Libération - 22.10.2019

(Michael S) #1
Samedi, dans les
rues de Santiago.

néanmoins aux mobilisations ce lundi. «Les
tanks de l’armée et les militaires sont partout
dans les rues, ils ont chargé et frappé des cen-
taines de manifestants», confirme Corentin
Rostollan-Sinet. Les conditions de détention
des manifestants arrêtés ne manquent pas
d’interroger et d’alarmer, selon Felipe Espi-
nosa, avocat et militant du parti Convergen-
cia Social, qui n’hésite pas à évoquer des cas

de tortures lors de détention. «La police mili-
taire chilienne, les carabiniers, est souvent dé-
noncée au niveau international pour leurs
pratiques de torture et de mauvais traitements
dans le cadre des manifestations», confirme
Franck Gaudichaud.

«Héritages de la dictature»
Malgré les demandes de plusieurs ONG et de
l’opposition, le gouvernement refuse pour
l’instant de répondre à de telles accusations,
qui rappellent les années noires du pays.
«Les urgences de Santiago sont débordées»,
­insiste Franck Gaudichaud. Sur les réseaux
sociaux, des dizaines de témoignages et
d’images des violences laissent entrevoir les
atteintes aux libertés publiques, même si de
nombreux internautes ont vu leurs publica-
tions supprimées. A l’image de Sebastian, un
photographe qui a couvert les manifestations
du week-end. Un cliché représentant des ma-
nifestants en train de se faire violenter par
l’armée, devenu viral sur son compte Insta-
gram, a été supprimé. «Une manière de répri-
mer la mobilisation et de ne pas montrer ce qui
se passe réellement», ­estime-t-il.
Dimanche soir, le chef de l’Etat conservateur,
70 ans, a insisté sur la casse provoquée par la
mobilisation. N’hésitant pas à se dire «en
guerre contre un ennemi puissant». «Nous ne
sommes pas en guerre, a rétorqué Ricardo La-
gos Weber, sénateur et ancien porte-parole de

l’ex-présidente Michelle Bachelet. Nous sommes
confrontés à une crise politique mal gérée par
le gouvernement, dont le thème sous-jacent est
l’inégalité.» «Pour l’instant, la principale vio-
lence est celle de l’Etat, ajoute Franck Gaudi-
chaud. L’état d’urgence est surtout social.» Et
d’insister : «Penser le Chili actuel revient à
penser les héritages de la dictature. Piñera lui-
même s’est enrichi pendant la dictature. Son
frère était le principal ministre de l’Economie
dans les années 80, c’est lui qui a privatisé le
système de retraite et le code du travail, qui est
un des plus néolibéraux au monde.» Plusieurs
ministres du gouvernement étaient membres
des Jeunesses militaires sous Pinochet,
comme l’actuel ministre de l’Intérieur, An-
drés Chadwick. Le modèle néolibéral, où la
santé, les retraites, le transport et l’éducation
sont privatisés a été bâti pendant la dictature.
«La démocratie n’a pas fondamentalement
modifié cet équilibre, analyse Gaudichaud. On
assiste au réveil de la société, au réveil d’une
génération qui n’a pas connu la dictature, qui
commence à se mobiliser, à exiger des droits
sociaux et la fin de cet héritage maudit de la
dictature.» Un réveil brutal, et brutalement
réprimé. Lundi, l’ex-cheffe d’Etat du Chili et
présidente de la commission des droits de
l’homme de l’ONU, ­Michelle Bachelet,
­a demandé l’ouverture d’investigations indé-
pendantes sur les morts pendant les protesta-
tions de ce week-end.•

et 848 dans le reste du pays. Plus
de 2 000, estime de son côté Franck Gaudi-
chaud. La vague de répression laisse encore
sans voix des habitants de la capitale, qui
compte 7,6 millions d’habitants. «Ils nous ont
attaqués de manière disproportionnée, ont tiré
sur des gens désarmés dans la rue. Je suis mé-
decin et je n’ai jamais vu un tel niveau de vio-
lence», dit au téléphone Alvaro, qui participe


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