les et leurs milices ont pénétré mercredi dans
la ville de Kobané, où les combattants kurdes
avaient réussi à repousser l’Etat islamique (EI)
début 2015, et se préparent à revenir à Raqqa.
Elles ont déjà pris le contrôle de Tabqa, où se
trouvent un barrage et une base aérienne. Elles
se rapprochent enfin de Manbij, principal
nœud commercial du nord de la Syrie. Le tout
sans combattre, ou presque. La Russie, qui a
parrainé l’accord entre les Kurdes et le régime
de Bachar al-Assad (lire ci-contre), a fait savoir
qu’elle ne voulait pas d’affrontements entre les
armées turque et syrienne. Sa police militaire
patrouille sur les lignes les séparant, pour évi-
ter qu’elles ne dégénèrent en lignes de front.
Drones. Jusqu’à l’annonce d’un cessez-le-feu
jeudi soir (lire ci-contre), les combats se con-
centraient dans une ville frontalière de la Tur-
quie, Ras al-Ain. Les forces turques comptent
des soldats des forces spéciales et peuvent
s’appuyer sur leur domination aérienne, aussi
bien pour bombarder avec des avions de
chasse que pour repérer les positions kurdes
avec des drones. Elles ont aussi le soutien de
milliers de miliciens syriens. Ceux-ci sont issus
d’une vaste coalition, créée début octobre et
baptisée «armée nationale syrienne». Celle-ci
n’a rien à voir avec l’armée de Bachar al-Assad.
Elle est à l’inverse composée de groupes qui
l’ont combattue ou la combattent encore. Au
total, une trentaine de formations sont repré-
sentées et environ 14 000 combattants seraient
impliqués, un chiffre difficilement vérifiable.
Certains de ses groupes sont issus de l’Armée
syrienne libre (ASL), qui s’est formée à partir
de 2011 lorsque des soldats et des officiers de
l’armée syrienne ont déserté pour rejoindre la
révolution contre Bachar al-Assad. Plusieurs
ont été financés par les Etats-Unis, via un cen-
tre d’opérations basé en Turquie, et aujourd’hui
fermé, ou directement par le Pentagone. D’au-
tres, tel Jaish al-Islam, autrefois actif dans la
Ghouta, en banlieue de Damas, sont radicaux,
voire jihadistes, comme Ahrar al-Sharkiya, qui
s’était formé à Deir el-Zor. La coalition compte
enfin des combattants turkmènes qui brandis-
sent régulièrement des drapeaux turcs.
Atrocités. «Il n’y a pas d’unité idéologique
parmi ces groupes. Leur seul point commun est
qu’ils se sont établis à un moment ou à un autre
dans la région d’Alep», explique Thomas Pier-
ret, chercheur au CNRS. Plusieurs ont par
ailleurs été entraînés en Turquie avant d’être
renvoyés en Syrie. Ankara les avait déjà utilisés
comme supplétifs lors de son opération contre
le canton d’Afrin, une enclave kurde au nord
d’Alep, début 2018. Depuis le début de la der-
nière offensive turque, ils ont commis plusieurs
atrocités, dont le lynchage d’une responsable
kurde, Havrin Khalaf, capturée et assassinée
au bord d’une route le 12 octobre.
Leurs ennemis désignés sont aujourd’hui les
Forces démocratiques syriennes. Leur création
remonte à 2015, alors que la coalition interna-
tionale s’engageait contre l’EI dans le Nord-Est
syrien. Elles sont dirigées par des Kurdes des
YPG (Unités de protection du peuple), une
branche armée affiliée au PKK actif en Turquie.
Au fil des mois, ils ont recruté des combattants
arabes de la région. Ce sont eux qui étaient en
première ligne, au sol, dans les combats contre
l’Etat islamique. La coalition, qui les a armés
et parfois entraînés, les soutenait avec son
aviation et des forces spéciales, notamment
américaines, françaises et britanniques.
Les FDS ont progressé au fil des mois, repre-
nant les villes proches de la frontière turque
avant de descendre vers Raqqa, reconquise en
octobre 2017. Elles poursuivront ensuite vers
le sud, jusqu’au combat final contre le «califat»
jihadiste à Al-Baghouz, dans le sud-est du
pays, aux confins de la Syrie et de l’Irak, ce
printemps. C’est cette dernière victoire qui fera
dire à Donald Trump le 6 octobre que les Etats-
Unis avaient reconquis «à 100 %» le territoire
de l’EI. Et c’est cet argument qu’il avancera
pour justifier le retrait des troupes américaines
du Nord-Est syrien, ouvrant la voie à l’attaque
turque. Acculés, les responsables kurdes expli-
queront le 13 octobre qu’ils n’ont d’autre choix
que de passer un accord militaire avec le ré-
gime de Bachar al-Assad et la Russie, signant
de fait la fin du Rojava, cette région autonome
que les FDS avaient mission de défendre.
Luc Mathieu
Q
ui se bat contre qui? Lorsque l’armée
turque a lancé le 9 octobre, son offen-
sive dans le Nord-Est syrien, les belli-
gérants se répartissaient en deux blocs : d’un
côté les forces spéciales turques associées à
plusieurs milliers de combattants syriens issus
de l’opposition au régime de Bachar al-Assad ;
de l’autre, les Forces démocratiques syriennes
(FDS), une alliance kurdo-arabe. Mais depuis
le 13 octobre, ce sont deux autres acteurs qui se
sont imposés dans la région : l’armée syrienne
et son alliée russe. Les forces gouvernementa-
Un convoi de militaires
syriens et russes
à proximité de Kobané,
mercredi. Photo AFP
Supplétifs, parrains...
des forces en présence
très diverses
Depuis le début de leur
offensive, les Turcs s’appuient
sur des milliers de rebelles
anti-Assad, tandis que le régime
et son allié russe dépêchent
des troupes dans les zones
kurdes en soutien aux FDS.
syrien. Après avoir rejoint le concert
de condamnations internationales
en qualifiant l’attaque turque d’«in-
acceptable», Moscou avait ajouté
que l’opération devrait être «limitée
dans le temps et dans l’espace». Et a
commencé à œuvrer très vite pour
qu’il en soit ainsi, en multipliant ini-
tiatives et pourparlers. Les forces
kurdes, en plein désarroi après la
trahison américaine, ont été accu-
lées à faire appel au régime de Ba-
char al-Assad. Leurs dirigeants ont
été invités dimanche sur la base
russe de Hmeimim, sur la côte sy-
rienne, pour s’entendre avec les offi-
ciers de l’armée syrienne. Encadrée
par des soldats russes, celle-ci se dé-
ploie en plusieurs points stratégi-
ques de la région contrôlée depuis
des années par l’autorité autonome
kurde, sans jamais avoir pénétré
dans la «zone sécurisée» définie par
Erdogan (trente kilomètres en Sy-
rie), jusqu’à la prise de la ville fronta-
lière de Kobané, mercredi soir.
Maître du jeu
Dans le même temps, les Russes ont
promis aux Turcs que les milices
kurdes du YPG seraient totalement
évacuées de cette même zone. «Si la
Russie, accompagnée par l’armée sy-
rienne, éloigne les Suite page 4
Libération Vendredi 18 Octobre 2019 http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 3