Le Monde - 15.10.2019

(Ron) #1
0123
MARDI 15 OCTOBRE 2019 france| 9

Une fiscalité qui pèse surtout sur les ménages les plus modestes


INFOGRAPHIE : LE MONDE SOURCE : INSPECTION GÉNÉRALE DES FINANCES

MONTANTS DE LA FISCALITÉ ÉNERGÉTIQUE SUPPORTÉS PAR LES MÉNAGES
EN 2019, SELON LEUR REVENU
en % du revenu total
en euros


TAUX D’EFFORT DE LA FISCALITÉ ÉNERGÉTIQUE DES MÉNAGES EN 2019, SELON LEUR REVENU


145

0,

2,
0,
0,
0,

1,

0,4 0,

0,

0,

1,

0,

1,

0,

0,

170 185

205
240

705

205

645

180

585

170

500

155

425

145

715


4,


3,
2,

2,


1,


825


940


1030


1145


1 er 2 e 3 e 4 e 5 e 1 er 2 e 3 e 4 e 5 e

Quintiles Quintiles

Composante carbone

TIC hors composante carbone

Fiscalité sur l’électricité

La fiscalité énergétique totale représente
en moyenne 4,6 % du revenu total des 20 %
des ménages les plus modestes.

Les ménages les plus modestes
paient en moyenne 715 euros par an
de fiscalité énergétique
Les ménages sont
ordonnés selon leur
revenu total par unité
de consommation.
Les quintiles
les séparent en cinq
groupes d’eectifs
égaux : le premier
quintile correspond aux
20 % des ménages les
plus modestes, le
cinquième et dernier
quintile correspond
aux 20 % des ménages
les plus aisés.

Logement Un crédit d’impôt pour travaux


transformé en prime pour les plus modestes


La suppression par étapes, à partir de 2020, du dispositif de transition énergétique, qui
s’adressait jusque­là à tous les ménages, promet de vifs débats entre parlementaires

L


e débat risque d’être animé
à propos de l’article 4 du
projet de loi de finances
(PLF) pour 2020 sur le crédit d’im­
pôt pour la transition énergéti­
que. Ce dernier va être supprimé
par étapes en 2020­2021 et trans­
formé en prime réservée aux
plus modestes. Son enveloppe est
aussi sérieusement réduite.
Créé en 1999, le crédit d’impôt
en faveur du développement du­
rable (CIDD), devenu, au 1er sep­
tembre 2014, le crédit d’impôt
pour la transition énergétique
(CITE), s’adresse à tous les ména­
ges, y compris non imposables,
pour les inciter à réaliser des tra­
vaux d’économie d’énergie dans
leur résidence principale. C’est un
outil connu depuis vingt ans et de
plus en plus utilisé, notamment
depuis 2015, année où Ségolène
Royal, alors ministre de l’écologie,
a simplifié le dispositif et fixé
un taux unique de 30 % de réduc­
tion dans la limite de 8 000 euros
de travaux par personne,
16 000 euros pour un couple.
Le nombre de bénéficiaires a
doublé, passant de 660 654
en 2014 à 1,2 million en 2016, pour
redescendre à 1,1 million de ména­
ges en 2018. Le coût pour les finan­
ces publiques a aussi suivi ces
variations : il a dépassé 1,7 milliard
d’euros en 2016, a été ramené à
1,1 milliard d’euros en 2018 puis à
950 millions d’euros en 2019, le
périmètre des travaux éligibles
ayant été rétréci. Pour 2020, c’est
une enveloppe de 800 millions
d’euros qui est prévue.

Le projet de loi de finances va
donc supprimer dès 2020 tout
crédit d’impôt aux 20 % des mé­
nages les plus aisés (appartenant
aux déciles de revenus 9 et 10).
Il sera temporairement conservé
en 2020 pour les 30 % de foyers
aux revenus moyens (soit les
déciles 5 à 8) puis sera converti
en prime en 2021. Les 40 % des
ménages les plus modestes (déci­
les 1 à 4) ont droit à cette prime
dès 2020, le gouvernement sou­
haitant cibler la dépense sur ceux
qui en ont le plus besoin.

