Le Monde - 05.10.2019

(Marcin) #1
redonner unpeudefoi et
d’espoiràcegaminrétif àtoute
autorité, prêtàsombrer dans la
délinquance, que Chas lui propose,
au début des années 1930, de suivre
àses côtésles coursdeThomas
Hart Benton, àNew York.Chantre
de l’artengagé, lepeintr ementor
prône unréalisme socialisteà
l’américaine.Il initie ses élèvesà
l’artdes muralistes mexicains, qui
chantent dans leursfresques la
révolution prolétarienne. Comme
lui, Charlesn’aqu’unrêve :«Rendre
au peuplece qui revientaupeuple.»

Durant


l’année
1934, il
embarque
Jackson dans un longpéripleàtra-
vers leurpays frappépar la crise.
Ensemble, ils manifestentaux côtés
des grévistes, sautentd’un train de
marchandises àl’autre, se
débrouillentpour arracher trois sous
àl’ambitieux programme artistique
lancépar Roosevelt pour sonNew
Deal, s’inquiètentdelamontéedu
nazisme.Usines, mines,terrils,
Charleschantera la classe ouvrière
pendantvingtans, réalisteàtout
crin.Jackson, lui,partirabien plus
vitepour lesterres oniriques de
l’abstraction.«Mon pèreatoujours
étédans lecollectif,mais ilasans
douteregretté d’êtrerestétroplong-
temps loyal auréalisme socialiste,
qu’iln’aabandonné qu’en 1945 pour
l’abstraction,estimeFrancesca.
Jackson était plusrebelle, mon pèrene
l’a jamais été. »A-t-il payé ce confor-
misme?L’après-guerreabesoin de
héros, deconquérantsàl’assaut de
nouvelles frontières.Après le
désastre, ellechercheàoublier dans
la flamboyancedel’abstraction les
millions de morts.Jackson incarne
tout cela. Sesdrippings, danses
endiabléesavec le pinceau, connais-
sentunsuccèsfulgurant.L’action-
paintingconquiertlascène mon-
diale. Il enest le grand prêtre, le
génie, le prophète. La quêtede
Charles est bien plus intérieure.
Est-cepour cetteraison que leurs
liens se distendent,tandis que leur
frèr eSandyprend lerelais,renon-
çantàsacarrièred’artistepour sou-
tenir Jack au quotidien, lerelever
quand il sombredans la déprime,
tenter de le préserverdes ravages de
l’alcool?Chez Charles, lepassage à
l’abstractionrelève d’une autre
forme de criseexistentielle.Quel
bienfait ontdonc tiréles masses
laborieuses detous cesdessins où il

leur rendait hommage?Àses yeux,
l’artdoit désormais être«une
identification personnelle aumys-
tère,àla magie, auxforces de l’esprit.
Uneillumination ».Ilsuit alorsla
voie dePaul Klee,Matisse,Miró,se
passionnepour la calligraphie, qu’il
enseigne et qui lui inspiredes toiles
couvertesdesignes cryptiques.La
réinvention d’un langage, deAàZ.
Voilà enfin son«écritureperson-
nelle »,clame son ami, lepeintre
BarnettNewman.
Lesdeux frèresn’ontrien àvoir.Ou
bien c’est dans leursdifférences
qu’ils seressemblenttant. Dans un
texted’intr oductionàl’exposition
de la Galerie ETC, lepoète et cri-
tique d’artMauriceBenhamou (père
et grand-pèredes fondateursdu
lieu) écrit :«Jack, horsdumonde,
visionnaireaudacieux jusqu’àl’im-
prudence. Charles sensibleàl’huma-
nitésouffrante,engagédans les
combats sociaux. Créantenfin,àeux

deux, une peinturetotale. »Lesdeux
facesd’un même idéal?Janus
Pollock,rivaux et quasi-jumeaux qui
se partagentleterritoiredelapein-
ture ?«Cette vision est très juste, les
deuxfrères étaientvraimentcomme
deux pôlescontraires,reconnaît
Francesca, quiaune sincèreadmira-
tionpour l’oncle qu’ellen’ajamais
connu.L’ un dans la lumière, l’autre
dans l’ombre; l’un dans l’extériorité,
l’autretout en intériorité. »Et de
poursuivre:«Tout,chez mon père,
chaque mot que je lis, parle du
mondeextérieur,etdesapeur dece
qui s’y joue, du pointdevue esthé-
tiquecomme politique. Iln’était pas
dutout dupe de lafaçondontJackson
aétépris par l’image,etqui,d’une
certainefaçon, l’a tué. »
CharlesPollock asurvécuàson
frère, mais les décennies qui ont
suivi sa mortn’étaientpas propices
àsadiscrétion,àsapeur etàson
retrait du monde.Lesannées 2010

sontheureusementplus favorables
àune réécrituredel’histoiredel’art.
Lesmarginaux, les oubliés, lescolo-
nisés, les épouses dominées, les
losersmagnifiques ontleventen
poupedanstous les musées.Le
temps de Charles est-il enfinvenu?
Un destin ne serépare pas,
Francesca le sait mieux que qui-
conque.«Mais montrercequin’a
jamais étémontré, c’est néanmoins
une sortederéparation. Charles, c’est
l’histoired’un siècle etcelle d’un
regard.Quantàsa voix, moi je
chercheencoreàl’entendre, etcela
meréveille lanuit. »

CharlesPollock
àRome, en 1963.

CharlesPOllOCK,GalerieeTC,
28,ruesainT-Claude,Paris 3e.
Tél.:09-50-77-40-07.du 10 OCTObreau
1 erdéCembre.Galerie-eTC.COm
Pollock&Pollock,d’isabelle rèbre,
un filmCOnsaCréaudialOGue
enTre CharleseTJaCKsOn,ensalle
débuT2020.

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Sylvia Winter/Charles

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