Le Monde - 05.10.2019

(Marcin) #1
0123
SAMEDI 5 OCTOBRE 2019 économie & entreprise| 17

Les victimes collatérales de la guerre Airbus­Boeing


Les secteurs touchés par les 7,5 milliards de dollars de taxes américaines autorisées par l’OMC crient à l’injustice


londres, rome, berlin, madrid ­
correspondants

S


entiment d’être « pris en
otage », décision « injuste
et disproportionnée »... Les
secteurs concernés par de
possibles surtaxes américaines
liées au conflit entre les avion­
neurs Airbus et Boeing accusent le
coup. L’Organisation mondiale du
commerce (OMC) a autorisé, mer­
credi 2 octobre, les Etats­Unis à im­
poser des droits de douane de
7,5 milliards de dollars (6,8 mil­
liards d’euros) sur des produits
européens pour punir l’Union
européenne (UE) d’avoir subven­
tionné illégalement Airbus. Le
soir même, le département améri­
cain du commerce publiait une
liste de huit pages comprenant
une myriade de produits suscepti­
bles d’être taxés à 25 % – les avions
le seraient à 10 % – à partir du
18 octobre. Selon Euler Hermes, la
France serait le pays plus affecté,
avec des pertes annuelles esti­
mées à 2,4 milliards d’euros.

La France en
première ligne
« Nous ne sommes pas concernés
par le litige aéronautique entre
l’Europe et les Etats­Unis. Nous
sommes pris en otage », a déploré
Antoine Leccia, président de la Fé­
dération des exportateurs de vins
et spiritueux français (FEVS), à la
suite de l’annonce faite par les
Etats­Unis de vouloir taxer les
vins français à hauteur de 25 %. Un
coup dur pour la filière viticole,
dont les exportations outre­Atlan­
tique pèsent un milliard d’euros,
avec 14 millions de caisses écou­
lées. Un chiffre encore en hausse
de 10 % au premier semestre 2019.
Le choc concerne de nombreu­
ses régions viticoles, Bordeaux en
tête (280 millions d’euros d’ex­
portation aux Etats­Unis), suivi
de la Bourgogne et du Beaujolais
(250 millions). Viennent ensuite
les rosés de Provence (140 mil­
lions) et les vins du Languedoc
(100 millions). M. Leccia estime
que la baisse des ventes pourrait
atteindre 50 % pour les bouteilles
de vin vendues à moins de 15 dol­
lars. Les vins italiens non taxés,
mais aussi les australiens ou chi­
liens devraient en profiter.
M. Leccia craint que les viticul­
teurs soucieux de maintenir leur
part de marché soient contraints
de baisser leur prix, ce qui obére­
rait la rentabilité de leurs entre­
prises. Ce milliard d’euros d’ex­
portation est, en effet, le fruit
d’une kyrielle d’acteurs français,
vignerons eux­mêmes, petites
maisons de négoce, coopérati­
ves... Avec le risque de fragiliser
les tissus régionaux. La FEVS de­
mande donc aux autorités fran­
çaises et européennes de trouver
une solution négociée. D’autant
que le Brexit et la situation à Hon­
gkong inquiètent aussi la filière.
Le boulet américain épargne
deux secteurs­clés : le champagne
et le cognac – les domaines de
prédilection des grands groupes
de spiritueux comme Pernod Ri­
card, Rémy Cointreau et le groupe
de luxe LVMH. Les cours de
Bourse de ces entreprises pro­
gressaient mardi, les investis­
seurs saluant la bonne nouvelle.
Autre secteur agroalimentaire
dans l’expectative : la filière lai­
tière. Les fromages français ven­
dus outre­Atlantique pourraient
aussi être taxés. Selon Benoît
Rouyer, économiste au Centre na­
tional interprofessionnel de l’éco­
nomie laitière (Cniel), la France a
exporté 25 000 tonnes de fro­
mage en 2018, pour un montant
de 176 millions d’euros.

