Libération Lundi 25 Novembre 2019 http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 21
d e s g e n s, u n p e u au c u l ot ,
comme là un centre de rééduca-
tion, un musée... J’explique notre
démarche, et souvent ça prend.
Ce n’est pas plus compliqué que
ça.» Une demi-journée dans la
semaine est balisée pour monter
le projet. «Ce n’est qu’un prétexte
en réalité. A travers nos inven-
tions, on aborde plein d’aspects
du programme, on fait des maths
pour modéliser, des prototypes
avec des changements d’échelle,
du français pour rédiger le cahier
des charges... Ce que j’aime aussi
avec la démarche de projet, quel
qu’il soit, c’est que tous les en-
fants trouvent leur place.» L’an
dernier, ses élèves ont imaginé
une station spatiale habitée sur la
planète Mars.
mémorisaient les lettres de l’al-
phabet plus tôt dans l’année».
Très efficace aussi pour appren-
dre à découper les mots en syl-
labes. Pour signer «kangourou»
par exemple, on bouge sa main
trois fois, comme trois syllabes.
Mine de rien, les élèves tra-
vaillent aussi la motricité, «pour
bien placer ses doigts». Et en
plus, c’est «miraculeux pour les
enfants autistes, ils s’en empa-
rent tout de suite». Elle est
venue au forum pour faire
connaître son idée, simple à du-
pliquer. Elle en est repartie avec
la reconnaissance de ses pairs.
Elle a obtenu le Grand prix du
forum des profs innovants, re-
mis par la MGEN, la mutuelle
qui a soutenu cette journée.
Il est professeur d’anglais, di-
rectement importé du sud-est
de l’Angleterre. Depuis sept ans,
Paul James Kirrage, 46 ans, en-
seigne dans un collège REP + de
la banlieue lyonnaise. «Quand
j’emmène mes élèves en dehors
du quartier, tu vois les gens
dans le métro tâter leur poche
pour vérifier qu’ils ont bien leur
portable ou leur portefeuille.
Mes élèves sont tout de suite
vus comme des racailles.» Alors
depuis trois ans, pour changer
les perspectives, et leur mon-
trer qu’un autre destin est pos-
sible, il a monté un projet ambi-
tieux : un voyage d’échange
avec des lycéens indiens.
D’abord, les élèves de New Delhi
ont débarqué dans la banlieue
lyonnaise. Les familles de ses
élèves, défavorisées pour la
grande majorité, se sont pliées
en quatre pour les recevoir.
«Elles les ont emmenés visiter
des espaces culturels où elles
n’étaient jamais allées.» Et puis,
les rôles ont été inversés : douze
Lyonnais se sont envolés pour
l’Inde. «Ce sont nos ambassa-
deurs, sélectionnés sur la moti-
vation comme seul critère. Ce
ne sont pas forcément les plus
scolaires qui partent.» Evidem-
Paul James Kirrage, en collège
«En Inde, nos ados défavorisés sont
accueillis avec tous les honneurs»
Elle était émue, quand elle a reçu
un prix samedi, au forum des en-
seignants innovants. «J’enseigne
la philosophie dans un lycée agri-
cole en Meurthe -et-Moselle... Et
non, mes élèves ne sont pas des
vaches», lance-t-elle d’un sourire,
pour mieux hacher menu les cli-
chés qui collent aux basques de
ses lycéens... Et de sa discipline.
«La philo, c’est abstrait, compli-
qué, ça ne sert à rien», entend-
elle régulièrement. Avec une col-
lègue de physique-chimie et la
professeure documentaliste du
lycée, elle a monté de toutes piè-
ces une enquête policière. Pour
arriver au bout de son Cluedo
scientifique, les équipes d’élèves
doivent faire des dépositions de
témoins, des portraits-robots, re-
lever des empreintes digitales.
Ou encore réaliser un TP pour
analyser le médicament de la vic-
time, l’ADN... «Ils expérimentent
ainsi, grandeur nature, la démar-
che scientifique», souligne l’en-
seignante dans son dossier de
candidature. Ce projet était un
moyen d’éveiller la curiosité des
élèves, pour qu’ils s’investissent
et apprennent la philosophie
sans s’en rendre compte : l’objec-
tif et le subjectif, l’induction et la
déduction, le doute... ou des no-
Sandrine Combret, en lycée agricole
«Les élèves expérimentent grandeur
nature la démarche scientifique»
Elle est une espèce enseignante
devenue rare : celle des Rased
(pour réseaux d’aides spéciali-
sées aux élèves en difficulté),
ces maîtres à cheval sur plu-
sieurs écoles, qui viennent en
aide aux enfants en difficulté.
