Àl’heureoùlesdouzecommissions
constituéesdanslecadredu Grenellecontre
lesviolencesconjugaless’apprêtentàrendre
leurspremièresconclusions,Marguerite
Sternditn’en«rienattendre».Pourelle,les
pouvoirspublicsn’ontpasprislamesuredu
«massacre»:«Centvingt et unefemmessont
mortes depuisle1erjanvier. C’estune violence
systémique,commeilexisteunracismesysté-
mique,unproblème struct urel de lasociété.
On nousfait croirequ’il yaencore besoin
de parler,c’est faux!Depuisque leGrenel le
aété annoncé,vingt-six femmessontmortes.
Desactes!»LeHautConseilàl’égalitéentre
lesfemmesetleshommesetlesassociations
féministesdemandentunmilliardd’euros
àl’État,répartis entrelapolice,lajustice,
l’éducation,l’hébergementd’urgence...
«Nousneportons pas de revendications
plus détaillées,car nous netravaillonspas
surlet errainavecles femmesvictimes
de violencesconjugales,expliqueMarguerite
Stern.Nous nesommespas desexpertes,
noussommesdes acti vistes.»
Le mouvement,informeL,neporte
pasdenom,nese revendiqued’aucune
organisation,d’aucunmanifeste. Mais
sesméthodessontdirectementinspirées
dumouvementféministeradicalFemen,
quelajeunefemmeaintégrédèssacréation
enFrance,fin 2011 .Àpeinemajeure,elle
débarquait d’Auvergne etvenaitdeplaquer
sesétudesd’artsplastiques.«J’aivécupen-
dant troi sans au QG,aveclenoyau durdes
militantes. Pour cettecampagned’affichage,
j’ai complètementreproduitceque j’ ai appris
avec Inna[InnaShevchenkoestl’une deségé-
riesFemen]»,confieMargueriteStern.Entre
septembreetoctobre,lamilitante,voixposée,
sourirerare,aaccueilliaumoins2 00 femmes
danslesquat où ellevit, JardinDenfert, un
anciencouventdu 14 earrondissementinvesti
pardesartistes.Lesnouvellesrecruesont été
forméesàl’actiondirecte,avecunleitmotiv:
«Onpeint,oncolle, on inondeParis».«Dans
la sphère de l’activisme,laparole devientsclé-
rosante.Jel eur ai appris ànepas se perdre
dans lesconversationsWhatsApp. Notreseul
souci, c’estl’efficacitéd’action,lar éappropria-
tiondel’espacepublic»,déclarelajeune
artiste.Pourcela,lacapitaleaétédécoupée
encinqzones,associéesàdesgroupesprivés
Facebookquis’organisentdefaçoninfor-
melle.Certainescollent engroupe,d’autres
seules.Iln’yapasd’homme,«nousn’avons
pas le tempsdefaire de lapédagogie»,
tranchelamilitanteaguerrie,quiaaussi
veillédeprèsàl’élaboration desmessages.
«Prenezsoin desvisuels,conseille-t-elle
surTwitterauxcolleusesducollectif.On nous
demandedepuistoujour sd’êtrefragilesetdis-
crètes.Ehbien, désormais,exigeonsbruyam-
ment!Oncolledes messagesqui prennent
de la place, écritsdans destypographies
épaisses.»Ycomprisdanslesarrondisse-
mentsbourgeois ou prèsdeslieuxdepouvoir.
Lespremierstemps,elleatoutcontrôlé,
validantpersonnellementchaqueslogan,
choisissant desphrasesquiinterpellent:«Elle
lequitte,illatue»:«Papa,ilatuémaman»,
«Féminicides:+d’1Bataclanparan».
Lajeunefemmeagardécerôle de leader
pendantunmois,puisaferméleQG endisant
auxfillesducollectif deseprendreenmain.
C’estqu’elleadéjàbeaucoupdonnéàla
cause, MargueriteStern.En2 01 3,ellefaisait
partiedestroisFemenincarcéréesunmois
enTunisiepouravoir demandé,seinsnus,
la remiseenlibertéd’AminaSboui,unejeune
Tunisienne membredumouvement.
«Çareste un très beausouvenir,assure-t-elle
aujourd’hui.La prisonaété uneexpérience
très formatrice, un grandmomentdesoro-
rité.»Ellerefuse d’évoquersaviepersonnelle,
mais lesannéesmilitantesquiont suivi,
émailléesdegardesàvue,d’agressions phy-
siquesetverbales,demenaces,l’ont épuisée.
En 2015 ,elles’installeàMarseillepourtrou-
verun«boulotsérieux».Ellevit danslePanier,
cequartierpopulaireenbordureduVieux-
Portetrefusedecomposeraveccequ’elle
considèrecommeessentiel.Àtousleshabi-
tantsquila sifflent ou la hèlentàcause d’une
jupetropcourteoud’unshortdéchiréaux
fesses,elleréponddutacautac.Ellenelaisse
rienpasser.Avecsonstyle:direct, tranchant,
sansfioritures.Dans lanuit du20 octobre
2016 ,ontiredepuislaruesurlafenêtre
desonsalon.Unavertissement. En«état
de choc,terrifié e»,ellearrête tout,trouve
unemploidansuneassociationavecdes
mineursisolés,envisageuneformationd’édu-
catrice. Maiselleabandonne le jouroùses
collègues,quiont découvertsonpassé
deFemen,commencentàlaharceler.
MargueriteSterndécrocheensuiteunposte
de surveillantedansuncollègedesquartiers
nord,prèsdelacitédesMarronniers.Lejour,
elleanimedesateliersaudioaveclesados.
Lesoir,l’artiste tentededonnersensàtoutça,
et tientunjournalsursonquotidien,qu’ellea
intitulé«Étatdeslieuxdelajeunesse».
Un jour,elledétournelefameuxtag«Jul
Président»,peintlelong desvoiesdela gare
Saint-Charles,enuncollage«AyaNakamura
Présidente»,quelachanteusepartage sur
lesréseaux.Etc’estlà,ànouveau,quetout
bascule:descollégienstombent dessus,
découvrent lesoptionspolitiquesdeFemen
–actionsseinsnus,discoursviolemmentanti-
religieux...C’estundéferlementd’insultes.
Ellen’apluslaforced’allertravailler,laméde-
cine la déclareinapte.L’ annéedernière,
lajeunefemmeadécidé detoutlâcheret
de«retourner prendresaplacedansl’espace
public».Elleessaiedésormais devivre
desonmilitantismeenréalisantdespodcasts,
«Héroïnesdelarue»,produitsparBinge
Audio.«C’est la guerre,onest obligées d’agir.
Je ne sais plus ce quec’est,une viesansça,
confie-t-elle.Je ne dorspas tranquille, j’ai eu
destraumatismes. Mais tout ce queje fa is,
je le fais en connaissance de cause.»
“On nousfait croire qu’ilya
encore besoin deparler,c’est
faux !s’indigne Marguerite Stern.
Depuis queleGrene lleaété
annoncé, vingt-sixfemmes
sont mortes. Desactes !»
ÀParis, plus
de 200femmes
ont participé
aux collages.
Dont un sur
les mursde
l’ambassade
d’Afrique du
Sud,àlasuite
du meurtre
de la jeune
Uyinene
Mrwetyana, au
Cap, le 24 août.
18
lasemaine
Camille Gharbi pour
Le
Monde