L’Espagne inquiète
pour sa production
L’huile d’olive et les olives, les ci­
trons et les oranges, le fromage et
le vin, le porc ou encore les mou­

les... Ces produits phares de la pro­
duction agroalimentaire espa­
gnole sont visés par la hausse des
droits de douane de 25 % que pré­
voient d’instaurer les Etats­Unis.
D’après les estimations de la Coor­
dination des organisations d’agri­
culteurs et d’éleveurs (COAG),
cette décision pèsera sur un vo­
lume d’exportations de 970 mil­
lions d’euros. Cette surtaxe va pe­
ser sur la compétitivité de la pro­
duction espagnole : l’huile d’olive,
par exemple, est concernée par
cette surtaxe, mais pas celle fabri­
quée en Italie ou en Grèce.
« Il est totalement injuste et dis­
proportionné que le secteur agri­
cole paie pour une guerre commer­
ciale de l’Union européenne qui n’a
rien à voir avec le monde rural es­
pagnol », a regretté le secrétaire
général de COAG, Miguel Blanco.
De son côté, la Fédération espa­
gnole des industries de l’alimenta­
tion et des boissons (FIAB) calcule
que 1,7 milliard d’euros d’exporta­
tions sont concernés. Au total, les
exportations espagnoles aux
Etats­Unis représentent 13 mil­
liards d’euros, et le pays est le prin­
cipal client commercial de l’Espa­
gne hors de l’Union européenne
en produits agroalimentaires.
Le ministère de l’agriculture es­
pagnol, qui a déjà contacté la
Commission européenne pour
aborder la défense des intérêts des
entreprises nationales, se réunira
avec les secteurs touchés pour
« établir une position commune »,
a assuré le ministre, Luis Planas.
En 2018, l’Espagne avait déjà été
touchée par une hausse de 34,75 %
des droits de douane sur les olives
noires, prisées des Américains qui
en parsèment leurs pizzas. Le ré­
sultat ne s’est pas fait attendre :
depuis, les exportations ont chuté
de 50 %, selon l’Association espa­
gnole d’exportateurs d’olives de
table (Asemesa), au profit de celles
venant du Maroc et de l’Egypte...

Au Royaume­Uni,
les whiskys écossais
trinquent
Outre­Manche, les whiskys écos­
sais vont être les principales victi­
mes. Washington va imposer un
droit de douane de 25 % sur les pur
malt écossais, dont les exporta­
tions vers les Etats­Unis s’élèvent à
460 millions de dollars par an. En
valeur, cela représente la moitié
des produits britanniques touchés
par les sanctions américaines (qui
incluent aussi les pulls en cache­
mire, les anoraks pour femme...).
« C’est un mauvais coup », regrette
Karen Betts, directrice de l’Associa­
tion du whisky écossais.
Depuis vingt­cinq ans, le com­
merce de spiritueux entre les
Etats­Unis et l’Union européenne
est exempté de droits de douane.
Les whiskys écossais, réputés pour
leur qualité, en ont largement bé­
néficié (leurs exportations ont
quadruplé). Chaque année,
137 millions de bouteilles sont
achetées outre­Atlantique, dont le
tiers est constitué de pur malt.
L’industrie emploie 11 000 per­
sonnes, pour une large part dans
les campagnes écossaises.
Mme Betts, une ancienne diplo­
mate britannique qui a été en
poste à Washington, appelle à la
désescalade avant la publication,
le 18 octobre, de la liste finale de
produits touchés par les sanc­
tions. « Nous demandons à l’UE et
aux Etats­Unis de ne pas traîner les
spiritueux dans une bataille qui n’a
rien à voir avec notre secteur. »
Politiquement, ces sanctions
tombent au mauvais moment
pour le premier ministre britanni­
que Boris Johnson. Les brexiters
rêvent de signer un accord de li­
bre­échange avec les Etats­Unis, et
Donald Trump s’est montré
ouvert à cette idée, évoquant un
possible accord « substantiel », qui
pourrait multiplier « par trois ou
quatre » les échanges bilatéraux.

