32 // FINANCE & MARCHES Lundi 14 octobre 2019 Les Echos
Edouard Lederer
@EdouardLederer
La semaine écoulée a été mouve-
mentée pour Crédit Mutuel Arkéa.
Mercredi, elle confirmait que sa
filiale d’assurance Suravenir avait
dû être recapitalisée pour affronter
l’environnement de taux bas qui
pose problème à de n ombreux assu-
reurs. Jeudi, la justice européenne
reconnaissait définitivement le rôle
de l’organe central du Crédit Mutuel
(CNCM) dans la supervision de la
banque bretonne. Il apparaît à pré-
sent que le projet de reprise par
Arkéa de Socram Banque (actuelle-
ment détenu par la Macif, la Maif,
Matmut et BPCE) n’a pas abouti.
Dans le contexte explosif du pro-
jet de divorce d’A rkéa – qui cherche
à quitter le groupe Crédit Mutuel –
la moindre information est aussi
disséquée sous cet angle : le « projet
Liberté » – comme le baptise Arkéa,
tient-il toujours? « Les échanges
avec les superviseurs se poursuivent
en vue de finaliser le projet d ’indépen-
dance du groupe Arkéa », insiste la
banque. Mais nombre de questions
restent en suspens.
(^1) QUE CHANGE
LA RECAPITALISATION
DE SURAVENIR?
Les montants engagés ne sont pas
anodins. Selon nos informations
(« Les Echos » du 9 octobre), Sura-
venir a dû être recapitalisée de
540 millions d’euros avant l’été par
sa maison mère. « La solidité de la
filiale reste intacte avec un nouveau
résultat record attendu pour 2019 »,
affirme Arkéa qui revendique
7,7 milliards d’euros de fonds pro-
pres. « L’impact sur le ratio de solva-
bilité d’Arkéa est de 103 points de
base », calcule Jérôme Legras,
directeur de la recherche chez
Axiom AI, soit un peu plus de 1 %.
Toutes choses égales par ailleurs, le
ratio de fonds propres d’Arkéa pas-
serait ainsi de 17,5 % (à fin juin der-
nier), à environ 16,5 %. Mais pour
tenir compte des effets d’un éven-
tuel divorce, la Banque centrale
européenne (BCE) réclame à Arkéa
un niveau d’au moins 11 %. Toute
tension sur la solvabilité est donc
par nature une mauvaise nouvelle.
« Le ratio de solvabilité [d’Arkéa]
reste très élevé, largement supérieur
aux exigences réglementaires et com-
patibles avec ses ambitions », r épond
l’intéressée.
BANQUE
La banque mutualiste
souhaite se séparer
du groupe Crédit
Mutuel.
Mais de nombreuses
questions restent
en suspens après
une semaine mouve-
mentée pour Arkéa,
qui a renoncé
à reprendre
Socram Banque.
en cas de divorce, si toutes les cais-
ses du Crédit Mutuel de Bretagne et
du Sud-Ouest quittaient le groupe.
Le camp breton avait alors qualifié
ce chiffre de « tentative d’extor-
sion ». Dans ce contexte, l’abandon
du dossier Socram peut être lu
comme une mesure de prudence.
Ce qu’A rkea nie, affirmant poursui-
vre « son développement entre crois-
sance organique et acquisitions tac-
tiques, comme celle récente de
Budget Insight en j uin 2019 », tout en
recrutant « de façon soutenue ».
(^3) Y VOIT-ON PLUS CLAIR
SUR LA PROCÉDURE
DE SORTIE?
En février dernier, la CNCM a
détaillé le parcours du combattant
à suivre pour qui voudrait se désaf-
filier du Crédit Mutuel. Dans cette
procédure, la CNCM est d’abord
notifiée. Le cas échéant, la banque
concernée sort d u groupe, se
retrouve sans agrément et doit le
solliciter à nouveau auprès des
autorités. Une séquence qui
s’oppose directement à celle imagi-
née par Arkéa. Ses dirigeants sou-
haitent obtenir u n avis des autorités
bancaires (BCE...) sur leur projet,
qui serait ensuite mis au vote en
interne. La Confédération ne serait
saisie qu’à la fin du processus. Pour
l’heure, aucun des deux scénarios
n’a été activé puisque Arkéa pour-
suit ses discussions avec la BCE et
n’a donc pas finalisé son dossier
technique. Un dialogue qui se pour-
suit « avec sérénité et détermina-
tion », jure Arkéa.n
Crédit Mutuel Arkéa : un projet
de divorce semé d’embûches
(^2) LE CAPITAL
RESTE-T-IL
SOUS PRESSION?
Difficiles à calculer, d’autres aléas
pourraient éroder le matelas de
fonds propres d’Arkéa. La prolon-
gation des taux négatifs par la BCE
va continuer de pénaliser les assu-
reurs. L’idée que Suravenir cesse de
vendre des fonds euros, laminés
par les taux négatifs, est évoquée.
