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DIMANCHE 20 LUNDI 21 OCTOBRE 2019 | 11
Les multiples vies de l’Australien Eddie Jones
Le coach de l’Angleterre, qui était opposée à l’Australie en quart du Mondial samedi, a aussi des origines japonaises
londres correspondance
U
n mélange d’émo
tions devait agiter Ed
die Jones avant le
quart de finale Angle
terreAustralie, samedi 19 octo
bre, en Coupe du monde de rugby
au Japon. L’homme entraîne l’An
gleterre, mais il est à moitié Aus
tralien. Il est aussi de mère japo
naise, marié à une Japonaise et a
entraîné l’équipe du Japon. Tou
tes ses vies, identités, amours et
déceptions se trouvaient rassem
blées pour un affrontement de
quatrevingts minutes.
Eddie Jones, 59 ans, l’un des en
traîneurs les plus expérimentés
de ce Mondial, est une star au Ja
pon. Des publicités le montrent
faisant la promotion d’une mar
que de gin, avec le slogan : « Eddie
recommande. » Il fait aussi la pro
motion de sacs pour hommes.
En 2015, la banque d’affaires amé
ricaine Goldman Sachs l’a nom
mé conseiller sur le Japon.
Cette élévation tient à un match
d’anthologie lors de la Coupe du
monde 2015. Avec une victoire
historique (3432) contre l’Afrique
du Sud, arrachée à la 84e minute,
l’équipe nippone avait, pour la
première fois, réalisé qu’elle pou
vait jouer dans la cour des grands.
Quatre ans plus tard, les Japonais
sont en quarts de finale du Mon
dial, tandis qu’Eddie Jones est de
venu coach du Quinze de la Rose.
En 2015, la victoire avait été
d’autant plus savoureuse que
l’Australien avait poussé un in
croyable coup de gueule public
trois ans plus tôt, après une défaite
contre la France. Bras croisés, re
gard noir, l’entraîneur s’était lâché,
dans un pays qui a horreur du
conflit public. « On a très mal joué.
(...) J’étais vraiment déçu de l’éner
gie dégagée par les joueurs. (...) Cela
donne l’impression qu’ils n’ont pas
envie de jouer pour le Japon. » A son
capitaine, assis à ses côtés, qui ca
chait sa gêne derrière un petit rire,
il avait répliqué, glacial : « Ce n’est
pas drôle. Vraiment pas. »
Accent traînant, franchise brute
Quelques années plus tard, il se fé
licitait encore d’avoir dit ses qua
tre vérités aux Japonais. « C’est la
meilleure chose que j’ai faite. Cela a
aidé à changer l’état d’esprit des
Japonais, qui était une équipe qui
faisait des efforts mais se conten
tait d’être battue honorablement.
Il a fallu que j’explique que perdre
n’était pas acceptable. »
Une grande partie d’Eddie Jones
est là. Accent traînant, franchise
brute, sens de la gagne : pas de
doute, il est Australien. Mais son
visage métissé, sa carrière inter
nationale et sa famille multicul
turelle apportent un vernis diffé
rent, qui permet sans doute de
percer plus facilement les cultu
res étrangères.
« J’ai été éduqué à 100 % comme
un Australien. Je n’avais rien à voir
avec le Japon ou sa culture », expli
quaitil récemment dans un entre
tien avec Clive Woodward, exen
traîneur de l’Angleterre. Sa mère
était japonaise, mais elle avait
grandi en Californie. « Elle avait un
visage japonais mais, en gros, elle
était Américaine. »
Ce n’est qu’à 31 ans qu’Eddie Jo
nes a mis les pieds pour la pre
mière fois au pays du SoleilLe
vant. Après une carrière de joueur
sans grand exploit, il commence à
entraîner à l’université de Rand
wick, en Australie. Une équipe uni
versitaire japonaise, installée sur
le même campus, lui demande de
l’aide. Cela se passe bien et elle lui
offre un poste au Japon.
Entraîneur de rugby au Japon
dans les années 1990... A l’époque,
le monde du ballon ovale regarde
les Japonais de haut et le drôle de
choix de carrière de l’Australien est
considéré au mieux comme exoti
que. « Tout le monde disait que
j’étais fou. J’ai tout abandonné,
mais c’est parce que je voulais vrai
ment devenir entraîneur. »
Résultats en dents de scie
Eddie Jones ne restera pas long
temps, assez cependant pour ren
contrer sa future femme. Les an
nées suivantes, sa carrière tarde à
décoller : un travail qui tourne
court aux Saracens, une forma
tion anglaise, un retour au Japon,
où il travaille dans un lycée, puis la
direction des Brumbies, une
équipe australienne.
Progressivement, sa passion du
jeu, qu’il décortique de façon ob
sessionnelle, se met à payer. Il
prend la tête de l’équipe d’Austra
lie en 2001. Ses séances d’entraî
nement sont physiques, et il ne
cache pas un petit penchant pour
la confrontation. « Ma mère était
très dure, sans doute trop dure.
J’ai hérité ça d’elle. »
Par médias interposés, lui et
Clive Woodward, alors entraîneur
de l’Angleterre, se provoquent.
Eddie Jones en garde un excellent
souvenir. « Clive et moi nous som
mes bien amusés. » Le clash final se
déroule en finale de la Coupe du
monde de 2003. Un drop de Jonny
Wilkinson, star du Quinze de la
Rose, offre la victoire aux Anglais
dans les dernières secondes. « J’ai
mis du temps à m’en remettre », re
connaît Eddie Jones.
