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SAMEDI 26 OCTOBRE 2019
ÉCONOMIE & ENTREPRISE
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Draghi presse les Etats de prendre le relais
Lors de sa dernière intervention, le président de la BCE a de nouveau plaidé pour un vrai budget de la zone euro
londres correspondance
J’
ai fait mon boulot ; aux
Etats de la zone euro de
faire le leur. » Voilà, en
substance, la teneur du
dernier message que Ma
rio Draghi a laissé en quittant ses
fonctions. Jeudi 24 octobre, le pré
sident sortant de la Banque cen
trale européenne (BCE) a tenu son
ultime conférence de presse,
avant de terminer officiellement
son mandat, le 31 octobre.
Se gardant de tout triompha
lisme, et affichant son habituel
sourire en coin et son air de
chien battu, l’Italien cède ce
poste sur un constat aigredoux,
après huit ans, 185 discours et 77
conférences de presse. S’il se féli
cite que le pire de la tempête de la
zone euro soit passé, il constate
que la monnaie unique est loin
d’être un projet achevé.
Il demande en particulier aux
Etats de relayer la BCE, en prati
quant la relance budgétaire. En li
gne de mire : l’Allemagne. « Avec
[l’aide] de la politique budgétaire,
la politique monétaire pourrait
atteindre plus rapidement son
objectif et avoir moins d’effets
secondaires. Si vous voulez voir
les taux d’intérêt remonter, il faut
agir sur les budgets. »
Cela fait des années que M. Dra
ghi multiplie les appels en ce sens,
de façon toujours plus directe.
Jusqu’à présent, sa supplique n’a
rencontré aucun écho. Ce qui n’al
tère en rien ses convictions. Il in
siste notamment sur un point :
une relance budgétaire pays par
pays, chacun de son côté, n’aurait
guère d’impact.
Pour être vraiment utile, il est
nécessaire que celleci rééquilibre
l’ensemble du bloc économique.
Il s’agit du fameux budget de la
zone euro, en faveur duquel mi
lite le président de la République,
Emmanuel Macron, et dont il
n’existe pour l’instant qu’un em
bryon sans grande utilité. « Il faut
un outil budgétaire centralisé et
contracyclique [c’estàdire qui
soit utilisé en cas de ralentisse
ment] », résume Mario Draghi.
Cette dernière sortie ne devrait
pas contribuer à améliorer sa cote
de popularité outreRhin, où il
fait l’objet de vives critiques. A la
miseptembre, le tabloïd Bild l’a
caricaturé en « comte Draghila »,
affublé de longues canines, et bu
vant le sang des épargnants en
imposant des taux d’intérêt néga
tifs. Déjà, en prenant son poste, en
novembre 2011, l’Italien avait reçu
du même quotidien un casque à
pointe, pour lui rappeler d’être vi
gilant contre l’inflation. Huit ans
plus tard, il s’en amuse et an
nonce qu’il a l’intention d’empor
ter ce cadeau avec lui.
Ralentissement économique
Bien qu’il ait refusé de dresser la
liste de ses fiertés et de ses regrets,
M. Draghi a tout de même tiré un
bilan de son mandat. « Nous som
mes dans une bonne période pour
la zone euro comparé à la situa
tion d’il y a trois ou quatre ans », a
til déclaré. Son action, détermi
nante, a permis d’éteindre l’in
cendie qui se propageait au plus
fort de la crise de la monnaie uni
que. En retard sur les autres gran
des banques centrales, la politi
que monétaire est devenue, sous
M. Draghi, une arme d’interven
tion massive : huit baisses de
taux, dix annonces de pro
gramme d’achat de dette (« quan
titative easing »), 2 600 milliards
d’euros d’achat d’actifs. Sous sa
direction, le bilan de la BCE a
doublé de taille.
Il quitte ses fonctions alors que
les taux d’intérêt négatifs sont
devenus la norme, avec un taux
de dépôt de – 0,5 %. Même la
Grèce, qui avait initialement mis
le feu à la zone euro, est entrée
dans le club des pays à taux néga
tif : le 10 octobre, elle a émis des
obligations à trois mois à
- 0,02 %. « C’est clairement un
succès », se félicite Mario Draghi.