« Rien n’est décidé à ce stade. Comme
chez tous les assureurs de la place,
des réflexions sont en cours pour
adapter l’offre aux nouvelles condi-
tions de marché de taux durable-
ment bas », indique seulement
Arkéa. Autre dossier à suivre, la
transposition en droit européen
des normes prudentielles de
Bâle IV (entre 2022 et 2027) qui va
se traduire par une hausse des exi-
gences en f onds p ropres. Enfin, u ne
question à 1,7 milliard d’euros
demeure : cette somme, révélée en
décembre 2018, est le montant de
l’« indemnité » qu’exigera la CNCM
Depuis deux ans, l’objectif poursuivi par Crédit Mutuel Arkéa est celui d’un divorce pur et simple
d’avec le groupe Crédit Mutuel. Photo Fred Tanneau/AFP
Nessim Aït-Kacimi
@NessimAitKacimi
Charles Schwab, le vétéran du cour-
tage pour les particuliers, lancé en
1971, avait lancé les hostilités fin sep-
tembre, en appliquant désormais la
politique de « tolérance zéro » sur
les commissions à Wall Street : ses
clients ne paieront plus de frais
quand ils passent leurs ordres sur
les actions, options et contrats à
terme boursiers. Ses concurrents
TD Ameritrade et E Trade lui ont
emboîté le pas dans cette guerre tari-
faire inédite. Dernière initiative,
Fidelity Investments vient d’annon-
cer que ses clients ne paieraient plus
de commissions sur les actions. Ce
modèle du « zéro courtage » avait
été celui dès son lancement en 2013
de Robinhood Markets, le franc-ti-
reur des courtiers en ligne. Il s’est
généralisé dans un contexte de com-
pétition accrue et de baisse des volu-
mes et de la volatilité sur les Bourses
américaines.
Les commissions représentent
entre 8 % (Charles Schwab) et 28 %
(TD Ameritrade) des revenus des
courtiers en ligne américains. Chez
Interactive Brokers, qui a plutôt une
clientèle très active, et notamment
d’anciens traders professionnels,
c’est un dollar sur trois de son chif-
fre d’affaires qui est tiré du cour-
tage. Il est donc particulièrement
affecté par cette guerre tarifaire, et
son cours, le groupe étant coté au
Nasdaq, a perdu 16 % depuis l’initia-
tive de Charles Schwab. Il a deux
offres, une à zéro commission et
BOURSE
Les grands courtiers
en ligne américains
sont entrés dans
une guerre tarifaire
inédite.
Ils ne font plus payer
de commissions
sur le passage d’ordres
sur les actions.
en cash de leurs apprentis traders.
La rémunération est déjà très basse
de 0,01 % à 0,12 %. Fidelity leur offre
jusqu’à 1 ,5 % en plaçant le cash d e ses
boursicoteurs sur les fonds moné-
taires d u groupe. U n moyen d’attirer
les clients de ses concurrents.
Cette guerre des commissions
doit faire revenir les particuliers
vers Wall Street. Des millions ont
préféré aller spéculer sur les cryp-
tomonnaies et le bitcoin, bien plus
volatiles que les actions. La Bourse
Coinbase revendique en effet
30 millions d’utilisateurs. Au
moment de la crise de 2007, autour
des deux tiers des Américains déte-
naient des actions contre un sur
deux aujourd’hui. Les courtiers en
ligne aspirent à réorienter ces nou-
veaux clients attirés par le « zéro
commission » vers des services
plus rémunérateurs, offrant des
marges plus élevées : services ban-
caires, produits dérivés, paris spor-
tifs, cryptomonnaies (eToro), ges-
tion de fonds... Charles Schwab tire
déjà près du tiers de ses revenus de
la gestion d’actifs (« ETF », conseil
en gestion de patrimoine...). La
guerre tarifaire américaine pour-
rait précipiter une consolidation
du secteur, facilitée après la baisse
des cours, avec un possible rachat
de E Trade. Elle pourrait aussi arri-
ver en Europe où les courtiers en
ligne s’efforcent de diversifier leur
offre pour générer d es revenus p lus
forts et moins soumis aux aléas des
marchés.n
une qui continue à en percevoir,
selon le profil de ses clients. Van-
guard persiste à prélever des cour-
tages, de quelques dollars.
Cash endormi
Les commissions ne sont toutefois
plus la source principale de profits
des courtiers en ligne américains. Ils
ont des coûts bas en matière d’inter-
médiation car ils n’ont pas d’opéra-
teurs à rémunérer pour passer les
ordres des clients. Tout est automa-
tique (lire encadré). Ce sont les inté-
rêts perçus sur les liquidités de leurs
clients qui leur rapportent entre la
moitié (Schwab, TD Ameritrade) et
les deux tiers des revenus (E Trade).
Ils attirent et fidélisent les clients en
rémunérant le « cash » déposé par
ceux-ci qui n’est pas utilisé pour spé-
culer. Mais ils en tirent des revenus
encore plus élevés en plaçant ces
liquidités dans des obligations d’Etat
et au travers de leurs propres ban-
ques, comme l’a fait Schwab.
Les courtiers en ligne ne rever-
sent qu’une très faible part de ces
rémunérations obligataires à leurs
clients. Pour 10 dollars qu’ils empo-
chent, ils en reversent un seul, selon
le « Wall S treet Journal ». C’est la rai-
son pour laquelle, les baisses des
taux d’intérêt de la Réserve fédérale
sont une mauvaise nouvelle pour
eux. Ils vont gagner moins d’argent
en plaçant les liquidités endormies
de leurs clients. Mais pour mainte-
nir leurs marges, ils pourraient déci-
der de moins rémunérer les dépôts
Courtiers en ligne : année zéro
Particuliers et traders
haute fréquence
Les flux d’ordres des clients sont « vendus » aux firmes
de trading, notamment aux traders haute fréquence ou
« THF » (automates de trading ultrarapides). Ils achètent
aux courtiers en ligne le droit de recevoir les ordres de
leur clientèle et de les traiter. Les THF négocient sur tous
les marchés boursiers et gagnent de l’argent grâce à leur
rapidité et technicité. Ils souhaitent traiter le plus de
volumes possible et provenant des investisseurs les plus
divers (particuliers, fonds...). Cette vente des flux de leurs
clients aux firmes de trading a représenté entre 6 % et 8 %
des revenus de E Trade et TD Ameritrade en 2018. n