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FRANCE
DIMANCHE 27 LUNDI 28 OCTOBRE 2019
0123
Villani : dans les pas d’un candidat décalé
Personnalité atypique, parfois déconcertant, le scientifique veut s’imposer aux élections municipales à Paris
REPORTAGE
U
ne quinzaine de mi
nutes de retard,
comme à son habi
tude, et il finit par arri
ver. Avec son lourd cartable, sa la
vallière, son costume noir à fines
rayures sur lequel est accrochée
une délicate broche araignée, pas
de doute, c’est lui : Cédric Villani. Il
a pris le métro, le bus, marché un
peu. Parvenu porte de Bagnolet,
dans cette extrémité populaire du
20 e arrondissement, il semble
hors de son élément naturel. Il
n’est plus tout à fait le prof capa
ble de disserter des heures sur les
équations de Boltzmann et de
Landau en théorie cinétique des
gaz et des plasmas, le sujet de sa
thèse. Mais pas non plus un politi
que en campagne comme un
autre. Un homme en léger déca
lage, dirait Sempé.
Ce jeudi 24 octobre, l’équipe qui
cornaque le dissident de La Répu
blique en marche (LRM) a prévu
une déambulation comptant une
petite dizaine d’étapes. Il est
censé se montrer, rencontrer des
commerçants. « C’est cela, le ma
rathon de Paris !, s’amuse le can
didat à la Mairie de Paris. Une ville
se conquiert rue par rue. »
Lui qui, en 2017, avait été élu dé
puté de l’Essonne à l’issue d’une
offensive éclair se plie cette
foisci à tous les rites d’une cam
pagne locale de longue haleine.
Car si son visage devient assez
connu, son nom l’est moins.
Avec 15 % des intentions de vote
au premier tour, il reste en troi
sième position dans les sonda
ges, derrière la maire sortante,
Anne Hidalgo, et le candidat offi
ciel de LRM, Benjamin Griveaux.
Deux rivaux dont il doit se dis
tinguer, alors même qu’il a pré
sidé le comité de soutien à Anne
Hidalgo en 2014, et appartient
toujours à LRM.
« Répondre honnêtement »
Pour l’heure, son objectif est pré
cis : deux déplacements par jour,
afin de passer dans chaque arron
dissement au moins tous les dix
jours. Le voici qui se lance avec
quelques militants à l’assaut de la
rue de Bagnolet. Mais ce jeudi
aprèsmidi, les passants sont ra
res. Le garde du corps qui protège
le candidat depuis quinze jours
est désœuvré. « C’est davantage
pour que Cédric s’y habitue que
pour parer des coups », glisseton
dans son entourage.
Premier arrêt chez Resto Mat, un
distributeur de matériel de cui
sine. Cédric Villani retire la laval
lière et s’installe dans le fauteuil
du patron de cette PME de seize
personnes. Bon élève, il sort de
son cartable le carnet violet dans
lequel il note ce qu’il retient de ses
rencontres. « Vous connaissez le
nom de votre maire d’arrondisse
ment? », demandetil après quel
ques questions sur l’entreprise.
« Euh... », hésite le gérant. « Ça ne
m’étonne pas, reprend le candidat.
C’est un signe. Les maires d’arron
dissement ne sont pas connus,
parce qu’ils ont peu de pouvoir. Il
faut leur en donner plus, notam
ment sur l’urbanisme. »
Chez le vendeur de parquet,
juste à côté, débat sur la difficulté
de circuler dans la ville, les con
traventions récoltées par dizai
nes. « Pour réduire les embou
teillages, il y a besoin de penser
Paris en grand, et de recoudre la
coupure du périphérique », dé
clare Villani, qui propose que la
capitale absorbe les communes
voisines. Suit une longue conver
sation avec le spécialiste du bois
sur les applications du liège, no
tamment dans la conquête spa
tiale. Puis un détour improvisé
par un charmant parc, où il n’y a
malheureusement personne.
Puis une halte impromptue au
café. L’occasion d’un point sur le
début de la campagne, souvent
jugé un peu chaotique.
« Je n’ai aucun problème avec les
déplacements de terrain, assure
Cédric Villani. Tous les grains de
sable sont venus des médias, de di
rects imprévus. » Comme cette sé
quence où, interrogé à propos du
logement, il semblait ne pas avoir
la moindre idée sur ce sujetclé.
