Le Monde - 15.10.2019

(Ron) #1

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FRANCE


MARDI 15 OCTOBRE 2019

0123


P R O J E T D E L O I D E F I N A N C E S


Le budget 2020 


affiche un vert 


encore bien pâle


Le projet de loi de finances est débattu à l’Assemblée


nationale. Le financement de la transition écologique


est toujours modeste, alors que l’environnement


est présenté comme une priorité de l’exécutif


C’


est une bro­
chure d’une
dizaine de pa­
ges, qui n’est
pas sans rap­
peler le « Li­
vret du pouvoir d’achat » annexé
au premier budget Macron, à
l’automne 2017. En quelques cas
types simples, ce dernier se fai­
sait fort d’expliquer aux Français
en quoi les mesures prises par le
nouveau gouvernement allaient
profiter à leur portefeuille.
Cette année, le fascicule est vert,
et intitulé « Livret de la transition
écologique ». Epinglé au projet de
loi de finances (PLF) pour 2020,
qui doit être examiné en séance à
l’Assemblée nationale à partir de
lundi 14 octobre, il se veut le sym­

bole de l’attention que l’exécutif
assure porter à la lutte contre le
réchauffement climatique. Parmi
l’arsenal écolo du gouvernement
figurent le verdissement de la
prime automobile à la conver­
sion, le recentrage du crédit d’im­
pôt transition énergétique (CITE)
sur les plus modestes, ou l’évolu­
tion de la fiscalité sur les déchets.
Aux côtés du pouvoir d’achat,
du social et des sujets régaliens,
l’« urgence climatique » est en ef­
fet affichée comme l’un des prin­
cipaux axes de ce nouveau projet
de loi de finances. Mi­juillet, au
moment du débat d’orientation
des finances publiques, Bercy
en faisait l’une de ses « grandes
priorités pour la deuxième partie
du quinquennat ».

Le 25 septembre, l’inspection
générale des finances publiait
même une étude présentée
comme le premier « budget vert »
de l’Etat – en fait, un recensement
des recettes et dépenses 2019
selon leur degré d’impact sur l’en­
vironnement. « En 2021, nous
aurons à la fois une lecture comp­
table et une lecture qui permette
de dire si [le budget] est compati­
ble ou non avec l’environnement »,
assurait alors Gérald Darmanin,
le ministre de l’action et des
comptes publics.

« ON PASSE À CÔTÉ »
La semaine dernière, les ques­
tions de fiscalité verte se sont
effectivement invitées dans les
débats de la commission des
finances de l’Assemblée natio­
nale. Le sujet devrait monter
un peu plus encore en séance
cette semaine, avec la présence
au banc du ministre de l’éco­
nomie et des finances, Bruno
Le Maire, et de Gérald Darmanin.
Car le volontarisme affiché
du gouvernement est loin de
convaincre les parlementaires.

« Un vrai budget vert, c’est un
budget qui investit assez dans la
transition écologique, et compa­
tible avec une limitation du ré­
chauffement climatique à 1,5 de­
gré. On en est encore loin! Pour
cela, il faut une volonté politique,
que je ne retrouve pas dans les
faits », déplore Matthieu Orphe­
lin, député (ex­La République en
marche, LRM) du Maine­et­Loire.
Selon ce proche de Nicolas Hu­
lot, qui avait claqué la porte de la
majorité en février, la France de­
vrait investir 25 milliards d’euros
par an dans des infrastructures
de transport et autres rénova­
tions énergétiques pour tenir ses
engagements en matière de ré­
duction de gaz à effet de serre.
Dont au moins 5 milliards d’ar­
gent public, soit 0,2 % du produit
intérieur brut.
« Ces investissements, on passe à
côté, alors que les moyens exis­
tent. Par exemple, avec la suppres­
sion de la taxe d’habitation pour
les 20 % de Français les plus aisés,
on s’ampute encore de 7 milliards
d’euros de marge de manœuvre fi­
nancière », regrette M. Orphelin.

Les 1 073 suppressions de postes
prévues en 2020 au ministère de
la transition écologique et soli­
daire – la plus forte suppression
d’effectifs après Bercy – ont aussi
fait désordre, même si le budget
des missions liées aux sujets
environnementaux augmentera,
lui, de 800 millions d’euros.
Pour la majorité parlementaire,
la fiscalité verte relève quasi du
cas de conscience. Il y a un an à la
même époque, le début du mou­
vement des « gilets jaunes » avait
coïncidé avec les débats budgétai­
res. Les députés avaient échoué à

trouver la parade pour calmer la
grogne contre la hausse des taxes
sur les carburants. La flambée des
prix à la pompe avait fait s’embra­
ser le pays et contraint Emma­
nuel Macron, début décembre, à
enterrer sine die la taxe carbone.

« IL VA FALLOIR CHOISIR »
Le cas du CITE est emblématique
des affres dans lesquelles se débat
la majorité : ce dispositif censé fa­
voriser la rénovation énergétique
des logements doit être trans­
formé en prime et recentré sur les
plus modestes. Mais le gouverne­
ment a décidé de raboter son en­
veloppe budgétaire, et les 20 % de
ménages les plus aisés en seront
exclus. « A un moment, il va falloir
choisir entre la logique budgé­
taire, c’est­à­dire faire des écono­
mies, la logique sociale – redonner
du pouvoir d’achat aux ménages
plus pauvres – et la logique écolo­
gique. A force de courir trop de
lièvres à la fois, on risque de n’en
attraper aucun », a critiqué le
député Les Républicains (LR) du
Vaucluse Julien Aubert en
commission, mercredi 9 octobre.

