Le Monde - 26.10.2019

(Wang) #1
durantresteromantique. Sanscomp-
terles retraités, dontlapartaugmente
dès ledimanche soir,quandarrivent
les vrais curistesàlasemaine.«Etlà,
après 20 heures, vous aurez le bar pour
voustout seuls.»Àlacarte :des cock-
tails vitaminés, mais aussides«mojitos
normands»(au calva). Peuimportent
les excès, leurseffets se dissiperontau
spaoùonrespireutile (aromathérapie
«optimisante »au hamman) et où on
boit utile (de«l’eaudétox»,des tisanes
drainantesouapaisantes).

leurfaçondeparler
«Onrestesur un enveloppement?»
«Serrez les abdos, la douche pommée,
ça peut accélérer le transit.»«Souviens-
toibien detonnumérodeporte-
manteau,tut’étais fait volerton
peignoir enIslande.»«Touche, là, c’est
mestoxines.»«Je me senscomplète-
mentmarshmallow..»

leurs questionsexistentielles
Selsdebain au jasmin ou aux
agrumes?Pourlafin dela douche,
le jet décontractantpour le dos
ou énergisantpour la circulation
des jambes?

leur graal
La grande suitedeThalazur à
1500 euros la nuit.

la faute de goût
Demanderàunemployé ou àuncuriste
de Thalazur s’ilavuThalasso.

«Etyaquoi,comme plat, entrela
soupe decourge et la bananeconfite?»,
demandeMichel Houellebecq, dans
le filmThalasso,au serveur durestau-
rant de la thalasso où il se trouve
en cure.«Rien, monsieur,c’estça,
le plat.»Lescomédies surfond de
thermalismefont appel aux mêmes
ressortscomiques depuis qu’Obélix
et Asterix sontpartis encuredans
Le Bouclier Arverne («jen’en veux pas,
moi,deson grain deraisin...»).Qu’on
les appelle thalasso ou stage détox,
les accros s’yreconnaissent,àtrave rs
les frontières et les époques.Voilà
qui méritait d’allervoir de plus près
la communautédes curistes et de
ceux qui lestartinentd’algues.
Tant qu’àfaire, onachoisi lecent re
Thalazur de Cabourg,celui où se
déroule le film deGuillaume Nicloux,
avec HouellebecqetDepardieu sorticet
été, parceque, comme le dit sonpatron,
Régis Chèze,«maintenanttout le monde
sait qu’ilyaune thalassoàCabourg».Il
racontequ’aujourd’hui des curistes
demandent«à quand leCésar?»aux
serveursdurestaurant. Ce direc-
teur enchanté(«tourneravecDepardieu,
ça n’arrive qu’unefois dans sa vie»)se
souvientd’avoir emmené en bustous
les employésayant participéaulong-
métrageàson avant-premièreàParis.
L’évocation decetteœuvre potache
déguisée en film d’auteur semble
pourtant susciter un léger malaise
parmi lespersonnesrencontrées.
«Unnavet»,balaie-t-on d’un geste
dans un lieu où le navetad’ordinaire
la cote.Chacun semble s’êtretrouvé
une bonne raison de nepasaller voir
le film,pourtant tourné dans un éta-
blissementoùils ontleurshabitudes.
Unevraie débandade.«Jesuis plutôt
film d’action...»,«Jen’aime pastrop
les documentaires...»«J’at tends qu’il
passe surNetflix...»,ajouteunautre.
Un dernier lâche :«Ilparaît qu’il nous
ridiculise.»
Lesemployésinvités àl’avant-première
eurentlasurprise den’yvoir ni


Depardieu niHouellebecq, etcertains
sont revenus àCabourgenexpliquant
àleurscollègues que la production
s’étaitpayé leur tête .Etpuis ilyacette
réplique quiafait riredans les salles
de ciné, maispastousceux qui, à
Thalazur,sontchargés de plonger en
souriantles clients dansdes baignoires
àpapouilles :«C’est des mecs qui sont
au chômage.Ils font deux, troisforma-
tion s, et ilste brûlentlabite.»

leurs signes distinctifs
Dansl’imaginairecollectif,lecuriste
mange des carottesvapeur au déjeu-
ner et de lavapeur de carottes au
dîner.Danslaréalité,depuis que les
curesthermales ne sontplusrembour-
séesparlaSécuritésociale, les hôtels
de thalassocourentaprès laclientèle
des comités d’entreprise et des socié-
tésenséminaire, et leur proposentdu
«bien-être».Comprendredes petits
déjeunersavecsaucisses, brioches et
22 pots deconfiture.Unerecomman-
dation de diététiciennepour secom-
poser unpetit déjeunerà270 calories
est accrochée au murpasloin des
montagnes de viennoiseries. Chez
Thalazur,ler estaurantdelathalasso
se dit«gastronomique »,avec huit
couverts parpersonne, etsert despro-
fiteroles au dessert. Depuis que les
adeptes du jeûnepartentmarcher
dans les Alpilles dans des établisse-
ments spécialisés, labonne bouffe est
devenue un plus de la thalasso.
Quelquesclients fumentsur laterrasse
et rangentleur paquet dansleur poche
de peignoir.
La démocratisation hédonistedela
thalasson’est pasvisibleàl’œil nu,
le port du peignoir aplanissantles iné-
galités sociales. Labalnéothérapie
menaçantdetransformer enJoker
lesfemmes trop maquilléesoblige au
naturel. On croise aussi bien des jeunes
accouchéesàqui onaconseillé de
«faireune thalasso»quedes couples
persuadés que devoir sonconjointen
peignoir-chaussons unweek-end

ENTRE-SOI

TexteGuillemetteFAURE

extensiondudomaine de la cure.
ÀLARENCONTRE DES CURISTESAU CENTRE THALAZUR DE CABOURG.

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