboursements
obtenus des autres.
Structure « sans charge de per
sonnel, sans charge de loyer, sans
locaux mais avec un bureau au sein
de Riwal », le microparti, présidé
par l’eurodéputé JeanFrançois
Jalkh, n’est qu’une « peau de cha
grin », un « vecteur de fraude », in
sistent les procureurs, qui deman
dent sa dissolution pure et simple.
Contre M. Jalkh, qui est l’un des
moteurs de la « conception du sys
tème », l’accusation requiert
deux ans de prison avec sursis,
cinq ans d’inéligibilité et
50 000 euros d’amende. La
même sévérité est de mise à l’en
contre du comptable Olivier
Duguet, « homme lige » du FN, et
de Frédéric Chatillon, trésorier
adjoint de Jeanne, mais aussi
prestataire de Riwal au travers de
plusieurs sociétés, dont Hypé
rion : six mois de prison ferme
pour « complicité d’escroquerie »,
ainsi que l’interdiction d’exercer
la profession de comptable.
Conseiller régional d’Ilede
France et autre proche de Marine
Le Pen, Axel Loustau, trésorier de
Jeanne et ancien cadre, comme
MM. Duguet et Chatillon, du syn
dicat étudiant d’extrême droite
Groupe union défense (GUD), n’a
eu de cesse de minimiser sa parti
cipation au montage. Une pos
ture, estiment les procureurs, qui
évoquent sa présence dans de
nombreuses instances de déci
sion et en copie de nombreux
mails, ou encore le fait qu’il ait
abrité Jeanne et Riwal dans des lo
caux dont il était copropriétaire.
Une « complicité » qui amène le
parquet à réclamer un an de pri
son avec sursis, une interdiction
d’être trésorier et une amende de
le système à des fins d’enrichisse
ment personnel, au travers d’abus
de biens sociaux. C’est le cas de Ni
colas Crochet, l’expertcomptable
qui certifiait les comptes des
candidats dans le cadre du kit.
Contre cet autre « homme lige »,
qui offrait volontiers ses conseils
à M. Chatillon lorsque celuici
voulait « investir » à l’étranger, les
procureurs requièrent trente
mois de prison dont six ferme,
70 000 euros d’amende et l’inter
diction d’exercer comme expert
comptable durant cinq ans.
Restent le « chef d’orchestre »
Frédéric Chatillon et sa compa
gne Sighild Blanc, accusés eux
aussi de s’être enrichis au travers
de ce système. Au cœur de toute
l’affaire, le premier recourait en
effet volontiers à la trésorerie de
Riwal pour maintenir un train de
vie dispendieux. Il a également
rémunéré comme prestataire
Sighild Blanc, pour des montants
dépassant le million d’euros.
« Volonté de brouiller les pistes »
Enfin, le couple a produit de faus
ses factures, pour masquer un
« investissement » dans des so
ciétés asiatiques. Cet « usage sys
tématique » de la fraude amène le
parquet à requérir quatre ans de
prison dont deux fermes, ainsi
que 200 000 euros d’amende et
une interdiction de gestion à l’en
contre de M. Chatillon. Sa compa
gne encourt, outre la même
interdiction de gestion, un an de
prison avec sursis et 70 000 euros
d’amende.
Déplorant l’attitude des préve
nus, leur « volonté de brouiller les
pistes », mais aussi leur absence de
remise en question, le procureur
Barret a fustigé un dévoiement
par le RN de la fonction du parti
politique : au lieu de « travailler au
service de l’intérêt général », il
« travaille à son propre intérêt fi
nancier et matériel, en détournant
l’argent public de manière systémi
que ». Les avocats de la défense
plaideront jusqu’à vendredi.
samuel laurent
Frédéric Chatillon, JeanFrançois Jalkh (à droite) et Axel Loustau (à gauche), à Paris, le 6 novembre. JULIEN MUGUET/HANS LUCAS
Harcèlement moral : du sursis requis contre Luc Besson
Le patron d’EuropaCorp, poursuivi par son assistante de direction, était absent à son procès au tribunal de Bobigny
L
e tribunal de Bobigny aura
attendu plusieurs heures
durant l’arrivée de Luc Bes
son en ses murs, mercredi 27 no
vembre. En vain. Cité à comparaî
tre pour une audience correction
nelle dont il était le principal pré
venu – à titre personnel et en tant
que PDG de la société EuropaCorp
- le patron du studio de cinéma
français n’a jamais franchi les
portes de la 15e chambre. Selon
son avocat, Me Arnaud de Senil
hes, il s’est retrouvé embourbé au
milieu des tracteurs des agricul
teurs venus manifester leur co
lère aux abords de la capitale.
