Le Monde Diplomatique - 11.2019

(Sean Pound) #1
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in

LacLéman

Plan de l’Alpe
1980
1985

1972
1975

Barrage hydronucléaire

Fos-sur-Mer
1969
1974

Complexe
industrialo-portuaire

Cap Corse
Boues rouges

Plateau
du Larzac

1971
1981

Extension
d’un camp
militaire

Paris
1970
1974

Autoroutes
intramuros

Creys-Malville

1974
1997

Superphénix *

Erdeven 1974
Centrale 1975
nucléaire

Fessenheim
1970
1975

Réacteur
nucléaire

Plogoff
1975
1981

Centrale nucléaire

Le Carnet
(Saint-Viaud et Frossay)

1976
1997

Centrale nucléaire

Chasteuil
1979
1981

Barrage
hydro-nucléaire

Golfech
1975
1990

Centrale nucléaire

Chooz
1980
1984

Réacteurs nucléaires
(Chooz B)

Flamanville
2006
2007

Réacteur pressurisé
européen (EPR)

La Hague
1978
Centre de retraitementde déchets nucléaires 1979

Grenoble-Sisteron
1987
2011

Autoroute A

Lyon-Saint-Étienne

1993
2018
Autoroute A

Nonant-le-Pin
2006
2016

Centre
d’enfouissement

Abbeville
2011
2014

«Ferme des mille vaches »
(agriculture industrielle)

Notre-Dame-des-Landes

2009
2018

Aéroport du Grand Ouest

Plaisance-du-Touch
2005
2019

Centre commercial Val Tolosa

Sivens
2013

Barrage

Saint-Jean-
de-Maurienne
1990
Tunnel et ligneàgrande
vitesse Lyon-Turin

Mardié
1996

Pont sur la Loire
(déviation routière)

Roybon
(complexe touristique)Center Parcs^2008

Poligny
2014

Center Parcs
(complexe touristique)

Kolbsheim

2008

Contournement
de Strasbourg

Haute-Durance
2009
Ligneàtrès haute
tension (THT)

Saint-Victor-
et-Melvieu
2010

2011

Mégatransformateur

Gonesse 2011

2012

Centre commercial
Europacity Romainville
Landivisiau Base de loisirs
2012

Centraleàgaz

Bure

2013

Enfouissement
de déchets
nucléaires (Cigéo)

Bugeat et Viam
2017

Usineàpellets

Lussat
2013

Mine d’or

Guyane
2017

Montagne d’or
(mine)

Saint-Père-en-Retz
2019

Surf Park (complexe touristique)

Brétignolles-sur-Mer
2019
Port de plaisance

La Réunion
Nouvelle route
du littoral

*Mis en service en 1984,
arrêté définitivement en 1997 CÉCILE MARIN

100 km

Cinquante ans de luttes


Principales contestations
écologistes de grands projets

Type de projet
Site industriel
Installation nucléaire
Infrastructuredetransport
Autreprojet
(centrecommercial, parc
de loisirs, zone militaire)

Attentat, sabotage
Occupation de site
(ZAD, etc.)
Début et fin
de la contestation

1975
1985
Date de début
d’action

2017

Manifestations, blocages
ponctuels,recoursjuridiques...

Projet abandonné

Projet concrétisé
(partiellement ou en totalité)

Projet en cours

Formedecontestation

Résultat obtenu

Sources:https://reporterre.net ;
http://www.bastamag.net;Réseau Sortir du nucléaire.

facile, aussi, car les “gilets jaunes”
étaient dans des lieux où nos militants
n’étaient pas. Onaessayé de corriger
le tir.Depuis avril, ilyades rapproche-
ments. Mais ilyaune question de codes
culturels, ce n’est pas naturel, on fait
connaissance. »