Il part quelques années plus tard
comme simple conseiller des Sud
africains, qui remportent la Coupe
du monde. Puis de nouveau direc
tion le Japon, d’abord pour
l’équipe Suntory Sungoliath, puis
pour l’équipe nationale. En 2015,
enfin, Eddie Jones arrive à la tête
d’une Angleterre en crise, sortie
en Coupe du monde à domicile
dès les poules éliminatoires.
Depuis, les résultats sont en
dents de scie : victoire au Tour
noi des Six Nations en 2016
(grand Chelem) et 2017, puis une
année 2018 catastrophique (sept
défaites consécutives), avant
d’arriver à la Coupe du monde
plutôt en forme. Les charmes de
la compétition ont voulu qu’Ed
die Jones trouve l’Australie sur
son chemin en quarts de finale.
Pas de quoi l’ébranler. « Je suis
Australien, j’aime l’Australie. Mais
je suis professionnel et il n’y a
aucun conflit d’intérêts », avaitil
prévenu dès 2017.
éric albert
Ce n’est
qu’à 31 ans
qu’Eddie Jones
a mis les pieds
pour la première
fois au pays
du Soleil-Levant
Pour le XV de France,
désormais, c’est le pied
A l’inverse des Gallois, qu’ils doivent affronter
dimanche en quarts, les Français ont longtemps
négligé le jeu au pied défensif ou offensif
oita (japon) envoyé spécial
O
n a vu un ballon voler. A
Oita (Japon), ces derniers
jours, même si les séan
ces d’entraînement de l’équipe de
France de rugby ont été masquées
au regard des curieux, on a pu
apercevoir des ballons tapés haut,
qui rappellent un élément impor
tant : le XV de France a décidé de
travailler le jeu au pied.
Dans le rugby de 2019, ce jeu au
pied est devenu une composante
essentielle, pour mettre la pres
sion sur l’adversaire, comme le
rappelle le troisquarts centre
français Gaël Fickou : « C’est une
arme redoutable ». Certaines équi
pes l’utilisent énormément. Plus
que nous. » Comme les Gallois, que
les Bleus doivent affronter diman
che 20 octobre en quarts de finale
de la Coupe du monde, à Oita.
Les Bleus en ont seulement pris
conscience lors du dernier Tour
noi des Six Nations. En mars, ils
quittaient la compétition sur
une triste quatrième place et
trois défaites, contre les Gallois,
les Anglais, puis les Irlandais.
« Contre les Anglais et les Gal
lois », ce jeu au pied « nous a coûté
cher », estime Fickou.
« Stratégie mieux en place »
L’habitude voudrait que les Fran
çais privilégient le jeu à la main, le
redoublement de passes, plutôt
que de longs coups de pied. Voilà
pour le cliché... qui correspond à
une certaine réalité. « J’ai été
formé à l’ouverture jusqu’à mes
18 ans et je ne devais pas taper, ra
conte le centre Sofiane Guitoune.
C’était jeu à la main avant tout. »
« Le rugby français, dans sa tradi
tion, n’est pas porté à se débarras
ser du ballon » au pied, résume le
sélectionneur Jacques Brunel.
« A Toulouse, on est réputés pour
jouer à la main, mais on a mon
tré qu’on savait aussi utiliser le
pied quand il le fallait, nuance
l’ouvreur Romain Ntamack, jeune
champion de France. C’est une
arme qui fonctionne : on l’utilise
peut être un peu plus. Parfois pas
assez, mais on essaye de l’utiliser
à bon escient. »
Depuis le début du Mondial,
« la stratégie est mieux en place »
en défense, pour faire face aux
coups de pied adverses, à en
croire Fickou. « On est mieux ré
partis. On a appuyé sur ce point,
qui sera primordial. »
Stratégie encore en rodage : face
aux Tonga (victoire 2321), les
Bleus ont « pris un essai gag », re
connaît l’arrière Maxime Mé
dard, pour n’avoir laissé qu’un
seul joueur en couverture en dé
fense, au lieu de deux. « On pen
sait qu’ils allaient jouer davan
tage physique et moins au pied. En
réalité, ils ont joué au pied... »
Les Français ont aussi tapé pour
mettre la pression dans le camp
d’en face. Ce sont deux coups de
pied qui ont entraîné autant d’es
sais contre les EtatsUnis (339).
« Dès que tu mets de la vitesse,
que tu gagnes tes duels et que tu
alternes jeu à la main et jeu au
pied pour faire reculer l’adver
saire », ce dernier est « en diffi
culté », fait valoir Fickou.
Le quatrième et dernier match
de poule, samedi 12 octobre, con
tre l’Angleterre, aurait pu per
mettre de mesurer l’écart entre
ces bonnes résolutions et leur
application. Le typhon Hagibis
en a décidé autrement : le match
n’a pas pu avoir lieu.
Avant cette annulation, Mé
dard, face à des Anglais qui « t’ac
culent chez toi, te mettent beau
coup de pression par du jeu au
pied, par des rasants », préconi
sait, pour la défense, de « mettre
en place une stratégie avec un
troisième rideau important. »
Un tel déploiement pourrait
avoir son utilité face aux Gallois,
qui, eux aussi, ont « une capacité à
mettre la pression sur l’adver
saire », précise Jacques Brunel.
Sans que le sélectionneur ait be
soin de le préciser : au pied.
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