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INTERNATIONAL
VENDREDI 15 NOVEMBRE 2019
0123
washington correspondant
L
a procédure de mise en
accusation de Donald
Trump est devenue publi
que, mercredi 13 novem
bre, avec les auditions de deux di
plomates de carrière, relayées de
vant des millions de téléspecta
teurs, qui ont conforté la thèse
d’un abus de pouvoir du prési
dent américain.
Le président de la commission
du renseignement de la Chambre
des représentants, Adam Schiff, a
ouvert avec solennité l’audience :
« Les questions posées par cette en
quête de destitution sont de savoir
(...) si le président Trump a cherché
à conditionner des actes officiels,
tels qu’une réception à la Maison
Blanche ou l’assistance militaire
américaine, à la coopération de
l’Ukraine à deux enquêtes politi
ques qui l’aideraient dans la cam
pagne pour sa réélection, et, si tel
est le cas, de dire si un tel abus de
pouvoir est compatible avec ses
fonctions. »
Pas de consensus bipartisan
Les démocrates ont hésité avant
de se lancer dans une telle procé
dure. La speaker (présidente) dé
mocrate de la Chambre des repré
sentants, Nancy Pelosi, avait ré
sumé, en mars, son opposition à
une mise en accusation de Do
nald Trump, défendue alors par
une partie des élus de son parti
dans le cadre de l’enquête consa
crée aux interférences russes
pendant la présidentielle de 2016.
« C’est une telle source de discorde
pour le pays que, sauf s’il y a quel
que chose de très convaincant,
d’accablant et de bipartisan, je ne
pense pas que nous devrions sui
vre cette voie », avait estimé l’élue
de Californie, au cours d’un entre
tien au Washington Post.
Par sa simplicité, l’affaire ukrai
nienne a rempli la première condi
tion. Il est question d’un éventuel
abus de pouvoir à des fins person
nelles du président des EtatsUnis,
étayé par le compte rendu, publié
le 25 septembre, d’une conversa
tion téléphonique avec son homo
logue ukrainien, Volodymyr Ze
lensky. Ce dernier y est invité à
ouvrir des enquêtes visant les ad
versaires politiques de Donald
Trump, dont le candidat à l’investi
ture démocrate Joe Biden, via son
fils Hunter, présent au conseil
d’administration d’une entreprise
gazière ukrainienne, Burisma.
La seconde condition évoquée
par Nancy Pelosi, un consensus
entre démocrates et républicains
sur la réalité de ces faits, reste en
revanche pour l’instant introuva
ble. Les premières auditions pu
bliques concernant des témoins
qui ont accepté de témoigner de
vant la Chambre ont confirmé cet
état des lieux. Les deux camps se
sont fixé des missions diamétra
lement opposées face à deux di
plomates de carrière – le chargé
d’affaires à Kiev, William Taylor, et
le responsable pour la zone Euro
peEurasie du département
d’Etat, George Kent, l’un comme
l’autre aussi sérieux que précis.
Les démocrates ont tenté, par
leurs questions, de mettre en évi
dence les efforts déployés par des
proches de Donald Trump, sous
son autorité, pour faire pression
sur le nouveau président ukrai
nien, élu en avril. Ce dernier a été
invité avec insistance à ouvrir ces
enquêtes auxquelles étaient con
ditionnées à la fois une visite de
prestige à la Maison Blanche et
une aide militaire cruciale pour un
pays qui affronte, sur son sol, une
guerre de basse intensité alimen
tée par des séparatistes prorusses.
Canal diplomatique « irrégulier »
A l’invitation des démocrates, les
deux diplomates ont dénoncé les
agissements de ce canal diploma
tique « irrégulier » piloté par l’avo
cat personnel du président, Rudy
Giuliani, dont les objectifs al
laient, selon eux, « à l’encontre des
intérêts américains », y compris en
matière de sécurité nationale. « A
la miaoût, il m’est apparu évident
que les efforts de Giuliani pour con
cocter des enquêtes politiques con
taminaient désormais » les rela
tions entre Kiev et Washington, a
expliqué M. Kent. « Je ne crois pas
que les EtatsUnis puissent deman
der à d’autres pays de mener des
enquêtes ou des poursuites sélecti
ves ayant des implications politi
ques contre des opposants au pou
voir, car de tels actes sélectifs por
tent atteinte à la loi, quel que soit le
pays », a ajouté le diplomate.
« C’est de la folie de retenir une as
sistance militaire en échange d’une
aide dans une campagne politi
que », a renchéri William Taylor.
Les républicains, de leur côté,
ont dépeint « une campagne de ca
lomnies organisée avec précision
dans les médias » destinée à abat
tre Donald Trump, et dans laquelle
les deux diplomates ne seraient
« que des figurants ». Elle aurait été
ourdie, selon eux, après l’échec
d’une première tentative : celle
constituée par l’enquête « russe ».
