Le Monde - 27.10.2019 - 28.10.2019

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22 |culture DIMANCHE 27 ­ LUNDI 28 OCTOBRE 2019


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Eisenstein, un mystique en habit de bolchevique


Le génial cinéaste du « Potemkine », formé par le théâtre d’avant­garde, a les honneurs de Pompidou­Metz


EXPOSITION
metz­ envoyé spécial

I


l était le cadet, non seule­
ment des pères fondateurs –
Chaplin, Griffith, Murnau –
mais aussi des grandes figu­
res de l’âge classique du cinéma –
Ford, Hitchcock, Renoir. Pourtant,
l’imposante figure de Sergueï
Mikhaïlovitch Eisenstein (1898­
1948) apparaît plus lointaine que
celle de ses pairs, enveloppée dans
la brume de l’histoire, masquée
par quelques clichés – un landau
qui dévale une volée de marches,
des chevaliers noirs chargeant sur
la glace, le profil aquilin d’un mo­
narque cruel.
La monumentale exposition
que consacre le Centre Pompi­
dou­Metz au cinéaste soviétique
donne la juste mesure de l’œuvre
d’Eisenstein. Sa production a
beau avoir été succincte – huit
longs­métrages entre 1924 et
1946 –, l’enfant prodige de la ré­
volution d’Octobre, devenu
l’éternel suspect du stalinisme, a
plus inventé et pensé qu’aucun
autre réalisateur.
Et si « L’Œil extatique » – titre
choisi par les commissaires de
l’exposition, Ada Ackerman et
Philippe­Alain Michaud – a choisi
la voie de la monumentalité, oc­
cupant l’espace de la nef du Cen­
tre Pompidou­Metz, c’est pour
rendre justice à l’inextinguible
soif de formes qui tenaillait
Eisenstein, à sa faculté de créer un
art nouveau en digérant les mo­
des d’expression glanés au gré
des siècles et des continents.

L’architecture du parcours qu’a
construit le scénographe Jean­
Julien Simonnot est d’une appa­
rente simplicité. Après avoir
passé un monumental triptyque
qui juxtapose des images des
films d’Eisenstein pour mieux
souligner la permanence des fi­
gures et des thèmes (le soulève­
ment, la souffrance physique, le
martyre...), on suivra le travail de
ce très jeune homme, né à Riga
d’un père juif converti et d’une
mère issue de la bourgeoisie
russe, devenu bolchevique
en 1917, soldat de l’Armée rouge
en 1918, en même temps qu’il dé­
couvrait le théâtre d’avant­garde
et le cinéma.

Dimension sensorielle
Dès la première salle, qui évoque
son travail sur les planches mos­
covites, sous l’influence du met­
teur en scène et théoricien du
théâtre Vsevolod Meyerhold, les
gravures de figures de la comme­
dia dell’arte de Jacques Callot
(1592­1635) répondent aux sil­
houettes burlesques du premier

figures pour la fête des morts
mexicaine, font office de clés. Elles
ouvrent non seulement les portes
d’un processus créatif, mais elles
influent aussi sur le regard que le
visiteur­spectateur portera sur le
cinéma d’Eisenstein.
En 1924, quand il réalise La
Grève, son premier long­métrage,
dénonciation du capitalisme et
célébration de l’action révolu­
tionnaire, Eisenstein n’hésite pas
à peindre l’adversaire sous des
traits animaux, selon un procédé
déjà centenaire, utilisé par Callot
ou Grandville. C’est le signe de sa
prodigieuse érudition, mais aussi
le révélateur de pulsions qui
échappent aux nécessités ration­
nelles de l’agitprop et entraînent
l’œuvre dans une dimension sen­
sorielle immédiate, que d’aucuns


  • dont le grand cinéaste commu­
    niste Dziga Vertov – jugèrent in­
    compatible avec les nécessités de
    l’art révolutionnaire.
    Les deux films suivants d’Ei­
    seinstein, Le Cuirassé Potemkine
    (1925) et Octobre, réalisé en 1927
    pour célébrer le dixième anniver­
    saire de la prise du pouvoir par les
    bolcheviques, exacerbent cette
    dialectique de la raison et des sens.
    L’essence de Potemkine tient aussi
    bien à la perpétuation et au renou­
    vellement de l’imagerie révolu­
    tionnaire qu’à l’homoérotisme de


certaines scènes. Octobre est
scandé de séquences illustrant la
chute des idoles, mais la dénon­
ciation de l’irrationalité reli­
gieuse se double d’une fascina­
tion pour le mysticisme.
Après avoir mis en scène La Li­
gne générale (1929), célébration
naturaliste de la collectivisation
des terres, Eisenstein commence
une longue errance qui ressem­
ble par bien des côtés à une fuite.
Alors que Staline assoit son pou­
voir, le cinéaste, devenu une
étoile planétaire grâce à Potem­
kine, part pour les Etats­Unis,
pour y rencontrer Chaplin ou
Mary Pickford, puis au Mexique,
où il entame une fresque qui veut
embrasser toute l’expérience du
peuple mexicain, de la colonisa­
tion espagnole à la révolution qui
a secoué le pays de 1910 à 1920.

