départ, une design manager toujours
présente dans la société. C’est ainsi que
l’équipe, managée par cette dernière, a
pris l’habitude de cocréer des produits
avec l’équipe technique.
« Placer le design en amont doit permet-
tre de réellement comprendre les besoins
du patient, et d’y répondre. L’objectif n’est
pas tant de répondre au besoin médical
que d’anticiper la demande – parfois
implicite – du patient pour un objet
adapté, esthétique et agréable à porter. »
Thuasne, qui commercialise des chaus-
settes de contention à destination des
personnes âgées, apporte un soin tout
particulier au choix des textiles, afin
d’en faire un produit particulièrement
doux et facile à enfiler, même pour des
personnes à mobilité très réduite.
L’agilité comme clef de la réussite
« Le besoin, à la base du futur produit, est
exprimé par un groupe de vendeurs, par
le retour d’un collaborateur, par de la
veille stratégique... Souvent, ces éléments
combinés permettent de définir le vérita-
ble besoin exprimé », analyse Elizabeth
Ducottet. « Ensuite, trois équipes tra-
vaillent en collaboration : le marketing, la
R&D et l’équipe chargée du design.
D’ailleurs, les équipes marketing sont
dans les mêmes bureaux que le secteur
R&D », ajoute-t-elle. Une fois le premier
prototype validé par la direction géné-
On peut avoir 172 ans et demeurer
agile! A la tête d’un groupe
familial fondé en 1847, Elizabeth
Ducottet, présidente de Thuasne,
a su réinventer la stratégie du
groupe en plaçant le design en
amont de la chaîne de valeur.
BUSINESS CASE
rale, le produit est retravaillé par ces
trois équipes, et poursuit ses allers-re-
tours avec la direction jusqu’à l’obten-
tion du produit définitif. « Notre appro-
che est similaire aux méthodes agiles ou
Lean », se félicite-t-elle. L’agilité est
d’ailleurs l’une des valeurs fondamenta-
les du groupe, au côté de la pérennité et
de la frugalité. « La conception, par
petites touches incrémentales, permet de
faire au moins aussi bien que les grands
groupes, avec des moyens bien moin-
dres », conclut-elle. Dont acte : le chiffre
d’affaires a été multiplié par 2,5 en dix
ans. Chez Thuasne, n’en déplaise à
Théophile Gautier, ce qui est utile peut
aussi être beau... et rentable.n
L’agilité est l’une des valeurs fondamentales du groupe, au côté de la pérennité et de la frugalité. Photo Thierry Bouet
Jean-Marie Cunin
@JMCunin
l
n’y a de vraiment beau que ce qui ne
peut servir à rien ; tout ce qui est utile
est laid », écrivait Théophile Gautier
en 1835, soit seulement douze ans avant
la création de Thuasne. Cette ETI,
acteur majeur du textile technique
médical, semble pourtant bien décidée
à faire mentir le grand écrivain.
Pendant des décennies, le groupe,
nourri d’une culture industrielle, a
relégué le design en fin de chaîne de
production. Jusqu’à ce que la direction
générale s’interroge sur les aspects
esthétiques et pratiques de ses pro-
duits, arguant que le textile – même
médical – n’était guère éloigné de l’uni-
vers du prêt-à-porter. C’est Elizabeth
Ducottet, présidente du groupe et
représentante de la cinquième généra-
tion familiale aux commandes, qui a
pris la décision, il y a une dizaine
d’années, de placer le design cette fois
en amont de la chaîne de valeur et au
cœur de sa stratégie. « Le temps médical
ne doit pas être un moment de punition.
Le patient est déjà malade, le produit
prescrit ne doit pas être en plus une
contrainte », justifie celle qui parle
volontiers de bienveillance envers le
patient. Et se distingue ainsi de la con-
currence.
Anticiper la demande
Pour mener à bien ce changement
radical, Elizabeth Ducottet s’est-elle fait
épauler par un cabinet de conseil en
transformation ou en stratégie? « Pas
du tout! Nous faisons parfois appel à des
cabinets de design sur la partie concep-
tion du produit, mais il s’agit avant tout
d’un gros travail de réflexion en interne »,
répond aussi sec la dirigeante. Le
groupe a préféré embaucher, dès le
Thuasne, en empathie avec le patient
Delphine Iweins
@DelphineIweins
E
t si l’automatisation n’était pas la
seule solution pour apporter de
la souplesse aux tâches juridi-
ques? « Beaucoup de choses peuvent être
simplifiées par le design avant de cher-
cher à l’automatiser », considère Eric
Fiszelson, associé chargé de l’innova-
tion du cabinet Herbert Smith Freehills.