Ce rendez-vous raté souligne égale-
ment la fracture entre deux visions de
l’écologie.«Les mouvements qui se
réclament de la natureont toujours été
très divers. Mais, en majorité, ils n’in-
tègrent pas de discourssur le progrès
social,expliqueValérie Chansigaud, his-
torienne des sciences et de l’environne-
ment (1).Ontrouve des communautés
réactionnaires, les spiritualistes par
exemple, dont le discours se base sur la
naturemaisn’est pas porteur d’éman-
cipation. Les “colibris”, l’anthroposo-
phie sont dans cette lignée-là(2).Or, si
l’influence de l’anthroposophie est lar-
gement méconnue, elle est peut-êtreplus
importante que celle des mouvements
révolutionnaires. Le “ni droite ni
gauche”, que certainsrevendiquent fiè-
rement, traduitleur méconnaissancedes
luttes sociales. Les écologistes qui par-
tent àLaRépublique en marche[LRM]
viennent de ce courant. »

Nombre de militantsdes Amis de la
Terre, qui avaient organisé la candidature
de René Dumontàl’élection présiden-
tielle en 1974, se sont retranchés dans
le réformisme. Ironie du sort:sia utre-
fois ils se disaient décroissants, voire
libertaires, ils croient aujourd’hui en un
capitalisme vertueux...«Ilfaut aban-
donner les idées de “grand soir” et
regarder comment on peut faireau
niveau réglementaire,estime par exem-
ple M.Yves Lenoir,militant de la pre-
mière heure aux Amis de laTerre et à
Greenpeace.Il faudrait un capitalisme
dans lequel les priorités sont écolo-
giques. Il ne faut pas penser en termes
d’inégalités, sinon on va dans le mur.
Pour des raisons historiques, ilyades
gens qui ont de l’argent. Ce qui compte,
c’est ce qu’ils font de cet argent. »

Une autre vision de l’écologiea
émergé dès les années 1970.«Aux

États-Unis et dans les pays anglo-
saxons se développe une critique plus
radicale, qui articule une préoccupation
environnementale avec une dénoncia-
tion de plus en plus forte du système
capitaliste »,explique Fabien Carrié,
maître de conférences en science poli-
tiqueàl’université Paris Nanterre. Les
mouvements britanniques comme le
Front de libération des animaux (ALF)
et le Front de libération de laTerre
(ELF) se distinguent en n’acceptant
aucune forme de hiérarchie entre les
êtres vivants. Ces groupes anarchistes
et anticapitalistes promeuvent l’action
directe et contestent le réformisme des
autres (3).«Dans ALF puis dans ELF,
reprend Chansigaud,on trouve une
réellecritique du capitalisme.Cepen-

LACRITIQUEde l’écologie réformiste,
des «colibris»oudel’explosion du
développement personnel anime de
nombreuses publications, comme le site
Terrestres ou les journauxLa Décrois-
sanceetSilence.Cette mouvance plus
révolutionnaire dénonce les élus,ycom-
pris ceux d’Europe Écologie-Les Verts,
qui retournent leur veste pour accéder
àdes postes de pouvoir.Elle oppose la
construction d’un collectif agissant à
des ego peu en mesure d’agir ensemble,
et en définitive non politisés (4). Les
nouveaux militants, tant ceux deYouth
for Climate que d’Extinction Rebellion,
condamnent d’ailleurs sévèrement les
manœuvres politiciennes et veillent à
éviter toute forme de récupération
partidaire.

«Onest complètement apartisans,
explique M. Marin Bisson, 16 ans, de
Youth for ClimateLyon.On essaye de
rester loin des partis politiques pour ne
pas leur êtreassimilés. On veut montrer
que les jeunes se lèvent pour leur avenir.
Tout le monde en interne n’est pas d’ac-
cordsur la ligne politique.»Pour
Antoine, deYouth for Climate Paris,«la
voie politique n’est pas non plus totale-
mentàoublier.C’est un mode d’action

ànepassous-estimer,mêmes’ilnefaut
pascroirequ’ellevanoussauver.Moi,
jepensequecréerdesliensavecdes
militantsquisontdansdespartisécolos
peutêtreuneforcesupplémentaire».Cer-
tainsécologistessouhaitentutiliserle
systèmeélectoralpourorganiserdes
communesautogérées.LeCollectifpour
unetransitioncitoyenne,avecenparti-
culierlemouvementUtopia,etl’organi-
sationDémocratieouverteproposentde
créerdeslistesparticipativespourgagner
desmairieslorsdesmunicipalesde 2020.