Complexité
Selon le rapport de juillet 2018
sur l’application des mesures fis­
cales du député des Hautes­Alpes
Joël Giraud (La République en
marche, LRM), 50 % des crédits
d’impôt vont aux 20 % des foyers
aux revenus les plus conforta­
bles. La conversion en prime ver­
sée dès la réalisation des travaux,
et non un an après, sera aussi
plus incitative, soulageant les
plus modestes de l’avance de tré­
sorerie. Pour ne pas inciter les
entrepreneurs et fournisseurs à
augmenter leurs prix, le gouver­
nement a par ailleurs publié une
liste de prix plafonds pour cha­
que matériel : chaudière, double
vitrage isolant, etc.
Plus ciblé et moins inflation­
niste, le nouveau mécanisme
pourrait décourager les ménages
plus solvables, donc les plus à
même de se lancer dans de tels
travaux. C’est ce que dénoncent
les artisans du bâtiment : « Le

transfert des aides des ménages les
plus aisés vers les plus modestes est
moralement louable mais contre­
productif d’un point de vue éco­
nomique et environnemental »,
écrit Patrick Liebus, le président
de la Confédération de l’artisanat
et des petites entreprises du bâti­
ment, dans un communiqué
publié mardi 1er octobre. Il y dé­
plore également la complexité du
nouveau système, estimant que
« la fiscalité est le moyen le plus effi­
cace pour lutter contre les consom­
mations d’énergie et les émissions
de CO 2 » et qu’« il faut au contraire
une massification des travaux ».
Toute incitation fiscale efficace a,
en effet, son revers : si elle est
très utilisée, elle devient coûteuse
pour les finances publiques.
« Le projet de loi et le nouveau
dispositif ne permettent à l’évi­
dence pas d’atteindre les objectifs
de 500 000 rénovations par an.
Cela fait dix ans que nous accu­
mulons du retard, or il y a un
consensus au Parlement pour ac­
célérer le rythme », remarque le

Transport Dans l’automobile,


l’amorce prudente d’un virage écologique


Le gouvernement vante comme mesures incitatives le bonus­malus ou la prime à la conversion


P


armi les mesures présen­
tées par le gouvernement
comme favorables à la
transition écologique, la politique
transport est mise en avant sur
trois axes : un verdissement des
dispositions d’incitation à l’achat
d’un nouveau véhicule (bonus­
malus, prime à la conversion), une
augmentation des dépenses de dé­
veloppement et d’amélioration
des infrastructures de transport,
et la création d’un forfait de mobi­
lité durable au travail.
En comparant avec ce qui s’est
fait dans les budgets précédents
en la matière, les choix d’investis­
sement marquent un virage écolo­
gique parfois inédit quant aux
orientations (ciblage vers la mobi­
lité propre, mise à contribution
des transports polluants dont l’aé­
rien), mais de nombreux observa­
teurs jugent qu’il est pris avec une
trop grande prudence.
En matière automobile, d’abord,
l’enveloppe dédiée au bonus pour
les véhicules très basse émission
(6 000 euros maximum) est aug­
mentée de 131 millions d’euros, ce
qui correspond à un doublement
des crédits affectés. Mais les pro­
fessionnels de l’automobile esti­
ment l’enveloppe notoirement in­
suffisante pour atteindre les ob­
jectifs fixés par la France et par
l’Union européenne en matière
de hausse du parc de véhicules

zéro émission (100 000 ventes en
France en 2020 contre 50 000
cette année) et de baisse du CO 2 du
secteur. L’industrie plaide pour
un budget bonus dépassant le de­
mi­milliard d’euros et pour un
soutien massif aux infrastructu­
res de recharge. L’Etat, il est vrai,
devrait engranger de nouvelles re­
cettes grâce à la taxation des véhi­
cules polluants. Le malus auto­
mobile calculé à partir du CO 2
émis par les véhicules est durci à
compter du 1er janvier.
L’Etat vante également le verdis­
sement de la prime à la conver­
sion, d’un montant maximum de
5 000 euros et versée lorsqu’on
remplace un véhicule ancien pol­
luant par un plus récent moins
polluant. Les critères d’éligibilité
sont durcis depuis août (exclusion
des diesels immatriculés avant
septembre).

En réalité, la mesure est aussi
faite pour maîtriser la hausse de
cette dépense. Depuis 2018 et l’ex­
tension du dispositif aux véhicu­
les d’occasion, le gouvernement a
recensé au moins 530 000 bénéfi­
ciaires (quelque 600 000 d’ici la
fin de l’année).