Au détour d’une phrase, il a ré
sumé son principal motif de sa
tisfaction : la BCE est devenue
« une banque centrale crédible ».
Côté négatif, l’Italien part en
plein ralentissement économi
que, alors que persistent « d’im
portants risques » sur la crois
sance. Le produit intérieur brut
(PIB) de la zone euro a crû de 0,4 %
au premier trimestre, puis de
seulement 0,2 % au deuxième.
Aujourd’hui, la croissance reste
positive, assuretil, mais les si
gnaux inquiétants se multiplient.
L’indice PMI d’octobre, publié
jeudi, qui donne une première in
dication de l’activité économique,
est presque stagnant : il est de 50,
(un niveau inférieur à 50 indique
une contraction). Il affiche un net
recul en Allemagne (48,6), tandis
que la croissance semble résister
en France (52,6). Le secteur indus
En Allemagne, le spectre de la retraite à 70 ans
Hausse des cotisations, baisse du montant des pensions... la Bundesbank a publié un rapportchoc qui alimente le débat outreRhin
berlin correspondance
O
utreRhin, une réforme
des retraites peut en ca
cher une autre. Entrée en
vigueur en 2012, la loi actuelle pré
voit un relèvement progressif de
l’âge du départ à la retraite, de 65 à
67 ans, à raison d’un ou deux
mois par an, et ce jusqu’en 2031.
Mais, pour de nombreux experts,
cela ne suffira pas pour faire face
au vieillissement de la popula
tion et à l’inexorable déclin du
nombre d’actifs. La Bundesbank
(banque centrale) a vigoureuse
ment relancé la discussion, en
préconisant, dans son dernier
rapport mensuel publié lundi
21 octobre, de porter, à terme,
l’âge légal du départ à la retraite à
69 ans et quatre mois.
« L’évolution démographique fu
ture constitue une menace pour le
financement des retraites », souli
gne le document, qui précise, par
ailleurs, que « l’espérance de vie
continue d’augmenter et les clas
ses d’âge nombreuses du baby
boom partiront à la retraite au mi
lieu des années 2020 ». Afin de
compenser l’envolée des coûts du
système de retraite par réparti
tion, la Banque fédérale d’Allema
gne suggère de combiner plu
sieurs mesures peu populaires :
une hausse des cotisations sala
riales, le renflouement des caisses
publiques par l’impôt ainsi
qu’une diminution du montant
des pensions des futurs retraités.
Cependant, les projections dé
mographiques de l’Office fédéral
de la statistique, sur lesquelles la
Bundesbank a fondé ses calculs,
sont si pessimistes que l’équa
tion ne peut être résolue sans re
tenir, le plus longtemps possible,
les seniors sur le marché du tra
vail. En conséquence, assure
l’institution de Francfort, les sa
lariés ne pourront bénéficier
d’une retraite à taux plein d’ici à
2017 que s’ils cotisent jusqu’à
leur 69e printemps et audelà.
Le rapport a aussitôt provoqué
des réactions épidermiques. « Ce
sont les travailleurs qui en feront
les frais, en particulier ceux qui
exercent des métiers pénibles
comme les infirmières, les arti
sans et les ouvriers travaillant en
troishuit », souligne Annelie
Buntenbach, une dirigeante de la
confédération allemande des
syndicats (DGB). « Faire des éco
nomies sur le dos des plus faibles,
c’est inacceptable », fustigetelle.
« Une plus longue espérance de
vie n’est pas nécessairement syno
nyme d’une meilleure aptitude au
travail », renchérit Guido Zeitler,
président du syndicat des tra
vailleurs de l’alimentation et de
la restauration (NGG).
Le patronat est nettement plus
réceptif. « L’allongement de la du
rée de vie ne doit pas seulement si
gnifier une retraite toujours plus
longue, mais aussi un prolonge
ment de la vie active », martèle
Steffen Kampeter, directeur de
l’association patronale BDA. Pour
le puissant lobby des machines
outils, le VDMA, cette réforme
pourrait même faire d’une pierre
deux coups, en atténuant aussi la
pénurie de maind’œuvre quali
fiée dont souffre le secteur indus
triel allemand.
