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DIMANCHE 20 LUNDI 21 OCTOBRE 2019 économie & entreprise| 15
A la SNCF,
les débrayages
se poursuivent
La grève, liée à un accident dans
les Ardennes, survient alors que
les cheminots dénoncent la réforme
ferroviaire et celle des retraites
P
our le deuxième jour
d’affilée, samedi 19 octo
bre, qui ouvre la période
de grands départs en
congés scolaires à l’occasion de la
Toussaint, la SNCF s’attendait à
un trafic encore très perturbé. Elle
a pris la décision de supprimer
l’ensemble des TGV à petit prix
Ouigo, où les débrayages ont été
nombreux. En revanche, le trafic
des TGV classiques devait être
quasi normal ou en tout cas équi
valent à celui du vendredi : trafic
normal vers le Nord et l’Est, neuf
TGV sur dix entre Paris, Lyon et
Marseille ainsi que vers la Breta
gne et le SudOuest.
Pour le reste, sans avoir de possi
bilité de prévoir le trafic, la SNCF
supposait que les perturbations
seraient similaires à celles de la
veille. Elle a prévenu les voya
geurs des TER et trains Intercités
que la plupart des correspondan
ces risquaient de ne pas être assu
rées et elle les a invités à reporter
leur voyage ou à utiliser des
moyens alternatifs.
Tout a commencé vendredi,
quand des dizaines de contrô
leurs et de conducteurs ont dé
brayé sans préavis partout en
France, faisant valoir leur droit
de retrait et perturbant, ce fai
sant, le trafic sur de nombreuses
lignes SNCF, en particulier dans
les trains régionaux (TER) et sur
le réseau des trains de banlieue et
RER (Transilien).
Ce mouvement avait alors sur
pris par sa vigueur. Environ un
train Intercités et un TER sur deux
ont circulé ce jourlà, selon la
SNCF, avec de fortes disparités
selon les régions : en Occitanie,
NouvelleAquitaine et Pays de la
Loire ou ProvenceAlpesCôte
d’Azur, le trafic était très perturbé.
En IledeFrance, 67 % des Transi
lien ont assuré leur service, mais,
là encore, avec des lignes plus tou
chées que d’autres, comme celles
des RER B et D.
Colère et exaspération
Cet éclat soudain trouve son ori
gine dans un accident impliquant
un TER survenu mercredi dans les
Ardennes, et à la suite duquel les
cheminots ont demandé à exer
cer leur droit de retrait. Le train en
question a percuté un convoi rou
tier à un passage à niveau, situé à
SaintPierresurVence, endom
mageant très sérieusement
l’avant de l’autorail et faisant légè
rement dérailler la rame.
D’après la CGT, le conducteur,
qui était le seul agent à bord, a dû,
contusionné et légèrement blessé
à la jambe, sortir pour sécuriser la
voie afin d’éviter une collision,
parce que le système d’alerte ra
dio était hors service en raison de
la violence du choc. Dans cet in
tervalle, il a été contraint de lais
ser les passagers seuls, onze d’en
tre eux étant blessés de manière
superficielle.
« L’événement de sécurité »,
ainsi qu’il est qualifié à la SNCF,
a causé un vif émoi au sein de
la communauté cheminote. Tou
te la journée de jeudi, le récit a
tourné en boucle sur les réseaux
sociaux, alimentant à la fois co
lère et exaspération. En cause :
Tout est motif à irritation : une
série d’agressions d’agents en Ile
deFrance, en début de semaine, a
fait monter la pression chez Tran
silien. De nouvelles procédures
techniques envisagées pour le dé
part des trains inquiètent égale
ment les conducteurs.
Trois propositions de la direction
Et puis il y a la réforme des retrai
tes, qui prévoit de faire disparaître
l’avantageux régime spécial des
cheminots. Deux syndicats de
la SNCF (UNSAFerroviaire et
SUDRail) ont appelé à se joindre
à la grève illimitée lancée sur ce
thème par les représentants
des salariés de la RATP, le jeudi
5 décembre.