Faiblesse des investissements
En matière d’imposition des auto­
mobilistes, l’Etat est globalement
resté prudent. Pas d’écologie puni­
tive sur les carburants fossiles à
destination du particulier, comme
en 2018. Le facteur déclenchant la
crise des « gilets jaunes » – une sur­
taxe du gazole – est resté dans les
mémoires. Ce sont les transports
professionnels qui sont cette an­
née ciblés, avec la fin de la niche
fiscale sur le gazole non routier
(engins de chantier) et une « éco­
contribution » des poids lourds
(en fait une réduction de leur avan­
tage fiscal sur le gazole).
Le plus spectaculaire et le plus
nouveau est la taxe sur les billets
d’avion (de 1,50 à 18 euros) mise en
place au 1er janvier 2020. Ajoutée à
l’écocontribution poids lourds,
elle sera affectée à l’Agence de fi­
nancement des infrastructures de
transport en France (AFITF), per­
mettant une hausse de 500 mil­
lions d’euros de son budget, dont
la majorité des dépenses est de­
puis cette année consacrée au fer­

député écologiste (Libertés et ter­
ritoires, ex­LRM) du Maine­et­
Loire Matthieu Orphelin qui va
« déposer, avec des collègues de
plusieurs groupes, des amende­
ments dans ce sens, notamment
pour ouvrir le dispositif aux
bailleurs privés ».
Ainsi, la députée (non inscrite)
des Deux­Sèvres et ancienne
ministre de l’environnement,
Delphine Batho, son collègue Ber­
trand Pancher, élu (Libertés et ter­
ritoires) de la Meuse, et M. Orphe­
lin ont fait passer un amende­
ment lors de l’examen du projet
de loi de finances pour 2020,
le 7 octobre, en commission du
développement durable, qui pré­
voit que « dans un délai de trois
mois à compter de la promulga­
tion de la présente loi, le gouverne­
ment remette au Parlement un
rapport portant sur l’opportunité
d’élargir la prime de transition
énergétique aux propriétaires
bailleurs pour lutter contre la loca­
tion des passoires énergétiques ».
Le parc locatif privé est, il est
vrai, l’angle mort de la politique
de rénovation énergétique : 43 %
des 7 millions de logements privés
en France sont, en effet, classés F
et G dans le diagnostic de per­
formance énergétique. D’autres
amendements ont été adoptés,
comme celui de conserver le cré­
dit impôt aux contribuables les
plus aisés qui effectuent une
rénovation globale ou font poser
une chaudière à gaz à très haute
performance.
isabelle rey­lefebvre

roviaire plutôt qu’au routier. On
notera que, pour la première fois,
l’Etat va financer les infrastructu­
res cyclables à hauteur de 350 mil­
lions d’euros sur sept ans.
Si l’effort est substantiel en fa­
veur des infrastructures, il est
surtout rendu indispensable par
la faiblesse des investissements
de régénération des réseaux exis­
tants, ayant conduit à leur dégra­
dation. Les dépenses se concen­
trent sur les voies ferrées les plus
utilisées, et l’inquiétude demeure
dans les régions concernant l’ave­
nir de nombreuses petites lignes
aujourd’hui en voie de fermeture.
Quant au fret ferroviaire,
mode de transport éminemment
écologique, il est à l’agonie en
France sans qu’aucune mesure
forte de soutien soit pour le mo­
ment envisagée.
Enfin, la loi d’orientation des
mobilités, toujours en cours d’exa­
men au Parlement, prévoit la mise
en place d’un forfait mobilité du­
rable destiné aux salariés des en­
treprises (400 euros au maxi­
mum) et aux agents de l’Etat
(200 euros). Ce forfait est destiné à
soutenir le covoiturage et le vélo. Il
y a quand même un bémol : la me­
sure en elle­même n’est pas obli­
gatoire, c’est la négociation qui
l’est, et qui débouchera, ou pas, sur
la mise en place du forfait.
éric béziat

LE PROJET DE LOI 


DE FINANCES 


VA SUPPRIMER 


DÈS 2020 


TOUT CRÉDIT D’IMPÔT 


AUX 20 % DES MÉNAGES 


LES PLUS AISÉS


LE PLUS SPECTACULAIRE 


ET LE PLUS NOUVEAU 


EST LA TAXE SUR 


LES BILLETS D’AVION 


(DE 1,50 À 18 EUROS) 