Depuis 2018, une structure – la task
force « Legal Operations » – s’est ainsi
constituée au sein du bureau de Lon-
dres. Elle réunit les fonctions non juridi-
ques du cabinet : les communicants,
legal designers et autres marketeurs.
Lors d’ateliers de travail et d’idéation,
ces collaborateurs aident à la prépara-
tion de modèles types de documents.
« L’idée est d’offrir aux avocats de nou-
veaux outils pour apporter de la clarté à
nos clients », indique Eric Fiszelson.
Contrairement à l’automatisation ou à
des outils d’intelligence artificielle (IA)
- que la firme développe aussi –, le
design apporte de la valeur à des ques-
tions à première vue assez complexes
dans un cadre plus court-termiste.
Avantage, cette approche nécessite
moins de temps et de ressources.
La manière de structurer les audits
juridiques dans les opérations de
fusions et acquisitions a d’abord été
repensée. Cette activité fastidieuse
d’analyse et d’appréciation des risques
induit aussi un important travail de
rédaction. Pour faire en sorte de rendre
ces documents les plus percutants
possible et plus engageants visuelle-
ment, leur présentation a été conçue en
mélangeant textes et infographies.
Approche similaire pour les tableaux de
bord de suivi des honoraires. Transfor-
més en une page de camemberts
envoyée une fois par semaine aux
clients, ils simplifient leur suivi, en
toute transparence et sans sur-
prise quant au montant de la prestation,
une fois celle-ci achevée.
Structurer les dossiers complexes
Pensée au départ uniquement pour
aider les avocats en interne, cette équipe
londonienne met désormais des ateliers
sur pied à l’attention des clients. Elle
intervient aussi sur des dossiers sensi-
bles comme le financement de deux
centrales photovoltaïques au Sénégal
réunissant trois grands acteurs interna-
tionaux. Les avocats, avec l’aide d’une
spécialiste du design thinking, ont
trouvé le moyen de mieux gérer les
commentaires inhérents aux contrats et
les nombreux rendez-vous téléphoni-
ques. « C’était un vrai travail de gestion
de projet. Il nous incombait de trouver un
point d’équilibre de structuration du
processus », commente l’associé respon-
sable de la pratique finance.
D’autres professionnels du cabinet ont
aussi réfléchi à la façon de faciliter la
gestion des avis juridiques lors d’opéra-
tions de financement. Ces documents
- régulièrement revus par les directions
juridiques – ont pu être rationalisés
grâce à des éléments de legal design.
Autre innovation : ce contrat de portage
d’actions, aux hypothèses multiples, qui
a pu être simplifié grâce à la création
d’un arbre à décision. Une fois réalisé,
ce dernier a été partagé avec les entre-
prises concernées.
Réorganiser et favoriser
la remise en question
Facteur différenciant auprès des clients,
Le cabinet international d’avocats
mise sur le design pour faire
la transparence sur ses honoraires
et des analyses juridiques plus
incisives.
Comment Herbert Smith
Freehills se convertit au design
BUSINESS CASE
le design n’est pas encore un réflexe au
sein de la communauté des avocats. Son
recours entraîne un changement cultu-
rel conséquent. Il induit non seulement
une importante mobilisation au plus
haut niveau du cabinet, mais aussi la
capacité des avocats à se remettre en
question. Néanmoins, 200 profession-
nels du cabinet participent activement
au groupe Legal Design depuis la plate-
forme interactive Yammer. Et certains
avocats du bureau australien, détachés
chez le client, aident leur direction
juridique à revoir leur organisation
par le prisme du design.n
Le chiffre clef
200
PROFESSIONNELS
du cabinet mondial parti-
cipent activement au
groupe Legal Design.
Pour rendre leurs documents le plus percutant possible et plus engageant visuelle-
ment, leur présentation mélange textes et infographies. Photo Shutterstock
« Placer le design
en amont doit
permettre de
réellement
comprendre les
besoins du patient,
et d’y répondre. »
ÉLIZABETH DUCOTTET
Marc Bertrand/Challenges-RÉAPrésidente du groupe Thuasne
Non, elle aussi ?!
https://urlz.fr/aJQ9
42 // EXECUTIVES Lundi 14 octobre 2019 Les Echos