La présidente du tribunal,
Alexandra Vaillant, lève les yeux
au ciel. La convocation était fixée
à 13 heures, il est près de 17 heures,
l’audience se tiendra sans lui. Luc
Besson et sa société – celleci a été
par ailleurs placée en procédure
de sauvegarde en mai – risquent
pourtant gros. Après que les
prud’hommes ont reconnu que
l’assistante de direction du pro
ducteur, Sophie F. était victime de
harcèlement moral, il lui est re
proché devant le tribunal correc
tionnel d’avoir fait licencier cette
dernière en raison d’un arrêt ma
ladie ; une discrimination fondée
sur l’état de santé qui représente
une infraction pénale.
Les faits remontent à octo
bre 2017. Sophie F., principale as
sistante de Luc Besson quand il
est sur le sol français – l’homme
vit à l’année à Beverly Hills aux
EtatUnis –, sollicite son autorisa
tion pour poser trois jours de
congé à la Toussaint. Le cinéaste
lui oppose une fin de nonrece
voir, lui demandant de prendre
ses jours à d’autres dates. La
femme, qui a des obligations fa
miliales, insiste par message.
Deuxième refus. Selon la défense
de Luc Besson, la sortie à cette
date du film Le Grand Jeu avec Jes
sica Chastain à l’affiche, nécessi
tait la présence de l’assistante de
direction – le longmétrage est en
réalité sorti cette annéelà à Noël
aux EtatsUnis et en janvier 2018
en France.
« Etat de sujétion »
Pour Sophie F., la coupe est
pleine, après quatre années pas
sées aux côtés du cinéaste. Le
conseil des prud’hommes a no
tamment documenté « l’état de
sujétion » dans lequel elle se trou
vait, sollicitée à toute heure du
jour ou de la nuit, le weekend et
sur ses congés, notamment pour
des tâches relevant de la sphère
personnelle – des réservations
pour les enfants de Luc Besson ou
des soins esthétiques pour sa
femme, également productrice
au sein de la société EuropaCorp.
Ce refus de congé provoque une
déflagration ; elle s’effondre litté
ralement devant une de ses collè
gues. Le médecin qui l’ausculte, le
19 octobre, la place en arrêt mala
die. Pour Luc Besson et Europa
Corp, il s’agit d’un « motif médical
frauduleux » pour poser des con
gés « de manière irrégulière ». Le
12 décembre 2017, elle est convo
quée à un entretien préalable de
licenciement pour faute grave.
Une décision qui sera effective
début janvier 2018.
Aux yeux de l’inspection du tra
vail qui s’est saisie du dossier et a
rendu un procèsverbal salé sur
les méthodes du magnat du ci
néma, la théorie du faux arrêt
maladie ne tient pas. Et pour
cause : pas moins de quatre mé
decins ont examiné Sophie F. en
tre octobre et décembre 2017.
Tous ont conclu qu’elle était dans
l’incapacité de travailler. L’un
d’eux avait même été mandaté...
par l’avocat de Luc Besson, au
nom de la société EuropaCorp,
qui souhaitait vérifier la véracité
des dires de son employée. De
plus, après son licenciement, l’ar
rêt maladie de Sophie F. avait été
prolongé par les médecins pen
dant treize mois.
Pour Me Mathieu Brûlé, l’avocat
de Sophie F., Luc Besson, qui rece
vait copies de tous les mails, était
parfaitement « conscient de l’état
de santé » de son employée et
« suivait de près cette procédure »,
engagée « à titre punitif » : « C’est
un personnage qui ne supporte
pas la contradiction et, là, il a af
faire à une salariée qui, pour la
première fois, essaie de se défen
dre un peu. »
L’avocat du cinéaste conteste
cette vision des choses, estimant
que la salariée avait clairement
l’intention d’imposer ses jours de
congé – qu’elle n’a finalement pas
eu le loisir de prendre. Interrogé
par l’inspection du travail
en 2018, Luc Besson avait estimé
que son assistante n’était pas
réellement malade, concluant
ses déclarations en exprimant
ses regrets d’avoir embauché et
formé une mère de famille de
45 ans, jugée maladroite et qui ne
correspondait pas au profil qu’il
recherchait.