« Au fond, cet épisode est un pre
mier tour de chauffe de la CGT
avant la bataille des retraites, ana
lyse un expert du dialogue social
à la SNCF. La CGT, qui s’était fait de
vancer par SUD et l’UNSA dans
l’appel à la grève, prend prétexte de
l’accident pour montrer ses mus
cles et tester sa force de frappe. »
Instrumentalisation ou pas, les
craintes sont bien réelles. Si le
gouvernement et la direction de
la SNCF ont critiqué une utilisa
tion dévoyée du droit de retrait –
« hors du cadre légal », a estimé le
secrétaire d’Etat aux transports,
JeanBaptiste Djebbari –, deux
réunions se sont tenues au siège
du groupe ferroviaire pour ten
ter de rassurer et de remettre, par
la même occasion, les cheminots
au travail.
La séance de négociation de fin
de journée, qui réunissait les
quatre syndicats représentatifs
de la SNCF (CGT, UNSA, SUD et
CFDT), a abouti, au bout de pres
que six heures de discussions,
à trois propositions de la direc
tion : une modification des trains
pour rendre les dispositifs
d’alerte radio moins vulnérables
aux grands chocs, un report de
trois à six mois des nouvelles
procédures de départ des trains
et des embauches d’agents de la
police ferroviaire, en particulier
en IledeFrance.
Manifestement, ces proposi
tions n’ont pas fait l’unanimité.
« Six heures de négociations pour
aucune annonce, a ainsi tweeté
Laurent Brun, le secrétaire géné
ral de la CGTCheminots. Ils ont
choisi le pourrissement. » « Les sa
lariés qui ne prennent pas leur
poste de travail se mettent en si
tuation irrégulière, prévient la di
rection. Ils ne seront pas payés. »
L’heure est une nouvelle fois à
l’épreuve de force. Au grand dé
sarroi des voyageurs.
éric béziat
Un TER a percuté un convoi routier à un passage à niveau, à SaintPierresurVence (Ardennes), le 16 octobre. AURÉLIEN LAUDY/PHOTOPQR/L’UNION DE REIMS/MAXPPP
737 MAX : Boeing soupçonné de dissimulation
Le régulateur américain accuse l’avionneur de lui avoir caché des documents importants
new york correspondant
Y
atil eu négligence ou vo
lonté frauduleuse de la
part de Boeing dans la cer
tification de ses avions 737 MAX,
dont deux se sont écrasés – en In
donésie en octobre 2018 et en
Ethiopie en mars 2019 –, faisant
au total 346 morts? Le doute est
permis depuis la publication, ven
dredi 18 octobre, d’échanges entre
le pilote d’essais en chef du cons
tructeur, Mark Forkner, et l’un de
ses collègues, Patrick Gustavsson,
lors de la procédure de certifica
tion de l’appareil, en 2016.
Il y est question d’essais dans un
simulateur et du système antidé
crochage, le MCAS, qui s’est de
puis révélé déficient et serait res
ponsable des deux accidents. Il
« déraille dans le simulateur », s’in
quiète ce jourlà M. Forkner, qui
ajoute : « Bon, je suis nul en pilo
tage, mais ça, c’était flagrant. »
M. Gustavsson fait alors remar
quer qu’il va falloir actualiser les
instructions dans le manuel de
vol. « En gros, ça veut dire que j’ai
menti aux régulateurs sans le sa
voir », répond M. Forkner. Son col
lègue poursuit : « Ce n’était pas un
mensonge. Personne ne nous avait
dit que c’était comme ça. »
De fait, huit mois plus tôt,
Mark Forkner avait demandé à
l’Agence fédérale américaine de
l’aviation (FAA) de ne pas faire
mention du MCAS dans le ma
nuel de vol. Convaincue que le dis
positif informatique n’était pas
dangereux, la FAA avait donné
son assentiment. Cet échange né
cessitera une exégèse approfon
die pour savoir s’il a été suivi de
mesures correctives et si l’actuali
sation du manuel aurait permis
d’éviter les accidents.
« Comportement délictueux »
Sa publication a provoqué un
choc majeur, parce que Boeing en
avait connaissance depuis février.
Le constructeur de Seattle (Etat de
Washington) avait alors transmis
le document à la justice améri
caine, mais pas au ministère des
transports et à la FAA, qui en dé
pend. Cette dernière est furieuse.