Films mort-nés
La contrainte soviétique se com­
bine à la contrainte hollywoo­
dienne : en conflit avec ses finan­
ciers américains, rappelé à Mos­
cou par Staline en 1932, Eisenstein
ne peut mener à bien ce projet,
pas plus qu’il n’a pu faire aboutir
Glass House, un film situé dans
un immeuble de verre, dont l’idée
lui était venue à Berlin, lors de la
présentation de Potemkine. Ces
films mort­nés ou inachevés,

auxquels il faut ajouter Le Pré de
Béjine (1935), nouvelle ode à la col­
lectivisation, recalée et détruite
par la censure stalinienne, don­
nent lieu à Metz à des installa­
tions fascinantes, qui non seule­
ment laissent entrevoir ce qui
aurait pu être, mais promeuvent
l’idée qu’une œuvre peut être
faite d’autre chose que d’objets
achevés. La structure édifiée pour
évoquer Glass House ou l’ivresse
mortifère du dia de los muertos
(« jour des morts ») mexicain
trouvent leur place dans la grande
fresque mentale qu’Eisenstein
compose, qu’il tourne ou pas, que
ses films voient le jour ou pas.
Ceux qui ont survécu sont tous
projetés à Metz. Le cinéaste, lui,
n’a pas eu la patience de survivre
à Staline. Après avoir retrouvé les
faveurs du tyran grâce à Alexan­
dre Nevski, épopée qui préfigure
la grande guerre patriotique, il
les perd en mettant en scène Ivan
le Terrible, le tsar sanguinaire qui
a irrigué de flots de sang les fon­
dations de l’Etat russe, et meurt
en 1948.
thomas sotinel

L’Œil extatique, Sergueï
Eisenstein, cinéaste à la croisée
des arts, au Centre Pompidou­
Metz, jusqu’au 24 février 2020.
De 7 € à 12 €.

Sergueï
Eisenstein
montant
« Octobre »,
en 1927.
RUSSIAN STATE
ARCHIVE OF
LITERATURE AND ART

Sa production
a beau avoir
été succincte,
l’enfant prodige
de la révolution
d’Octobre a plus
inventé qu’aucun
autre réalisateur

film d’Eisenstein, Le Journal de
Gloumov (1923), court­métrage
réalisé pour les besoins d’une
mise en scène théâtrale.
Tout au long du parcours, ces
œuvres plastiques, de toutes pro­
venances, étude pour La Liberté
guidant le peuple de Delacroix ou

C A R N A V A L S
L’Unesco demande
à la Belgique de
s’expliquer sur des
« clichés antisémites »
L’Organisation des Nations
unies pour l’éducation, la
science et la culture (Unesco)
a indiqué, vendredi 25 octobre,
avoir demandé à la Belgique
des explications concernant
des dessins véhiculant des
« clichés antisémites » qui
pourraient, d’après l’institu­
tion, être utilisés lors de l’édi­
tion 2020 du carnaval d’Alost,
suscitant l’indignation d’orga­
nisations juives.
Le carnaval de cette cité fla­
mande, dont la dernière édi­
tion avait déjà fait l’objet d’une
polémique, est menacé d’être
retiré de la liste du patrimoine
culturel immatériel de l’hu­
manité établie par l’Unesco.
Lors de la dernière édition,
un char caricaturant des juifs
orthodoxes assis sur des sacs
d’or avait participé au défilé.
L’Unesco avait condamné des
« dérives racistes et antisémi­
tes », les autorités locales

défendant « un rituel
de transgression ». La nouvelle
controverse a surgi quand
un dessinateur a transmis
à la presse flamande une série
de « rubans », des rectangles
de tissu reproduisant des juifs
en habit orthodoxe, similaires
à ceux du char et surmontés
de slogans se moquant de
l’Unesco. – (AFP.)

É TAT S - U N I S
Harvey Weinstein
pris à partie dans
un bar new-yorkais
Une sortie à New York de
Harvey Weinstein, inculpé de
multiples agressions sexuel­
les, a fait des vagues : plu­
sieurs femmes l’ont en effet
insulté avant d’être expulsées.
Selon des vidéos et témoigna­
ges postés depuis jeudi 24 oc­
tobre sur les réseaux sociaux,
le producteur de cinéma
déchu assistait la veille à une
soirée de stand­up dans un
bar de Manhattan, quand
la comédienne présente
sur scène l’a pris à partie.
« Je ne savais pas qu’on devait

apporter nos sprays au poivre
et nos sifflets anti­agression »,
a­t­elle lancé, avant de confier
avoir été victime de viol.
Une spectatrice a mis en ligne
une vidéo d’elle­même
criant : « Je suis à 1 mètre d’un
violeur et personne ne dit
rien? »
Vilipendé sur les réseaux
sociaux, le bar concerné, le
Downtime, a posté un mes­
sage sur Facebook, rejetant la
responsabilité de la présence
du producteur sur les organi­
sateurs de cette soirée privée,
qui avaient « leur propre liste
d’invités ».
L’organisatrice s’est excusée
que des personnes « se soient
senties menacées » par la pré­
sence d’Harvey Weinstein.
Dans une déclaration au Hol­
lywood Reporter, un des por­
te­parole de celui qui est en li­
berté surveillée à New York
en attendant son procès, le
6 janvier 2020, a jugé que l’in­
cident était « un exemple de la
façon dont ses droits en tant
qu’accusé sont foulés aux
pieds ». – (AFP.)

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