Les Echos - 14.10.2019

(Ron) #1

Les Echos Lundi 14 octobre 2019 EXECUTIVES// 41


Propos recueillis par Muriel Jasor


Comment définiriez-vous
la méthode agile?
Après le taylorisme et le fordisme, l’agile
est la prochaine grande révolution du
travail. Créée dans les entreprises de la
tech dans les années 2000, l’agile est
aujourd’hui appliqué dans toutes les
industries et ne se résume plus au digital.
Le succès de ce concept peut se résumer
en trois principes : il crée de la valeur en
remettant le client au centre, il favorise la
coopération grâce à des équipes pluridisci-
plinaires et autonomes, il réconcilie enga-
gement des collaborateurs et productivité.


Quel contexte pousse
une entreprise à s’engager
dans cette démarche?
L’agile apporte une réponse à la com-
plexité croissante de l’environnement des
entreprises (accélération des ruptures
technologiques, mondialisation, RSE, etc.),
en particulier pour celles confrontées à un
fort impératif d’innovation sur un marché
de plus en plus concurrentiel, où la rapi-
dité de réponse aux besoins des clients
devient cruciale.


Cette approche sous-entend
un changement culturel... Quelle
en est sa traduction concrète?
Les process, les indicateurs, la façon de
travailler, tout change. Avec l’agile, l’entre-


« Un prérequis


fondamental est


l’alignement de tous


sur les objectifs


et source de création


de valeur pour


l’entreprise. »


Shutterstock

Blocquaux

prise valorise l’expérimentation portée par
des équipes pluridisciplinaires dédiées à
temps plein à l’élaboration d’un produit ou
la concrétisation d’un projet. La méthode
agile invite à procéder par itération pour
améliorer un produit de façon continue et
en cycle court pour confronter les diffé-
rents pilotes au besoin effectif du client. Il
ne s’agit plus de laisser travailler, durant des
mois et des mois, des experts qui allouent
une fraction de leur temps au développe-
ment d’un produit, puis de s’apercevoir en
bout de course que ce produit ne corres-
pond pas ou plus au souhait du client, n’est
pas manufacturable, ou encore qu’entre-
temps une nouvelle technologie ou offre est
arrivée sur le marché.

Que se passe-t-il quand
l’entreprise déploie l’agile
à grande échelle?
C’est alors toute l’organisation qui est

impactée. Un prérequis fondamental est
l’alignement de tous sur les objectifs et
source de création de valeur pour l’entre-
prise. Cet alignement devient la mission
prioritaire de la direction générale. Le
déploiement se réalise rarement en mode
big bang. Dans la plupart des cas, l’entre-
prise aura veillé – via des projets pilotes
notamment – à valider la pertinence de la
méthode et le périmètre pouvant en tirer
les plus grands bénéfices. Elle se sera
aussi, bien sûr, posé la question de son
retour sur investissement.

Pour quels bénéfices à la clef?
L’agile va générer une meilleure coopéra-
tion entre pairs, salariés de divers métiers
ainsi que managés. Cette méthode réunit
tout le monde – ceux qui pensent, ceux qui
font et ceux qui contrôlent – et le silo
s’efface au profit de davantage de coopéra-
tion. Elle permet d’obtenir davantage

d’engagement de la part de salariés res-
ponsabilisés et plus autonomes. C’est là un
facteur majeur de réussite. Le temps de
mise sur le marché d’un produit est multi-
plié par deux, voire trois.

Cette approche change-t-elle la
structuration de l’organisation?
Oui, la question de son redécoupage se
pose. Et, là encore, cela passe par l’expéri-
mentation sur des pilotes et une réflexion
plus large sur les axes stratégiques clefs à
refléter dans l’organisation. Pour une mise
en place concrète de l’agile, il est aussi
nécessaire de réinventer certains processus
et de faire évoluer les modes de leadership.