Cette nouvelle épreuve de force
rappelle que la réalité des négo­
ciations à venir risque d’être diffi­
cile. D’autant que les exigences
des Américains sont inaccepta­
bles pour Londres : ils veulent que
les Britanniques changent leurs
réglementations agroalimen­
taires, autorisant notamment les
poulets lavés au chlore et les
bœufs aux hormones. Ils souhai­
tent en outre une dérégulation du
prix des médicaments.

L’Allemagne
relativement épargnée
Parmi les pays visés par le cour­
roux de Washington, l’Allemagne
occupe une place à part : une sec­
tion entière de la liste des pro­
duits européens affectés par les
sanctions tarifaires lui est consa­
crée. Cisailles à métaux, tourne­
vis ou encore appareils à souder :
c’est avant tout le secteur des
fournitures industrielles qui fera
les frais des surtaxes américaines.

S’y ajoutent des produits aussi di­
vers que les objectifs photogra­
phiques, les livres et brochures
imprimés, ainsi que le café ins­
tantané, les biscuits et les vins.
Occupé à commémorer la réuni­
fication de 1990, jeudi 3 octobre, le
pays a accueilli la nouvelle avec cir­
conspection. « Peu de vins de Fran­
conie sont exportés vers les Etats­
Unis », a souligné l’association des
vignerons de cette région du nord
de la Bavière. La Maison Blanche
n’a pas imposé de tarifs douaniers
à des secteurs vitaux pour la pros­
périté nationale. L’automobile al­
lemande, pourtant la cible des
nombreuses attaques de Donald
Trump, est ainsi épargnée. Du
moins pour le moment.
M. Trump doit décider, d’ici au
13 novembre, s’il taxera ou non les
voitures importées d’Europe. En
attendant, à Berlin, la retenue est
de mise. « Nous allons réagir de
manière décisive, mais sereine, à
cette nouvelle situation », a déclaré
le vice­chancelier, Olaf Scholz.

L’Italie partagée entre
protestations et soupirs
de soulagement
Le prosecco, les vins, l’huile
d’olive, les pâtes et la mozzarella
sont épargnés, mais certains jam­
bons et le parmesan sont taxés à
25 % : le gouvernement italien
craignait des dommages considé­
rables depuis l’annonce des me­
sures de rétorsion américaines
contre l’export européen. Force
est de constater qu’elle a été plu­
tôt épargnée. L’inquiétude était
particulièrement forte dans le
domaine viticole, certaines ré­
gions, à l’image de la Toscane,
étant très dépendantes du mar­
ché américain.
Mercredi matin, alors qu’il était
en visite à Rome, le secrétaire
d’Etat américain, Mike Pompeo, a
essuyé par avance les protesta­
tions de son homologie Luigi Di
Maio, qui a rappelé avec insis­
tance l’alignement indéfectible

de Rome sur les positions inter­
nationales de Washington et sou­
ligné que l’Italie n’avait aucun in­
térêt dans Airbus.
En 2018, l’export italien aux
Etats­Unis a représenté plus de
42 milliards d’euros (c’est sa troi­
sième plus importante destina­
tion, après l’Allemagne et la
France). Pour l’heure, et même si
la liste est susceptible d’être mo­
difiée, l’impact théorique des me­
sures annoncées est symbolique.
Les taxes devraient sans doute
être inférieures au milliard
d’euros, soit à peine 0,05 % du
produit intérieur brut (PIB) tran­
salpin. Mais, remarque le quoti­
dien La Repubblica, « cela paraît
peu, mais il n’en est rien pour une
économie habituée depuis des an­
nées à voyager sur le fil, aux envi­
rons de zéro ».
éric albert,
jérôme gautheret,
laurence girard (à paris),
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