Laredécouvertedepenseurscomme
ÉliséeReclus,del’écologiesocialeet
dumunicipalismelibertairedeMurray
Bookchin,ouencoredel’écologiepoli-
tiqued’AndréGorz,favoriseuneréap-
propriationdesconceptsdeluttedes
classesetd’inégalitéssocialesparune
générationqueleconfortetlaconsom-
mationàoutranceavaientdépolitisée.

Alternatiba(«alternative»enbasque),
qui,néen 2013 ,semobilisecontrele
dérèglementclimatique,s’inscritaucœur
decettecontradictionentrelanécessité
d’élargirlabaseens’ouvrantàdescaté-
goriessocialespeumilitantesetla
volontédebâtirunprojetdesociétéradi-
calementdifférent.«Avecles“villages
desalternatives”,onobservaitundis-
coursconsensuel,quinedésignaitpas
d’adversaires,sansanalysestructurelle,
décriventNicolasBrusadellietYannick
Martell,sociologues,quisuiventcemou-
vementdepuis 2014 .Ilsontréussiàras-
semblerdansunmêmeendroitdesgens
quinesontd’accordsurrien,maisqui
ontlesmêmesmodesdevie.Quasiment
touslesmembresd’Alternatibasontissus
desclassesmoyennes.C’estdépolitisant
pourlesmilitantsaltermondialistes,
maisc’esttrèspolitisantpourdesgens
quiviennentdebeaucoupplusloin,
commelescadresdel’industrie.Ces
personnes,enentrantdansAlternatiba,
entamentunprocessusaucoursduquel
ellesvontfoutreenl’airleurvie,rompre
enpartieavecleurfamille.Ceprocessus
depolitisationleurfaitremettreen
questionleurvisionhabituelledesmou-
vementssociaux.Dansunsecondtemps,
lanaissanced’ANV-COP 21 permet
d’allerversdesformesd’actionplus
concrètesetderompreaveclemilitan-
tismededossierquepratiquentles
grossesorganisations(5).»

Lesoulèvementdel’automnedernier
abousculélesécologisteslesplusréfor-
mistes.«Les“giletsjaunes”ontréintro-
duitlaquestiondurapportdeclasse.
C’estlapremièreétapepourlapolitisa-
tion»,analyseComby.Mêmeleréalisa-

(1)Cf.Valérie Chansigaud,Les Combats pour la
nature. De la protection de la natureaucombat social,
Buchet-Chastel, coll.«Laverte», Paris, 2018.
(2) Lire Jean-Baptiste Malet,«L’anthroposophie,
discrète multinationaledel’ésotérisme»,Le Monde
diplomatique,juillet 2018.
(3)Cf.David N. Pellow et Hollie Nyseth Brehm,
«From the new ecological paradigm to total liberation :
The emergence ofasocial movement frame»,Socio-
logical Quarterly,no56, Omaha, 2015.
(4)Cf.Maxime Chédin,«LaZAD et le Colibri :
deuxécologies irréconciliables?»,etlaréponse de
Cyril Dion,«Résister,mais comment?»,Terrestres,
respectivement 15 novembre 2018 et 16 janvier 2019,
http://www.terrestres.org
(5)Cf.aussi Nicolas Brusadelli, Marie Lemay et
Yannick Martell,«L’espace contemporain des “alter-
natives”»,Savoir/Agir,no38, Vulaines-sur-Seine, 2016.

dant, ilsrestent marginaux,non pas tant
par leur nombreque par leur position-
nement. Ces militants ont tendanceàse
soustraire àlasociété. Cela donne les
mouvements punks et diverses commu-
nautés. Ils peuvent se battrecontrela
société sans s’y mêler,sans intégrer des
syndicats dans les entreprises, par
exemple. Cette galaxie préfigurelaZAD
[zoneàdéfendre]de Notre-Dame-des-
Landes. Les ZAD,c’est de l’action
directe, c’est-à-diretransformer sa vie
de façon radicale pour se mettreencohé-
rence.»«Dans les ZAD, toutes les dimen-
sions de la vie ou presque sont impli-
quées. Ilyaaussi une vraie mise en
danger»,complète Jean-Baptiste Comby,
sociologue, maître de conférencesàl’uni-
versité Paris-II Panthéon-Assas.