Toutes les fonctions peuvent-elles
être impactées par l’agile?
Quand on déploie l’agile, ça commence
souvent par le métier. Tous les domaines
peuvent être concernés : les call centers, le
marketing, l’engineering, la supply chain...
Tout peut s’y prêter. A chaque entreprise
d’étudier la pertinence de la méthode au
vu des enjeux de chaque fonction : innova-
tion, satisfaction client, rapidité de mise en
œuvre, etc. Si on veut ensuite passer à
l’échelle, les fonctions support sont con-
cernées : l’IT et le digital bien sûr, mais
aussi la redéfinition des processus au
cœur des ressources humaines, des achats
ou de la finance comme la refonte du cycle
budgétaire par exemple.

La logique budgétaire aussi?
Oui, car on mixe à la fois une vision à long
terme et une capacité de réallocation de
ressources à court terme. Dans cette
logique capacitaire, on donne des ressour-
ces sous condition de faire les bons choix,
sans aller dans le détail, pour garder la
faculté de corriger une mauvaise orienta-
tion et de réallouer du budget ailleurs en
fonction de la valeur créée. C’est là un vrai
bouleversement.

Quel lien faites-vous
entre agile et design?
Les approches par l’agile et le design se
rejoignent, en ce sens, qu’il leur importe
de mettre le client ou l’utilisateur au centre
de la réflexion, avec cette idée d’être centré
sur le produit. Il arrive aussi que des
designers travaillent au sein d’équipes
pluridisciplinaires agiles.n

Face à la complexité des


organisations, de nouveaux modes


de fonctionnement émergent.


Agiles, ils permettent aux


managers d’autonomiser et de


responsabiliser leurs équipes.


« L’agile met tout le monde d’accord »


VOCABULAIRE
DU DESIGN...


  • Design Discipline qui cherche
    à modifier ou créer des objets,
    environnements ou services
    sur la base de la désirabilité, la
    faisabilité et la viabilité écono-
    mique.

  • Design thinking Contraire-
    ment au design classique, le
    design thinking tient davan-
    tage d’un concept circulaire :
    l’échange est permanent entre
    l’utilisateur et l’équipe et se
    rapproche en cela de la
    méthode Lean, du concept
    de Minimum Viable Product
    (MVP) ou encore des métho-
    des agiles.

  • Design fiction est au design
    ce que le roman d’anticipation
    est à la littérature : faire
    ressentir les futurs possibles
    pour parler du présent. L’idée
    d’interaction entre l’utilisateur
    et l’objet est primordiale, il ne
    s’agit pas de décrire un futur,
    mais de le matérialiser pour
    susciter un débat.

  • UX design C’est une branche
    du design qui vise à améliorer
    l’expérience d’un usager avec
    un produit ou un service. Un
    enfant de 2 ans qui sait déver-
    rouiller une tablette? C’est le
    signe d’un produit intuitif, donc
    agréable à utiliser, et d’un UX
    design réussi.

  • Eco-innovation/eco-de-
    sign Conception d’objets en
    utilisant des matériaux respec-
    tueux de l’environnement.


... ET DES
MÉTHODES
AGILES


  • Agile méthode de gestion
    d’un projet, non plus linéaire
    mais incrémentale. Les échan-
    ges avec l’utilisateur sont
    fréquents, et le projet s’adapte
    constamment aux retours des
    futurs usagers.

  • Idéation Processus de
    pensée à la fois divergente
    et convergente.

  • Scrum master entre le chef
    de projet et le coach, le ou
    la scrum master veille à l’appli-
    cation du principe « scrum » en
    fixant des rôles, des objectifs
    et un timing précis.

  • Scrum board Tableau de
    bord projet, visible et accessi-
    ble en permanence à l’ensem-
    ble de l’équipe projet, qui va
    permettre de suivre en temps
    réel l’évolution des tâches à
    réaliser, en cours, finalisées
    mais à vérifier et à tester et
    terminées.

  • Squad Une équipe composée
    de 5 à 10 membres, pluridisci-
    plinaire et indépendante. C’est
    l’unité de base de l’organisation
    agile.

  • Tribu Il s’agit d’un regroupe-
    ment de plusieurs squads
    qui ont un objectif partagé.

  • Chapitre Ensemble de
    collègues maîtrisant le même
    domaine (marketing, RH).

  • Sprint^ Période de temps

    • d’une durée de 2 semaines à
      un mois – à la fin de laquelle un
      travail (le « backlog ») doit être
      complété et montré en
      démonstration (ou démo).