Les tentatives de ces élus pour
donner vie à une théorie du com
plot, qui met en cause une inter
férence de l’Ukraine dans la
présidentielle américaine de
2016, se sont cependant heurtées
aux fermes démentis des deux
diplomates.
George Kent a reconnu par
ailleurs avoir signalé, en son
temps, à la Maison Blanche, que
la présence d’Hunter Biden au
sein de Burisma risquait de créer
« l’impression d’un conflit d’inté
rêts ». « Je n’ai toutefois jamais vu
aucun effort américain pour pro
téger Burisma d’une enquête », a
til ajouté.
La révélation du marchandage
par un lanceur d’alerte, en août,
avait fini par entraîner le
versement de l’aide prévue, ini
tialement bloquée sans raison
officielle par la Maison Blanche.
Les Ukrainiens n’avaient pas eu
ainsi à accéder aux demandes
américaines.
Les démocrates ont vu dans cet
épilogue l’effet du signalement
du lanceur d’alerte et de l’émo
tion suscitée, au sein du départe
ment d’Etat et du Conseil à la sé
curité nationale, par la décou
verte de ce chantage. Les républi
cains ont fait valoir, au contraire,
que le versement inconditionnel
de l’aide prive la mise en accusa
tion de tout mobile.
Ils ont insisté, également, sur
l’absence de témoignages de pre
mière main impliquant directe
ment Donald Trump dans ce don
nantdonnant, sans s’appesantir
sur le fait que la Maison Blanche
refuse de coopérer avec la Cham
bre des représentants et interdit
aux personnes susceptibles de
détenir ces informations, à com
mencer par le principal bras droit
du président, Mick Mulvaney, de
répondre aux convocations qui
leur sont adressées.
Un autre appel téléphonique
Un élément nouveau, pourtant, a
été porté à la connaissance des
deux camps. William Taylor a en
effet rapporté un fait dont il igno
rait l’existence lorsqu’il avait té
moigné à huis clos, quelques se
maines plus tôt. L’un de ses subor
donnés, à Kiev, aurait été le témoin
d’une autre conversation télépho
nique entre le président des Etats
Unis et l’un de ses proches, un
homme d’affaires nommé ambas
sadeur auprès de l’UE et curieuse
ment chargé du dossier ukrainien,
Gordon Sondland.
Au cours de cette conversation,
survenue au lendemain de
l’échange entre les deux prési
dents, le subordonné de Willam
Taylor aurait entendu Donald
Trump s’informer des enquêtes
suggérées la veille. L’ambassa
deur aurait ensuite indiqué au
collaborateur du chargé d’affaires
que « le président Trump s’inté
resse davantage à l’enquête sur Bi
den qu’à l’Ukraine ».
Interrogé mercredi 13 novem
bre, à la Maison Blanche, Donald
Trump a assuré n’avoir aucun
souvenir d’une telle discussion. Il
a affirmé n’avoir prêté aucune at
tention, mercredi, à des auditions
qualifiées de « blague ».
gilles paris
Le chargé d’affaires américain à Kiev, William Taylor, et le responsable du département d’Etat spécialiste de l’Ukraine, George Kent, le 13 novembre, au Capitole, à Washington. SUSAN WALSH/AP
Les républicains
ont dépeint
« une campagne
de calomnies »
destinée
à abattre
Donald Trump
L’accusation contre Donald Trump renforcée
Un haut diplomate décrit un président américain obsédé par l’ouverture d’une enquête sur Joe Biden
LES DATES
25 JUILLET
Au téléphone, Donald Trump
demande à son homologue
ukrainien, Volodymyr Zelensky,
de « se pencher » sur le fils de son
rival démocrate, Joe Biden.
12 AOÛT
Informé de la teneur
de l’échange, un membre
de la communauté
du renseignement signale
ses inquiétudes à sa hiérarchie.
12 SEPTEMBRE
Déblocage d’une aide
américaine à l’Ukraine,
gelée depuis le 18 juillet.
24 SEPTEMBRE
Ouverture, à la Chambre des
représentants, d’une procédure
de destitution contre Trump.
Le lendemain, la Maison Blanche
publie une transcription partielle
de la conversation téléphonique.
17 OCTOBRE
Le directeur de cabinet de la
Maison Blanche, Mick Mulvaney,
reconnaît que Trump a bien
lié l’aide destinée à l’Ukraine à
des considérations de politique
intérieure – avant de se récuser
quelques heures plus tard.
13 NOVEMBRE
Ouverture des auditions
publiques au Congrès.
Une dizaine sont prévues
d’ici au 20 novembre.
« Le président
s’intéresse
davantage à
l’enquête sur Biden
qu’à l’Ukraine »
WILLAM TAYLOR
chargé d’affaires
américain en Ukraine