Son administrateur, Steve Dick
son, a écrit, vendredi, une lettre
comminatoire de quatre lignes au
PDG de Boeing, Dennis Mui
lenburg : « Je crois comprendre
que Boeing a découvert le docu
ment dans ses archives il y a quel
ques mois. J’attends de vous une
explication immédiate concer
nant ce document et le délai mis
par Boeing à déclarer ce document
à son autorité de régulation. »
A Wall Street, c’était la panique,
l’action de l’avionneur dévissant
de 6,8 %, à 344 dollars (309 euros).
L’audition de M. Muilenburg, pré
vue le 29 octobre au Sénat, puis le
lendemain à la Chambre des re
présentants, s’annonce houleuse.
Il a été déchu de son titre de prési
dent du conseil d’administration
de Boeing et n’en est plus que di
recteur général.
« C’est la preuve manquante. Ce
n’est plus juste une défaillance de
régulation ou une défaillance cul
turelle. Cela commence à ressem
bler à un comportement délic
tueux », accuse, dans un entretien
au New York Times, Peter DeFazio,
représentant démocrate de l’Ore
gon au Congrès et président de la
commission des transports.
Boeing est soupçonné d’avoir
privilégié sa rentabilité et sa part
de marché aux dépens de la sécu
rité. L’affaire remonte à 2011, alors
que l’avionneur était sous pres
sion face à la concurrence de
l’A320 Neo d’Airbus. Plutôt que de
se lancer dans la conception d’un
nouvel appareil qui aurait pris
une décennie, il a décidé de mo
derniser son 737, conçu dans les
années 1960. Il fallait un plus
grand rayon d’action. C’est pour
cela que Boeing a décidé d’équi
per l’avion de moteurs plus
lourds, ce qui a eu pour consé
quence d’augmenter les risques
de décrochage. Ceuxci étaient
censés être compensés par le fa
meux système informatique
MCAS, qui a été installé à l’écono
mie, avec un seul capteur.
Le premier appareil, mis au
point à une vitesse expresse, est
sorti des chaînes de production en
novembre 2015. Le 737 MAX a été
un succès commercial immédiat,
avec 5 000 commandes enregis
trées. En outre, il avait l’avantage
de ne pas nécessiter de nouvelle
formation des pilotes de 737 tradi
tionnels. Jusqu’à son immobilisa
tion, le 13 mars 2019, dans la foulée
de l’accident survenu en Ethiopie.
A ce momentlà, près de cin
quante compagnies exploitaient
376 appareils, effectuant plus de
8 500 vols par semaine.
L’avionneur continue de pro
duire une quarantaine de
737 MAX par mois, qui s’entassent
sur le tarmac de Seattle. Début oc
tobre, un panel d’experts améri
cains et d’autorités de régulation
étrangères avaient sévèrement
critiqué Boeing, mais aussi le rôle
de la FAA dans la certification du
737 MAX : « La FAA n’avait pas une
connaissance suffisante du MCAS
ce qui, associé à sa faible implica
tion, l’a rendue incapable de four
nir une évaluation indépen
dante », accusaient les experts.
L’Agence européenne de la sécu
rité aérienne a d’ailleurs informé
la FAA qu’elle n’était pas satisfaite
de la démonstration effectuée par
cette dernière et Boeing pour
prouver la fiabilité du nouveau
système de contrôle de vol. A cette
aune, une reprise des vols en 2019
paraît de plus en plus incertaine.
arnaud leparmentier
le mode d’exploitation « équipe
ment agent seul » – c’estàdire
un conducteur, mais pas de con
trôleur –, qui n’a jamais été ad
mis par une partie des chemi
nots, et en particulier par la CGT.
Ce système a été mis en place
graduellement ces dernières an
nées dans les autorails TER (80 %
des trains régionaux n’ont plus
de contrôleurs), mais il existe de
puis trente ans dans les trains de
banlieue et les RER de la région
parisienne.
Plus profondément, l’accident
du TER a fait sauter le couvercle
de la cocotteminute sociale qui
bouillait depuis déjà quelque
temps à la SNCF. Humilié en 2018
par l’échec de sa grève de trois
mois contre la réforme ferro
viaire, le corps social cheminot vit
avec amertume et animosité les
négociations actuelles destinées
à mettre en place, dès le 1er jan
vier 2020, cette nouvelle SNCF –
une société anonyme, sans em
bauche au statut, ouverte à la con
currence – qu’il rejette.
« Au fond, cet
épisode est un
premier tour de
chauffe de la CGT
avant la bataille
des retraites »
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