Libération - 25.11.2019

(Michael S) #1

L


ucie (1) travaille au Prin-
temps Haussmann de-
puis quelques mois
quand, début novembre, elle
s’étonne de découvrir sur son
lieu de travail une affichette
annonçant la prochaine «fête
des Catherinettes». Lucie n’est
pas concernée : elle a 24 ans.
Comme le veut la coutume,

comme Dior, les salariées de
25 ans ni mariées ni pacsées
reçoivent des cadeaux parfois
coûteux, et des soirées fas-
tueuses sont organisées.

Chapeau. Les Catherinet-
tes de la haute couture, et,
depuis une quinzaine d’an-
nées leurs homologues mas-
culins, sont même reçus à
l’Hôtel de Ville de Paris de-
puis 1986. L’objectif est de
«souligner la richesse [de leur]
savoir-faire», une initiative
«complètement décorrélée du
côté rétrograde que cela peut
avoir ailleurs», assure-t-on à
la mairie.
Moins bling-bling, les festivi-
tés de la Sainte-Catherine
font également office de rite
de passage pour les jeunes
femmes de Vesoul. Chaque
25 novembre depuis plus de
sept cent ans, la commune de
Haute-Saône organise une

foire agricole qui attire des
milliers de personnes. Au
programme : démonstrations
équestres, exposition de trac-
teurs... et concours de Cathe-
rinettes. Cette année encore,
les conditions sont inchan-
gées : «Les participantes doi-
vent être âgées de 25 ans, céli-
bataires et sans enfants.»
Même si l’âge moyen du ma-
riage a augmenté significati-
vement ces dernières années,
pour s’établir aujourd’hui à
36 ans pour les femmes, se-
lon l’Insee.
D’après l’institut de statisti-
ques, environ 4 % des fem-
mes nées en 1994 – la généra-
tion des Catherinettes 2019 –
étaient mariées à l’âge de
24 ans. Le mariage avant
25 ans, encore la norme jus-
qu’aux années 90, est désor-
mais une exception. A Ve-
soul, la concurrence est rude
entre les participantes, invi-

Fête des Catherinettes,


faut-il clore ce folklore?


La tradition
du 25 novembre,
perpétuée dans
de grandes sociétés,
est accusée de
stigmatiser les
femmes célibataires
de 25 ans, alors
que l’âge moyen du
mariage n’a jamais
été aussi élevé.

Par
Juliette Deborde

seules les salariées célibatai-
res et sans enfant dans l’année
de leurs 25 ans peuvent pré-
tendre au titre de «Catheri-
nette de l’année». L’élection,
par les clients, a lieu à l’issue
d’un défilé dans le grand ma-
gasin parisien. «Ça m’a vrai-
ment surprise
qu’une entreprise
perpétue cette
tradition, que je
trouve sexiste, raconte la jeune
femme. Jusqu’à présent, la
seule personne que je connais-
sais qui avait fêté la Sainte-
Catherine vivait en Vendée
profonde, et a désormais la
cinquantaine passée !» Ar-
guant que l’événement
«donne l’impression que les
femmes ont une date de pé-
remption», la jeune femme
tente de protester auprès
d’une autre collègue vingte-
naire, sans succès. Cette der-
nière lui répond qu’elle y voit

simplement «une occasion de
faire la fête». Un argument re-
pris par le magasin, contacté
par Libération, qui invoque
un «esprit festif» et «une ému-
lation» collective autour de
l’événement, auquel devraient
prendre part cette année une
quarantaine de
jeunes femmes.
Maquillées et
coiffées à leur ar-
rivée sur leur lieu de travail,
les salariées participent en-
suite à une «distribution de
bonbons» dans les rayons du
magasin, détaille le service
presse du Printemps. Leur
journée est banalisée, une
pratique en cours dans plu-
sieurs entreprises, notam-
ment du milieu de la mode,
où la Sainte-Catherine, sainte
patronne des célibataires
mais aussi des couturières,
est particulièrement célé-
brée. Dans certaines maisons

