Libération - 22.10.2019

(Michael S) #1
des vans qui roulent à l’essence, ce
n’est pas viable.»

«Destruction»
Par la voix de Ken Loach, le sujet de-
vient éminemment politique lors-
qu’il réclame sans ciller un grand
service public de livraison en lieu et
place de celui des multinationales :
«Le salariat ne peut être qu’une étape
pour un changement plus durable. Il
faut nationaliser, créer un service
public de livraison comme l’était
la Poste autrefois. Si on prend Ama-
zon, par exemple, il faut en repenser
le business model parce qu’il provo-
que la destruction de nos villes et
de nos villages.» Reste désormais à
­convaincre «ceux qui décident» de la
nécessité d’opérer ce changement de
système. Et là, Ken Loach a le mérite
d’être plus écouté sur le sujet que
quiconque en France ces huit der-
nières années : la semaine dernière,
il a même présenté Sorry We Missed
You à l’Assemblée nationale.•

la pauvreté et le chômage quand, en
France, les travailleurs pour les
­plateformes sont plutôt des jeunes
­issus de l’immigration vivant en
banlieue.
Engagé politiquement, antilibéral
viscéral, Ken Loach déploie une vi-
sion dichotomique de cette nouvelle
forme de travail, héritée de la pensée
marxiste : d’un côté les patrons qui
profitent, de l’autre les travailleurs
exploités. «Pour ces entreprises, les
règles sont excellentes : ils ont une
force de travail facilement exploita-
ble et peu de régulations. Mais du
point de vue des travailleurs, c’est un
désastre : la pauvreté augmente et la
précarité est impitoyable. On a clai-
rement besoin d’un changement im-
portant. L’ubérisation n’est pas
­durable», insiste le cinéaste, qui
pointe, outre les abus sociaux, de
nouvelles ­réalités, à commencer par
celle de l’urgence climatique : «Tu ne
peux pas vivre dans un système où
tout est livré individuellement dans

I


ls ont eu l’impression de se voir à l’écran. Avant
la sortie de Sorry We Missed You, décrivant le
quotidien d’une famille victime de l’ubérisation,
Libération a convié deux anciens livreurs à une pro-
jection presse du dernier film de Ken Loach. Au fil
de l’histoire, on les a vus parfois amusés, parfois
émus de retrouver des morceaux de vie proches de
ce qu’ils ont vécu pendant des années.

le 7 août à un mouvement de grève symbolique, à l’initiative du Collectif des livreurs autonomes parisiens (Clap), place de la République à Paris. Photo Denis Allard


«Travailler pour des


plateformes ne peut pas


rendre heureux»


Deux anciens livreurs qui
se sont retournés contre les
multinationales ont visionné «Sorry
We Missed You» de Ken Loach.
Ils racontent à «Libération» en quoi
le film fait écho à leur expérience.

Jean-François Makosso-Tchapi, 47 ans, est un an-
cien livreur Amazon Prime, employé par un sous-
traitant pendant un an et demi. Il a connu les livrai-
sons à la chaîne et la pression de l’algorithme de la
multinationale. Jérôme Pimot, 50 ans, a, lui, été li-
vreur chez Tok Tok Tok et Deliveroo avant de fon-
der le Collectif des livreurs autonomes parisiens
(Clap). Il est aujourd’hui considéré comme le
­«monsieur anti-ubérisation» français. Tous les
deux ont en commun d’avoir ­poursuivi leur an-
cienne plateforme aux prud’hommes pour obtenir
réparation. Après la projection du film, ils ont dé-
battu à chaud.
Sorry We Missed You illustre bien l’un des res-
sorts de la nouvelle économie : quand on se met
à travailler pour une plateforme, Suite page 4

Libération Mardi 22 Octobre 2019 http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 3

Free download pdf