Une fiscalité qui pèse surtout sur les ménages les plus modestes


INFOGRAPHIE : LE MONDE SOURCE : INSPECTION GÉNÉRALE DES FINANCES

MONTANTS DE LA FISCALITÉ ÉNERGÉTIQUE SUPPORTÉS PAR LES MÉNAGES
EN 2019, SELON LEUR REVENU
en % du revenu total
en euros

TAUX D’EFFORT DE LA FISCALITÉ ÉNERGÉTIQUE DES MÉNAGES EN 2019, SELON LEUR REVENU

145

0,

2,
0,
0,
0,

1,

0,4 0,

0,

0,

1,

0,

1,

0,

0,

170 185

205
240

705

205

645

180

585

170

500

155

425

145

715


4,


3,
2,

2,


1,


825


940


1030


1145


1 er 2 e 3 e 4 e 5 e 1 er 2 e 3 e 4 e 5 e

Quintiles Quintiles

Composante carbone

TIC hors composante carbone

Fiscalité sur l’électricité

La fiscalité énergétique totale représente
en moyenne 4,6 % du revenu total des 20 %
des ménages les plus modestes.

Les ménages les plus modestes
paient en moyenne 715 euros par an
de fiscalité énergétique
Les ménages sont
ordonnés selon leur
revenu total par unité
de consommation.
Les quintiles
les séparent en cinq
groupes d’eectifs
égaux : le premier
quintile correspond aux
20 % des ménages les
plus modestes, le
cinquième et dernier
quintile correspond
aux 20 % des ménages
les plus aisés.

« UN VRAI BUDGET VERT, 


C’EST UN BUDGET 


COMPATIBLE AVEC UNE 


LIMITATION DU 


RÉCHAUFFEMENT 


CLIMATIQUE À 1,5 DEGRÉ »
MATTHIEU ORPHELIN
député (ex-LRM) de Maine-et-Loire

« Il faudrait avoir une vision à 2050 du budget,


avec moins de subventions aux énergies fossiles »


Membre du Haut Conseil pour le climat, Benoît Leguet estime que Bercy
doit aborder la fiscalité verte sous « un angle plus large, en réponse à un besoin sociétal »

ENTRETIEN


B


enoît Leguet est directeur
général de l’Institute for
Climate Economics (I4CE),
un think tank sur l’économie de la
transition écologique fondé par la
Caisse des dépôts et l’Agence fran­
çaise de développement, et mem­
bre du Haut Conseil pour le climat.

Le 25 septembre, l’inspection
générale des finances (IGF)
présentait un premier « budget
vert ». Faut­il y voir une
avancée en matière de
transition environnementale?
Il y a une incompréhension
sur ce terme. Cela ne veut pas dire
que le budget de la France est vert.
Il s’agit d’une méthode pour me­
surer à quel point les dispositifs ac­
tuels le sont. Cette évaluation [qui
portait sur le budget 2019] a eu le
mérite de dire officiellement que

de nombreuses dépenses publi­
ques [25 milliards d’euros, dont
15 milliards de niches fiscales] sont
néfastes à l’environnement. C’est
un appel à l’action publique. Dé­
sormais, le défi est d’utiliser cette
méthodologie dans le processus
d’élaboration budgétaire, pour
orienter les décisions politiques.
Chez I4CE, nous avons calculé
que pour tenir les objectifs de neu­
tralité carbone en 2050, il faudrait
15 à 18 milliards d’euros d’investis­
sements « verts » supplémentai­
res chaque année, donc 7 à 9 mil­
liards venant du secteur public.

Le gouvernement met en avant
plusieurs mesures « vertes »
dans le projet de loi de
finances pour 2020. La France
est­elle sur la bonne voie?
Oui, mais il faut regarder tous
les aspects du problème. Les me­
sures du projet de loi de finances

doivent être vertes, mais aussi
respecter des impératifs de justice
fiscale. Surtout, il ne faut pas
oublier l’autre moitié de l’équa­
tion : un budget vert doit permet­
tre d’éliminer les dépenses défavo­
rables à l’environnement. A ce
titre, la suppression [en trois ans]
de la niche fiscale sur le gazole non
routier constitue une petite vic­
toire. Mais ce que j’aimerais voir à
Bercy, c’est une vision à 2050 du
budget, avec moins de subven­
tions aux énergies fossiles, et plus
de dépenses vertes. Par exemple,
logiquement, la taxation du car­
bone devrait avoir disparu.

Comment éliminer les
nombreuses niches fiscales dé­
favorables à l’environnement?
Pas du jour au lendemain, bien
sûr. Il est nécessaire de réfléchir à
la façon d’aider les secteurs
concernés à « transiter ». Prenez le

cas des taxis : supprimer leur taux
réduit de taxe intérieure de
consommation sur les produits
énergétiques [TICPE, taxe sur le
carburant], même dans dix ans
comme le propose un amende­
ment de la majorité, suppose d’or­
ganiser la discussion plus large­
ment : si on supprime cette niche
fiscale, est­ce que cela veut dire
que ce métier va disparaître?
Quelle place conservera le trans­
port individuel, à la demande? Il
faut aborder la fiscalité verte sous
un angle plus large, en réponse à
un besoin sociétal. Le projet de loi
de finances n’est qu’un bout de la
réponse. Il faut aussi intégrer
dans la discussion publique les
collectivités locales, les opéra­
teurs... Et mettre tout le monde en
mouvement. Cela suppose de
fixer un cap, et de s’y tenir.
propos recueillis par
audrey tonnelier

HORS -SÉRIE


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Nietzsche
L’éternelretour

Avec Dorian Astor, ClémentRosset,PeterSloterdijk,PhilippeSollers...

ÉDITION
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