  • Daily stand-up^
    Point quotidien pendant
    lequel le squad se réunit.

  • Cérémonie^
    Réunion spécifique.

  • Modèles a giles^
    Il e n existe p lusieurs, dont c eux
    de Spotify, SAFe, LeSS
    et Scrum o f Scrum.


INTERVIEW VINCIANE BEAUCHENE DIRECTRICE ASSOCIÉE AU BOSTON CONSULTING GROUP


Modes d’emploi
https://urlz.fr/aJQD

Les Echos Executives


N


ombre de salariés et managers
français aspirent à jouer de
nouveaux rôles et à trouver
d’autres modes de fonctionnement.
« Normal, les managers ne créent plus de
valeur : ils gèrent des complications et de
moins en moins leurs équipes »,
observe Yves Morieux, directeur associé
senior au BCG. Les salariés sont en quête
de sens, de plus d’autonomie, plus de
coopération et de responsabilisation.
Or, c’est justement sur ces terrains-là
que la méthode agile propose d’aider les
managers. A condition, bien entendu,
d’avoir le soutien indéfectible de la direc-
tion générale. Ainsi, à la complication, la
méthode agile oppose donc la coopéra-
tion ; au désarroi des managers, l’engage-
ment des équipes et à la disruption, la
création de valeur.
L’approche ou pratique agile a d’abord
séduit les entreprises du Web et les
start-up dans les années 2000, puis s’est


A la complication, la démarche


agile oppose la coopération ;


au désarroi des managers,


l’engagement des équipes et à la


disruption, la création de valeur.


développée avec succès, dès 2010, au
sein d’entreprises traditionnelles, des
grandes banques comme ING ou bien
des acteurs de l’industrie automobile ou
aéronautique, comme Stelia Aerospace,
une filiale d’Airbus. Elle a pour effet de
faire coopérer plus efficacement les
équipes « et cela tombe bien puisque la
coopération est un multiplicateur d’éner-
gie et d’intelligence, observe Yves
Morieux. Pour preuve, il suffit de se
remémorer les Championnats du monde
d’athlétisme de 2003 : le passage de relais
entre Christine Arron, quatrième
relayeuse, avec Sylviane Félix était loin
d’être parfait ; les deux athlètes, proches,
ont même manqué de se percuter. Mais la
coopération a opéré et la médaille d’or du
4x100 mètres a été remportée ». Résultat :
la coopération dégrade la performance
individuelle mesurable, au profit de la
réussite d’un collectif.
Pilotage du projet, collaboration plus
fluide entre les « tribus » (un ensemble
d’équipes pluridisciplinaires indépen-
dantes – ou squads en jargon pro – liées
par un objectif commun) et les métiers,
identification et mutualisation des
expertises, polyvalence, collaboratif,
prise de décision... Tout relève d’une
démarche structurée, rigoureuse et
ritualisée (par des « cérémonies » ou
réunions spécifiques). L’agile reposi-

tionne le rôle du manager : en « product
owner » qui garantit une supervision
globale en vue de l’avancement du
projet, en chef de « chapitre » – ou de
personnes partageant la même compé-
tence ou fonction – qui définit la façon
de travailler, et en coach agile qui
accompagne en demeurant à l’écoute
des équipes. Tout en observation et en
présence, il communique en continu et
dans la transparence. L’objectif étant de
planifier à long terme mais d’agir à
court terme, autrement dit de saucis-
sonner un projet en différentes étapes
(des « sprints ») de 2 à 4 semaines au
cours desquelles un travail spécifique
(« backlog ») sera accompli, ce qui
suppose de se convertir au développe-
ment itératif tout en réduisant les cycles.

4
À NOTER
La méthode agile va loin. Même
l’armée s’y est intéressée. Elle ne se
contente pas de changer les modes de
fonctionnement, elle induit aussi de
modifier la façon de travailler avec les
prestataires, de repenser le cycle
budgétaire, de réviser les processus
RH et ce n’est qu’en dernier ressort
que l’on touche à la structure. Le con-
traire de ce que l’on fait généralement.

Une méthode qui repositionne


le rôle du manager

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