Les Rased, comme elle l’expli-
que, ont deux missions : «La re-
médiation bien sûr, mais aussi la
prévention, tout aussi impor-
tante.» Pour aider ses élèves de
maternelle à rentrer plus vite
dans le langage, elle a tenté un
truc qui marche du tonnerre : la
langue des signes. «Dis comme
ça, cela peut paraître étrange,
mais en fait, en signant et par-
lant à la fois, les enfants mémori-
sent beaucoup mieux les mots et
leur sens.» D’abord, la langue
des signes oblige à se regarder,
à fixer l’attention. A apprendre
les règles de communication
aussi comme ne pas se couper
la parole. Ensuite, les enfants
font beaucoup plus vite la cor-
respondance entre la lettre et le
son. Par exemple, en signant la
lettre «f», la configuration des
mains sera la même que pour si-
gner le mot «ferme». Ils font plus
vite le lien, et «on s’est rendu
compte que les petites sections
Agnès Henrion, en maternelle
«Avec la langue des signes,
les enfants mémorisent mieux»
Il enseigne dans une école rurale
d’Ille-et-Vilaine, à Guipry-Messac,
au sud de Rennes. Sa classe a une
drôle d’allure. Le mur du fond
abrite un cabinet de curiosités.
L’armoire est vide en septembre,
les élèves la remplissent au fur et
à mesure de l’année avec des ob-
jets qui matérialisent les temps
forts de leur projet. «Ça peut être
une photo pour représenter un
échange sur Skype, un prototype
en pâte à modeler... Ça permet à
la fin de l’année, de se retourner,
et d’arriver à raconter tout ce
qu’ils ont fait en classe. Quand je
les amène à la Fête de la science
ensuite, ils expliquent leur projet
super bien.» Dans la classe d’Er-
wan Vappreau, ça fuse.
Ses élèves sont des Géo Trouve-
tout. Ils construisent des objets
utiles, à partir d’une imprimante
3D. Samedi, au forum, Erwan
Vappreau a débarqué avec un
couteau à pizza que l’on clipse à
une prothèse de main (décliné
aussi en version fouet de cuisine),
des pions de jeux d’échecs pour
une classe de lycée qui en avait
besoin pour un voyage solidaire
au Sénégal... Ou des descriptions
de tableaux en braille. «On ré-
pond à des besoins. Je contacte
Erwan Vappreau, en élémentaire
«à travers nos inventions, on aborde
plein d’aspects du programme»
ment, le gros du boulot est de
trouver des financements : le
mécénat des entreprises sur-
tout, et l’enveloppe de fonds so-
ciaux, dont disposent tous les
collèges et lycées. «On arrive à
baisser le prix à 270 euros pour
les familles, voire moins, paya-
ble en trois fois.» A New Delhi,
les ados ont été hébergés dans
des familles aisées, et reçus au
palais présidentiel. «Le regard
s’inverse, là-bas, ils sont ac-
cueillis avec tous les honneurs.»
La semaine d’après, direction
l’Himalaya dans un petit village
perdu à 3 000 mètres d’altitude
pour voir encore autre chose.
«On leur fabrique des souvenirs
et un autre champ des possi-
bles.» Paul James Kirrage remet
ça l’an prochain.
tions encore plus précises telles
que «la réfutabilité de Karl Pop-
per». Sandrine Combret raconte
qu’«à chaque séance de jeu, les
élèves ont toujours été très actifs,
y compris ceux parfois en retrait
en cours. Le fait de les mettre en
activité par le jeu, nécessitant
coopération et collaboration,
oblige chacun à être partie pre-
nante, en fonction de ses aptitu-
des». Dans les «points négatifs»,
elle range : le temps de prépara-
tion beaucoup plus important
que prévu pour la conception, la
formation des élèves et des collè-
gues, et les réunions préparatoi-
res. Au total 256 heures. Et le coût
financier, un autre classique.
«Nous avons voulu créer “une
ambiance”, pour immerger les
élèves dans le jeu», résume-t-elle.
Le ministre de l’Education, Jean-Mi-
chel Blanquer, a fait un saut au forum
samedi, façon pour l’institution de re-
connaître et féliciter l’engagement de
ces enseignants. Même si – particularité
de cet événement – c’est une rencontre
entre pairs, sans l’institution.
Ce sont les associations professionnel-
les (représentant les profs de lettres, de
sport, de techno...) qui sélectionnent les
100 projets représentés. Et c’est pas de
la tarte... D’abord parce que les profs ne
sont pas des champions nés pour met-
tre en avant leur projet et qu’il faut donc
savoir lire entre les lignes. Et aussi
parce que beaucoup ont l’impression
de ne rien inventer, alors qu’en fait des
idées simples sont parfois top. Comme
Anne Bannier et ses copines, qui se dé-
foncent pour leur projet «collège bn’b».
L’idée est d’échanger les collèges, (et les
parents aussi). «On le fait bien avec des
échanges à l’étranger, pourquoi on ne le
ferait pas à l’intérieur de la France? Ce
serait plus simple pour les voyages sco-
laires !» Bouteille à la mer : tout prof in-
téressé, avec chef d’établissement non
trouillard, est prié de se manifester.
Coup de cœur aussi pour Sandra Ferrer,
jeune enseignante venue d’Auch,
(Gers), qui a lancé un concours de des-
sin avec des bactéries. •