l’histoire
du jour

La liste


tées à défiler coiffées d’un
chapeau «aux couleurs domi-
nantes jaunes et vertes en re-
lation avec leur profession ou
à défaut avec leurs loisirs ou
activités sportives», précise le
règlement du concours. Tout
autant que l’originalité de
leur couvre-chef, les attributs
physiques des jeunes fem-
mes font souvent l’objet de
commentaires dans les rangs
des spectateurs, se souvient
une collègue de Libération,
qui a assisté plusieurs fois à
l’événement.

«Stéréotypes». A défaut de
susciter des critiques locale-
ment, où la tradition est vue
comme faisant partie de
l’identité de la ville, ce
­concours quelque peu sur-
anné n’est pas du goût de cer-
taines militantes féministes.
L’association Osez le fémi-
nisme, qui y voyait en 2016
«une humiliation pour les
femmes», dénonce toujours
une mise en scène «dégra-
dante» : «Au nom de la tradi-
tion et du folklore, cet événe-
ment perpétue des stéréotypes
sexistes et enferme les femmes
dans des rôles traditionnels,
se marier et enfanter», estime
la porte-parole de l’associa-
tion, Alyssa Ahrabare.
Au cours du XXe siècle, la
Sainte-Catherine a pourtant
été l’occasion, pour les coutu-
rières, de prendre la parole et
de s’affirmer dans l’espace
public, rappelle Anne Monja-
ret, ethnologue au CNRS, au-
teure de plusieurs ouvrages
sur cette fête. A travers des
déguisements s’affranchis-
sant des normes de genre, les
«petites mains» des années 20
profitaient de ce jour pour dé-
fier l’autorité patronale et dé-
noncer la domination mascu-
line de manière plus ou moins
implicite, détaille la cher-
cheuse dans un article paru
en 2015 dans la revue Modes
pratiques (2).
A défaut de ressusciter cette
«Sainte-Catherine de lutte»,
Alyssa Ahrabare d’Osez le fé-
minisme suggère de transfor-
mer l’événement en une
«journée dédiée à la lutte
­contre les stéréotypes» dans
l’entreprise. Soit, résume la
militante, «tout le contraire
de ce qu’il est aujourd’hui».•

(1) Le prénom a été changé.
(2) «Jour de fête pour les midinet-
tes. L’envers de la Sainte-Cathe-
rine : les normes derrière la déri-
sion festive».

A l’Hôtel de Ville de Paris, vendredi. Les Catherinettes et leurs homologues hommes y sont reçus chaque année. Photo F. Durand. Getty images. AFP

Pour Nice,
un hors-jeu à la loupe
Au début de la seconde période contre
Lyon, le Niçois Dolberg récupère une
balle relâchée par le gardien lyonnais,
et marque. Sur la frappe ­d’Ounas, Dol-
berg est hors jeu... de 1 ou 2 cm, selon
l’assistance vidéo à l’arbitrage (VAR), au
diable l’esprit du foot. Nice perdra 2-1.

à Manchester City,
Sterling le «maudit»
Face à Chelsea, un but de Sterling est
annulé par la VAR pour un hors-jeu mi-
nime. La victoire de City aidant (2-1), il
rigolera de sa malédiction, allusion au
quart de Ligue des champions en avril :
un but annulé pour un hors-jeu contes-
table avait empêché City de se qualifier.

Pour la Juventus,
une main ­oubliée
Le leader turinois est souvent sur la tan-
gente en Serie A cette saison. Contre
l’Atalanta samedi, Cuadrado, au sol,
touche franchement la balle de la main,
l’action se poursuit et la Juve prend
l’avantage. La VAR ne reviendra pas sur
la main et la Juve remportera le match.

Foot : la VAR fait


encore et toujours


parler d’elle


France


18 u http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Lundi^25 Novembre 2019

Free download pdf