Saut dans l’inconnu
Les suggestions de la Bundes
bank suscitent également l’en
thousiasme du Parti libéraldé
mocrate (FDP, proche du patro
nat). L’Union chrétiennedémo
crate (CDU) de la chancelière
Angela Merkel est bien plus pru
dente, tandis que le gouverne
ment a, pour sa part, accueilli ces
conclusions par un silence as
sourdissant.
Il faut dire que la question des
retraites est un sujet politique
ment délicat outreRhin. L’opi
nion publique n’a toujours pas di
géré le relèvement de l’âge du
départ à la retraite à 67 ans. La loi
de financement des retraites,
adoptée en novembre 2018, fixe
jusqu’en 2025 le taux de cotisa
tion et le niveau moyen des pen
sions versées par rapport au sa
laire. Après cette date, c’est le saut
dans l’inconnu.
De fait, cela fait plusieurs années
que des voix cherchent à faire sau
ter le verrou psychologique de la
retraite à 70 ans. L’ancien minis
tre des finances, le très orthodoxe
Wolfgang Schäuble, l’avait pro
posé il y a trois ans, sans succès.
Pour les experts, c’est pourtant
une question de réalisme. « La
classe politique doit enfin faire
preuve de courage et dire aux gens
que le nombre d’années de travail
continuera d’augmenter », souli
gnait l’économiste Marcel Fratzs
cher peu avant les élections légis
latives de 2017 : « A un moment
donné, il faudra bien qu’on parle de
la retraite à 70 ans. »
jeanmichel hauteville
Le président sortant de la Banque centrale européenne, l’Italien Mario Draghi, à Francfort, le 24 octobre. MICHAEL PROBST/AP
L’Italien quitte
l’institution
de Francfort
alors que les taux
d’intérêt négatifs
sont devenus
la norme
LES CHIFFRES
8
C’est le nombre de baisses de
taux d’intérêt décidées par la
Banque centrale européenne
(BCE) au cours des huit années
de présidence de Mario Draghi.
2 600 MILLIARDS
C’est, en euros, le montant des
achats d’actifs effectués par la
BCE sous l’ère Draghi.
0,2 %
C’est le taux de croissance du
produit intérieur brut (PIB) de la
zone euro au deuxième trimes-
tre (contre 0,4 % au premier).
LES CHIFFRES
900 EUROS
C’est le montant médian des
pensions de retraite outre-Rhin.
63 ANS
C’est l’âge à partir duquel
les actifs peuvent prétendre
à la retraite à taux plein,
à condition d’avoir cotisé
quarante-cinq années.
18,6 %
C’est le taux actuel des
cotisations de retraite rapportées
au salaire brut, payées pour
moitié par l’employeur. Il pourrait
à terme dépasser les 30 %
à cause du vieillissement
de la population.
triel est particulièrement touché,
au plus bas depuis 2012.
« Il est clair que l’économie [de la
zone euro] a commencé le qua
trième trimestre avec très peu de
croissance », estime Oxford Eco
nomics, un cabinet de prévisions
économiques. La situation est
telle que la BCE a annoncé, en sep
tembre, qu’elle baissait son taux
de dépôt et reprenait un pro
gramme d’achat de titres finan
ciers. M. Draghi n’aura pas réussi
à normaliser la politique moné
taire avant son départ.
Pour lui, la première cause du
ralentissement est claire : la
guerre commerciale menée par
le président des EtatsUnis, Do
nald Trump. « Cela reflète la fai
blesse actuelle du commerce in
ternational dans un environne
ment d’incertitudes mondiales
persistantes, qui pèse sur le sec
teur industriel de la zone euro et
affaiblit les investissements. »
C’est dans ce contexte que Chris
tine Lagarde va succéder à M. Dra
ghi. Celleci était présente à la der
nière réunion du conseil des gou
verneurs, mais sans intervenir.
« Elle n’a pas besoin de conseils », a
répondu élégamment M. Draghi à
une question d’un journaliste.
Elle sait parfaitement ce qu’elle a à
faire. » C’est désormais à elle qu’il
incombera de convaincre les pays
de la zone euro – et d’abord l’Alle
magne – de réformer la gouver
nance de la monnaie unique.
éric albert