« Je fais mon apprentissage, recon
naîtil. Les médias qui vous fon
dent dessus, c’est cela qui de
mande le plus de vigilance. »
Les séances de média training
suffirontelles? « Cédric a un cer
veau ainsi fait que lorsqu’on lui
pose une question, il cherche à y ré
pondre honnêtement, là où
d’autres s’en sortent par une pi
rouette, analyse l’un de ceux qui le
connaissent bien. Ça peut déra
per... » Un autre s’inquiète encore
plus : « Cédric a toujours été bizarre,
mais hyperprotégé. Là, il se re
trouve exposé comme jamais. J’ai
peur qu’il n’explose en vol. » Pro
chain test, dimanche 27 octobre. Le
mathématicien devenu député est
l’invité du « Grand Jury » de RTL.
En tous les cas, l’argent néces
saire à la campagne rentre bien,
affirme le candidat. La veille en
core, il a participé à un dîner de
levée de fonds dans le très chic
7 e arrondissement. Au total,
Cédric Villani veut réunir 2 mil
lions d’euros pour tenir jusqu’au
second tour, le 22 mars. « Les
questions de ressources ne seront
pas un obstacle », prometil.
Les troupes non plus. Au pre
mier tour, il faut certes aligner
527 candidats. Mais « le plus dur est
moins d’en trouver que de les sélec
tionner », confie la tête de liste. En
quelques mois, il a réussi à ras
sembler quelques milliers de mili
tants, séduits par sa personnalité
hors norme. Environ « 30 % de dé
çus d’Hidalgo, 70 % de déçus de
LRM », évalue un hiérarque socia
liste. « En juin, je ne retrouvais plus
dans le mouvement les valeurs ini
tiales d’En marche !, alors j’ai re
joint Villani, il m’emballe », témoi
gne Nicole La Cognata, une prof de
lettres à la retraite qui a milité au
PS puis à LRM, et escorte ce jourlà
le macroniste en rupture de ban.
Reprise de la déambulation.
D’abord une pause photo devant
une araignée peinte sur un mur.
« Un bon présage », prédit le
scientifique. Puis une station
chez le pharmacien, qui se plaint
de tous ceux qui lui chapardent
des brosses à dents et des pro
duits de beauté. « Il faut une po
lice municipale », dégaine le can
didat. « Au revoir, cher ami », con
clutil quelques minutes plus
tard, étonnamment civil avec un
homme qu’il n’avait jamais
croisé. Juste à côté, une dame l’ar
rête : « Je voterai pour vous, car Hi
dalgo, je veux qu’elle dégage! »
Nouvelle photo souvenir.
Propositions aux militants
La promenade se poursuit. Rien à
voir avec la façon quasi militaire
dont un Jacques Chirac pouvait
arpenter rues et marchés, serrant
un maximum de mains tout en
passant une minute chrono dans
chaque boutique. Villani pro
longe les discussions. Musarde.
Soudain, il s’échappe dans une
bouquinerie poussiéreuse et
déserte. Du coup, d’autres ren
dezvous envisagés passent à la
trappe, notamment dans la
grande librairie du quartier.
Rue de la Réunion, il évoque son
programme, encore à l’état d’ébau
che. Pour l’établir, il a mis en place
un protocole. Chaque proposition
est soumise à l’appréciation des
militants réunis certains samedis.
L’élection du président de la mé
tropole au suffrage universel n’a
pas franchi cette étape : « C’est trop
clivant, et nécessite d’être retra
Griveaux se pose en héraut des classes moyennes
L’exministre a dévoilé les noms de 53 personnes qui feront campagne à Paris avec lui d’ici à l’échéance de mars 2020
P
endant des semaines, les
membres de l’équipe de
Benjamin Griveaux se sont
gratté la tête. Quel allait bien pou
voir être leur marqueur politique
pour les municipales à Paris?
« Anne Hidalgo est antivoitures,
Gaspard Gantzer veut supprimer le
périphérique, Cédric Villani est le
savant fou, résumait en septembre
une cheville ouvrière de la campa
gne. Et nous, on raconte quoi? »
Benjamin Griveaux a trouvé son
mantra. Le candidat officiel de La
République en marche (LRM) en
tend être le candidat des classes
moyennes. « C’est le combat ab
solu, affirmetil. Je ne veux pas que
Paris devienne uniquement la ville
des riches, des bobos, des touristes
et des gens modestes », une juxta
position de ghettos bourgeois et
de ghettos de pauvres. « Il faut
aussi que les profs, les cadres
moyens, les infirmières, les journa
listes, les freelances y trouvent leur
place, tous ces gens qui gagnent
parfois 5 000 euros à deux par mois
et que les prix du logement obligent
à quitter Paris », ajoutetil.