Début octobre, cinquante et un mili-
tants étaient poursuivis pour«vol en réu-
nion»après avoir participéàces décro-
chages;deux ont été relaxés par le
tribunal correctionnel deLyon, qui a
reconnu un«état de nécessité »dû à
l’inaction de l’État contre le réchauffe-
ment climatique;leprocureurafait
appel. D’autres militants ont été
condamnés pour les mêmes faits.Tous
prônent la désobéissance civile. En réa-
lité, il s’agit plutôt d’une forme non vio-
lente d’action directe.«Lors d’actions
de désobéissance civile, une personne
décrète en toute conscience qu’elle ne
veut pasrespecter une loi,explique
Albert Ogien.Elle dit:“Arrêtez-moi,
mettez-moi en prison, faites-moi un pro-
cès et je vous expliquerai pourquoi je
trouve cette loi mauvaise.” Si cela
marche, cetteloi va changer. Les actions
d’Extinction Rebellion[comme l’occu-
pation des ponts de Londres],les décro-
chages de portraits du président ou les
campagnes contrelenucléairenevisent
pas une loi précise. »L’arrivée de ces
nouveaux militantsdonne une plus
grande ampleuràcertaines actions. En
Allemagne, chaqueannée,lecollectif
Ende Gelände bloque durant une journée
l’immense mine de ligniteàciel ouvert
de Garzweiler,enRhénanie-du-Nord-
Westphalie. Après avoir réuni1500 per-
sonnes lors de la première mobilisation,
en 2015, le collectif enarassemblé entre
5000 et6000 en 2019, réussissant à
empêcher la mine de tourner pendant
quarante-cinq heures.


Si desconvergences avec les marches
pour le climat ont eu lieu dans de nom-
breuses petites villes, le soulèvement des
«gilets jaunes»amis en lumière une
fracture sociale, éclatanteàParis. «Gilet
jaune»deVillefranche-sur-Saône sen-
sible depuislongtempsàl’écologie,
M. Jérôme Cassiot raconte sa journéedu
16 mars 2019 :«Onrevenait des
Champs-Élysées, où c’était quasiment
la guerre, et on arrive place de la Répu-
blique, où la “Marche du siècle” pour
le climat arrivait. Le contraste était tel-
lement choquant, au niveau visuel, olfac-
tif. Je me suis dit:“Là, c’est le monde
des bisounours et des bobos. Ils ne veu-
lent pas voir ce qui se passeàcôté.” On
était peut-êtreune trentaine de “gilets
jaunes”àcemoment-là et on était trans-
parents. Personne ne nousregardait. »
M. Mathieu Bourbonneux,«gilet jaune»


àNantes, nuance :«Certains groupes
d’écolos plus radicaux ont préféré
manifester directement avec les “gilets
jaunes”, qui ne sont pas dans la négo-
ciation mais pour un changementde
régime.»Président des Amis de laTerre,
M. KhaledGaiji l’avoue humblement:
«Onaraté cerendez-vous. Onamis du
tempsàréagir.Ilyavait un peu le syn-
drome “bonnetsrouges”, avec la peur
de l’extrême droite. Ce n’était pas

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DES MILITANTS EN QUÊTE


Les écologistes tentés par


NOVEMBRE 2019 –LEMONDEdiplomatique


GILBERTO ZORIO.–«Pugnofosforescente»(Poing phosphorescent), 1971

©ADAGP,PARIS, 2019

-PHOTO :CENTRE POMPIDOU

,MNAM-CCI, RMN-GRAND

PALAIS
«Ilfaudrait une désobéissance très poussée»

(Suite de la premièrepage.)
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