Le Monde - 08.11.2019

(Sean Pound) #1

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CULTURE


VENDREDI 8 NOVEMBRE 2019

0123


Astrid Ullens, la baronne photosensible


A Paris Photo, la collectionneuse, à la tête d’une fondation à Bruxelles, expose ses images pointues


RENCONTRE
bruxelles ­ envoyée spéciale

P


our ses 80 ans, Astrid
Ullens de Schooten
Whettnall a emmené ses
quinze petits­enfants
aux Folies­Bergère à Paris. « Je
viens d’une famille très catholique.
C’est bien de les encanailler de
temps en temps! » Le rire toni­
truant et les lunettes rose vif,
cette grand­mère peu conven­
tionnelle cultive sa différence, et
une distance respectable avec son
milieu d’origine : une dynastie
d’aristocrates qui a fait fortune
dans le sucre. Assise chez elle sur
un canapé fait de pingouins en
peluche fabriqués par un petit­
fils, entourée des photos offertes
par ses amis photographes, la
Belge a choisi d’habiter au­dessus
de sa fondation, à l’écart des
beaux quartiers. « Je n’utilise pas
mon titre de baronne, je trouve ça
cucul. Même si je dois dire qu’aux
Etats­Unis c’est très utile! »
A l’invitation de la foire Paris
Photo du 7 au 10 novembre, Astrid
Ullens présente un extrait de sa
collection de photographies, abri­
tées dans sa fondation baptisée A
Stichting. Après avoir beaucoup
hésité : « Ce n’est pas pour me faire
mousser que je les ai achetées. » En
moins de sept ans, sa petite insti­
tution s’est pourtant fait remar­
quer dans le monde de la photo­
graphie par ses choix cohérents et
pointus, en particulier en matière
de photos américaines – un en­
semble unique de 36 photos de
Walker Evans sur les anonymes
dans le métro, des séries complè­
tes de Lewis Baltz, Henry Wessel,
Lee Friedlander, Judith Joy Ross,
Mitch Epstein... Des sélections
constituées après de longs échan­
ges avec les photographes, qui ont
parfois conçu des travaux juste
pour elle et sa fondation.
Avant, Astrid Ullens a tenté une
incursion dans l’art contempo­
rain : « J’ai détesté ce milieu où on
ne parle que d’argent et d’investis­
sement. Avec la photographie, j’ai

pensé que je pouvais garder la
trace de choses qui bientôt n’exis­
teront plus. » De fait, en ces temps
d’inquiétude climatique, on trou­
vera à Paris Photo plusieurs
œuvres en lien avec la nature – les
arbres vigiles de Mitch Epstein
ou l’élégie d’un Robert Adams
sur l’industrialisation de l’Ouest
américain... Ils côtoient un grand
ensemble de Paolo Gasparini, qui

revisite l’histoire de l’Amérique
latine.

Volet pédagogique
Mais la raison d’être de la fonda­
tion, pour Astrid Ullens, c’est son
volet pédagogique. Chaque an­
née, les enfants de ce quartier po­
pulaire apprennent à lire les ima­
ges et à s’ouvrir sur le monde


  • « Certains ne quittent jamais leur


quartier », souligne­t­elle. Le pho­
tographe américain Nicholas
Nixon les a emmenés photogra­
phier des personnes âgées à l’hos­
pice. Et le jeune Georges Senga les
a fait travailler sur les enfants­sol­
dats. C’est après un voyage fonda­
teur en Afghanistan, il y a douze
ans, que la Belge s’est décidée à
ouvrir son institution : elle y ac­
compagnait une ONG, Afghanis­
tan libre, qui scolarise les petites
filles – un choc. « J’ai vu la mort de
près, l’intégrisme, l’injustice de la
naissance. J’ai décidé qu’il me fal­
lait partager un peu de ce qui
m’avait été donné et faire quelque
chose de ces images. »
Rien n’a jamais été banal dans la
vie de cette forte tête, qui se sou­
vient encore des salons que tenait
autrefois sa grand­mère autri­
chienne, Augustine, mélomane à
l’immense culture, et des musi­
ciens qu’elle recevait dans sa mai­
son d’hiver, d’Herbert von Karajan
à Elisabeth Schwarzkopf. « J’étais là
pour servir le thé et faire la révé­
rence, mais je n’en perdais pas une
miette. » Ses parents, deux diplo­
mates, ont, eux, connu une vie
d’aventures, en Norvège, en Inde
ou en Iran. « J’ai été élevée par une
gouvernante, puis, à 8 ans, ma
mère, qui trouvait que j’étais trop
gâtée, m’a envoyée en pension.
Chez les religieuses, je pleurais tous
les soirs en appelant mon chien et
ma gouvernante. Pas mes parents,
je ne les connaissais pas. »