« Vent populiste »
L’ enjeu dépasse la capitale. « Si le
vent populiste souffle sur l’Europe,
c’est parce que les classes moyennes
souffrent et ne croient plus à ce qui
leur est proposé, analyse Benjamin
Griveaux. Or c’est dans les grandes
métropoles que l’on peut commen
cer à apporter des réponses à ces
problèmes. » Par exemple en réser
vant certains logements sociaux à
des personnes à revenu intermé
diaire qui travaillent dans la ville.
Ce projet tourné vers les classes
moyennes sera aussi porté par
elles. Tel est en tous les cas le mes
sage envoyé par Benjamin Gri
veaux en dévoilant, jeudi 24 octo
bre, les noms de 53 premiers candi
dats investis pour l’accompagner
dans les arrondissements, soit
10 % de ses futurs colistiers. « Sur
nos listes, nous voulons que figu
rent “ceux qui font”, de la restaura
trice au pharmacien, à l’infirmière,
l’écrivain ou l’assistante d’éduca
tion », explique Patrick LevyWaitz,
le coprésident de la commission
d’investiture.
Plus que la classe moyenne,
cette salve inaugurale de 31 fem
mes et 22 hommes reflète à vrai
dire surtout la sociologie des mili
tants parisiens de LRM. Aucun
ouvrier, aucun chômeur, mais
une quinzaine de cadres, de finan
ciers et d’entrepreneurs. Beau
coup de professions intellectuel
les : un écrivain, prof à Sciences Po
(Karim Amellal), le délégué géné
ral du groupe des écoles Centrale
(Gérard Creuzet), deux productri
ces, six avocates, six consultants...
Quant à l’infirmière évoquée,
son pedigree ne la rend pas vrai
ment représentative de la classe
moyenne ou de la « diversité »
annoncée : Joséphine Missoffe,
candidate dans le 16e arrondisse
ment, est la fille d’ErnestAntoine
Seillière de Laborde, l’exprésident
du Medef. Elle a épousé Alain Mis
soffe, un membre de la puissante
dynastie Wendel, fils de François
et Hélène Missoffe, deux anciens
piliers de la droite parisienne, et
frère de Françoise de Panafieu,
candidate à la Mairie de Paris
en 2008. La liste dévoilée jeudi
comprend également de nom
breuses personnes engagées dans
des associations et des syndicats.
Plusieurs disposent déjà d’une
expérience politique. A l’image de
Francis Palombi, le président de la
Confédération des commerçants
de France, candidat malheureux
de LRM aux législatives de 2017 en
Lozère. Aucun élu, aucune vedette
parmi ces premiers noms. Les
têtes de liste ne seront connues
que fin novembre, et les listes
complètes fin décembre. De quoi
laisser le temps de négocier avec le
MoDem et les centristes de droite
réunis autour de PierreYves
Bournazel d’éventuelles alliances
- et les places qui vont avec.
de. c.
Cédric Villani après l’annonce de sa
candidature à la Mairie de Paris, dans
une brasserie parisienne, le 4 septembre.
CHRISTOPHE ARCHAMBAULT/AFP
« Je fais mon
apprentissage.
Les médias qui
vous fondent
dessus, c’est cela
qui demande
le plus de
vigilance »
CÉDRIC VILLANI
vaillé. En revanche, la proposition
d’une piste cyclable métropolitaine
est plébiscitée. » Malgré les moque
ries de ses concurrents, le projet de
réserver 50 places sur ses listes à
des personnes tirées au sort reste
aussi à l’ordre du jour.
Dernière étape de l’aprèsmidi,
une rencontre avec les responsa
bles d’un incubateur de jeunes
sociétés spécialisées dans l’ali
mentation. Il y a quelques mois,
Cédric Villani n’aurait parlé avec
eux qu’innovation et intelli
gence artificielle. Cette foisci, il
les interroge sur la maire d’arron
dissement – eux la connaissent
bien –, ce qu’ils attendent des
pouvoirs publics, ce qu’ils peu
vent apporter au pot commun :
« Qu’estce que vous avez en stock
pour lutter contre le gaspillage ali
mentaire? » Le scientifique en lui
n’est cependant jamais bien loin.
Un jeune entrepreneur lui pré
sente le « premier aérateur de vin
connecté ». Question immédiate :
« Et cela repose sur quel principe
physique? »
denis cosnard