Des propos cités par la prési
dente et jugés « insupportables,
condescendants, voire sexistes »
par le procureur. Dans un réquisi
toire extrêmement sévère à l’en
Dans un
réquisitoire
extrêmement
sévère, le
procureur dépeint
la « personnalité
tyrannique »
du cinéaste
30 000 euros à son encontre. En
fin, le trésorier du RN et vieux
compagnon de route du parti,
Wallerand de Saint Just, « lien
central avec Riwal et Jeanne »,
encourt dix mois de prison avec
sursis, l’interdiction d’être tréso
rier durant cinq ans et deux ans
d’inéligibilité. Quant au RN, les
procureurs lui réclament
500 000 euros d’amende. Dans la
matinée, Me Bernard Grelon,
l’avocat de l’Etat, partie civile,
avait déjà réclamé dans sa plai
doirie 11 millions d’euros de dom
mages et intérêts au parti.
Mais audelà des escroqueries et
de leur recel, il est reproché à
plusieurs prévenus d’avoir utilisé
Au-delà des
escroqueries,
il est reproché
à plusieurs
prévenus d’avoir
utilisé le système
à des fins
d’enrichissement
personnel
R E T R A I T E S
500 universitaires
de droit appellent
à la mobilisation
Un collectif de 500 ensei
gnantschercheurs et docto
rants en droit et en sciences
politiques appelle à se join
dre aux manifestations du
5 décembre, dans une tri
bune publiée, mercredi 27
novembre, dans Libération.
Venant de Lyon, Nantes, Gre
noble, Lille ou de ParisAssas,
ParisI et Nanterre, iIs dé
noncent la « détérioration »
de leurs conditions de travail
et « l’absence de perspective »
pour les plus jeunes. « Il n’est
plus tolérable que les restric
tions budgétaires, le gel des
postes, le sousencadrement
des étudiants (...) nous con
duisent à abandonner petit à
petit le cœur des missions qui
sont les nôtres », écriventils,
s’engageant à « entrer en con
testation ».
F A I T S D I V E R S
Dans l’Essonne, six
lycéens mis en examen
pour dégradations
Six lycéens mineurs, originai
res de deux lycées de l’Es
sonne – lycée ParcdeVilgé
nis, à Massy, et un lycée
d’EvryCourcouronnes, ont
été mis en examen pour vio
lences et dégradations lors de
manifestations qui se sont
déroulées, lundi 25 novem
bre, aux abords de leurs éta
blissements où des appels au
blocus avaient été relayés sur
les réseaux sociaux. – (AFP.)
contre de Luc Besson, Rémi
Chaise dépeint la « personnalité
tyrannique » du cinéaste, « intolé
rant à la frustration » : « Ça a dû
l’énerver profondément que son
esclave se rebelle! »
Pour dépeindre la relation qui
lie Luc Besson et Sophie F., le ma
gistrat convoque le cinéma, ci
tant l’exemple du film le Diable
s’ habille en Prada, où Meryl
Streep incarne la patronne dicta
toriale d’un magazine de mode
qui martyrise sa jeune assistante,
jouée par Anne Hathaway. Il dé
nonce aussi l’acharnement du
patron d’EuropaCorp « à prouver
qu’elle n’était pas malade ». Tout
comme son « arrogance extraor
dinaire » quand il s’agit de com
muniquer ses revenus au tribu
nal – il indique les ignorer en rai
son de la variabilité des recettes
des films – et la situation de son
entreprise – pour lesquels aucune
pièce n’a été fournie.
Dix mois de prison avec sursis
sont requis par le procureur con
tre le cinéaste, ainsi que
30 000 euros d’amende pour lui
et 50 000 euros d’amende pour
EuropaCorp. Il a en outre de
mandé que la décision soit pu
bliée à ses frais dans deux titres
de presse, Le Monde et Le Film
français, magazine de profession
nels du secteur. La décision sera
rendue le 8 janvier 2020.
nicolas chapuis