MISE EN PLACE 


AU 1ER JANVIER 


Les débats ont aussi été agités
sur certaines mesures repeintes
en vert par l’exécutif, comme la
suppression de la niche fiscale
sur le gazole non routier. Initiale­
ment destinée en 2018 à financer
la loi Pacte, puis reportée d’un an
pour cause de grogne des PME du
BTP (elles aussi descendues sur
les ronds­points), l’extinction du
dispositif (d’un montant total de
900 millions d’euros) figure fina­
lement dans le budget 2020. Mais
avec un horizon de trois ans pour
sa disparition totale, et avec des
compensations pour l’achat de
véhicules moins polluants. Cela
rapportera 200 millions d’euros
seulement en 2020. Les secteurs
concernés précisément ont
donné lieu à plusieurs amende­
ments, y compris de la majorité,
estimant que certains n’avaient
pas d’autre solution possible.
En matière de fiscalité verte, « il
nous faut trouver le bon équilibre
entre l’environnemental, l’écono­
mique et le social, sans remettre
le feu au pays », résume Béné­
dicte Peyrol, ancienne porte­pa­
role LRM de la commission des
finances, désormais vice­prési­
dente du groupe parlementaire
de la majorité.
Plus facile à dire qu’à faire. L’an­
nexe budgétaire sur le finance­
ment de la transition écologique,
publiée vendredi 11 octobre au
terme de multiples allers­retours
entre Bercy et le ministère de la
transition écologique et solidaire,
est venue rappeler combien la
fiscalité verte pèse davantage, en
proportion, sur les Français les
plus modestes, même s’ils
paient moins en valeur. Selon ce
document, les 20 % de ménages
les plus pauvres ont payé en
moyenne 715 euros de fiscalité
énergétique en 2019, contre
1 145 euros pour les 20 % plus
aisés. Mais ces taxes ne repré­
sentent que 1,1 % du revenu de
ces derniers, contre 4,6 % de celui
des plus modestes.

Les députés phosphorent donc.
Eric Woerth, président (LR) de la
commission des finances de l’As­
semblée nationale, a déposé un
amendement visant à « verdir »
les principaux impôts, à com­
mencer par la TVA, afin de « sor­
tir d’une logique punitive pour fi­
nancer les dépenses en matière de
transition écologique ». La propo­
sition ne sera pas retenue cette
année, mais elle vise cependant
à ouvrir le débat et plaît côté ma­
jorité. « Une TVA verte serait in­
téressante, car elle serait intégrée
dans la fiscalité existante, sans
l’augmenter, estime Bénédicte
Peyrol. Ce que l’on n’a pas su
faire avec la taxe intérieure de
consommation sur les produits
énergétiques [TICPE, la taxe sur
les carburants]. »

« VISION GLOBALE »
Pour Valérie Rabault, présidente
du groupe socialiste à l’Assem­
blée nationale, « il faudrait une
vision globale sur la fiscalité éco­
logique, dont les ménages paient
aujourd’hui les deux tiers. Il faut
aussi inclure les entreprises, sinon
le débat est biaisé ». La commis­
sion des finances a par ailleurs
adopté un amendement de Bé­
nédicte Peyrol visant à faire dis­
paraître, d’ici dix ans, les princi­
pales niches fiscales défavora­
bles à l’environnement (taux ré­
duits de TICPE pour les taxis,
remboursement partiel pour les
agriculteurs, les transports en
commun...). Il devra être revoté
dans l’Hémicycle la semaine pro­
chaine pour être inscrit dans la
loi de finances.
« Cela va dans le bon sens, mais
pourquoi attendre dix ans? C’est
maintenant qu’il faut passer aux
travaux pratiques », presse Mat­
thieu Orphelin. « Bien sûr, ce n’est
pas assez, mais c’est une étape. Et
il faudra discuter des mécanismes
de compensation. Mais cela fait
trois ans que l’on parle de suppri­
mer les dépenses fiscales, et per­
sonne ne fait rien! », s’agace Bé­
nédicte Peyrol, qui estime que
« cela ne fait pas du tout écho
dans les ministères ».
Manière de renvoyer la balle à
un exécutif jugé peu coopératif.
« Bercy est très fermé sur le sujet.
Avec le ministère de la tran­
sition écologique et solidaire, on
échange, mais, au final, ce ne
sont pas eux qui ont la main », as­
sène la députée. Réconcilier
« fin de mois » et « fin du
monde » ne semble pas encore
au programme.
audrey tonnelier

LA COMMISSION 


DES FINANCES A ADOPTÉ 


UN AMENDEMENT VISANT 


À FAIRE DISPARAÎTRE, 


D’ICI DIX ANS, 


LES PRINCIPALES NICHES 


FISCALES DÉFAVORABLES 


À L’ENVIRONNEMENT

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