Des « affinités avec la jeunesse »
La jeune rebelle fait le mur à répé­
tition, ou se fait renvoyer pour
avoir demandé, naïvement, « ce
qu’est la ménopause ». C’est bien
plus tard qu’elle se rapprochera de
sa mère : celle­ci la sort de ses étu­
des supérieures où elle s’ennuie,
pour l’emmener faire de « l’archéo­
logie vivante » en Iran, avec le spé­
cialiste français André Godard.
« On a vécu avec les Kachkaïs, j’ai
été adoptée par la tribu. J’étais deve­
nue plus iranienne que belge! »
Astrid Ullens finit pourtant par
rentrer dans le rang, de son plein
gré. « J’ai toujours couru après des
fantômes : mon père, mort quand
j’avais 12 ans ; et la famille que je
n’avais jamais eue... » La voilà ma­

A Bruxelles, le 4 novembre. RIP HOPKINS/VU POUR « LE MONDE »

« Je n’utilise pas
mon titre
de baronne,
je trouve ça
cucul. Même si,
aux Etats-Unis,
c’est très utile! »

riée, mère dévouée à ses quatre
enfants et « reine des surgelés ».
Elle a une belle propriété non loin
de Bruxelles, avec une miniferme,
« comme Marie­Antoinette! »
« J’étais devenue totalement trans­
parente, résume­t­elle, enfermée
comme dans une boîte de sardines.
Mais, à l’époque, on ne divorce pas,
on assume. Donc j’ai assumé... pen­
dant quarante­six ans et demi. »
Le divorce la rendra libre. « Et
seule... Le téléphone a brusque­
ment cessé de sonner. » Libre de se
lancer dans sa nouvelle passion,
la photographie. Partie de rien,
elle affine son œil et monte petit à
petit sa collection avec le conseil
de galeristes comme l’Allemand
Thomas Zander ou du photogra­
phe Jean­Paul Deridder, devenu
directeur artistique de la fonda­
tion. Elle aime les séries, pas les
images seules ; goûte peu les
grands formats ; ses photogra­
phies doivent être liées au monde
et à l’humain, pas de simples ex­
périences formelles.
En plus d’exposer des classi­
ques, Astrid Ullens ouvre désor­
mais son lieu chaque année à
un(e) jeune photographe, à qui
elle achète des œuvres en guise de
coup de pouce. « Je suis comme
une mécène de la Renaissance! Et
puis, confie l’infatigable octogé­
naire, je me suis toujours sentie
plus d’affinités avec la jeunesse. »
On la croit sur parole.
claire guillot

Paris Photo,
du 7 au 10 novembre, Grand
Palais, Paris 8e. De 12 heures
à 20 heures, jusqu’à 19 heures
le 10 novembre. De 15 €
à 32 €, catalogue à 25 €.
Foires « off » : Fotofever,
du 8 au 10 novembre, Carrousel
du Louvre, Paris 1er ; salon
Approche, du 9 au 11 novembre,
40, rue de Richelieu, Paris 1er,
sur réservation ; Le Salon de
la photo, du 7 au 11 novembre,
à Paris Expo, porte de Versailles.
Fondation A Stichting,
exposition « Summer Light »,
d’Henry Wessel, Bruxelles.
Jusqu’au 15 décembre,
du mercredi au dimanche, de
13 heures à 18 heures. 2 € et 4 €.

J.R.R.

Tolkien, maquette de la jaquette pour

La
Fraternité de l’Anneau

, 1954. © Bodleian Library/ The

Tolkien Trust 2019-2020. BnF, délégation à la Communication

Exposition


OCTOBRE
FÉVRIER

En partenariatavec
Bodleian Libraries,University of Oxford

En partenariatavec Bodleian Libraries, University of Oxford
et avec le soutien dethe Raynor Memorial Libraries -
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François-Mitterrand
Paris 13 eIbnf.fr
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