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SAMEDI 5 OCTOBRE 2019 sports| 21
A Doha, la douleur au bout du sautoir
pour le décathlonien Kevin Mayer
Handicapé par une blessure, le champion du monde en titre
a été contraint à l’abandon, jeudi, aux Mondiaux d’athlétisme
doha envoyé spécial
C
ontrairement aux appa
rences, Kevin Mayer n’est
pas un surhomme. Le dé
cathlonien français, vicecham
pion olympique, champion du
monde en titre et recordman du
monde, n’est pas infaillible.
Il peut connaître des moments
de faiblesse, à l’image de son
échec, en août 2018, aux cham
pionnats d’Europe de Berlin, avec
un zéro pointé à l’épreuve du saut
en longueur. Il peut aussi être rat
trapé par son corps. Et c’est ce à
quoi il a dû faire face, jeudi 3 octo
bre, lors du décathlon des cham
pionnats du monde de Doha. Une
blessure au tendon d’Achille gau
che, qui a provoqué des douleurs
au muscle ischiojambier de la
même jambe, l’a contraint à
l’abandon, quand la victoire lui
semblait pourtant déjà promise.
Avec abnégation
« Au décathlon, il y a toujours des
zéros et des blessures. Il faut accep
ter qu’en dix épreuves il va se pas
ser des choses, bonnes ou mauvai
ses, atil expliqué après avoir
quitté le stade Khalifa en pleurs.
C’est le jeu. J’ai tout donné jusqu’au
bout. Je suis énormément déçu,
mais je n’ai aucun regret. »
Celui qui a amené le record du
monde du décathlon vers des ri
ves inexplorées en septem
bre 2018 à Talence (9 126 points,
soit 81 points de plus que celui de
son prédécesseur Asthon Eaton) a
bien tenté de batailler. Mais la
douleur a été la plus forte. Incapa
ble d’engager la moindre esquisse
de saut lors de la perche, la hui
tième épreuve de ses dix « far
deaux » d’Hercule lui a été fatale :
« J’y ai cru jusqu’au dernier mo
ment. J’ai pleuré de rage au dernier
saut pour essayer de me transcen
der. » « J’éprouve de la compassion
et j’ai du respect pour lui car il s’est
donné un maximum, a salué son
entraîneur Bertrand Valcin. Je
connais son engagement et le plai
sir qu’il a à pratiquer le décathlon. »
« J’ai ressenti cette douleur il y a
un mois. J’ai arrêté l’athlétisme
pendant trois semaines. J’ai fait un
énorme travail avec Jérôme Si
mian [son préparateur physique]
et je ne sentais plus grandchose, a
til développé. Elle est réapparue
avant le 100 m et est devenue in
supportable avant le 400 m. Je me
suis découvert un mental que je ne
me connaissais pas. Je n’étais pas
encore allé dans la douleur. Je suis
fier car j’aurais pu m’arrêter hier. »
Quelques heures auparavant,
sur le 110 m haies, il avait franchi
avec abnégation les obstacles mal
gré de multiples anicroches. On l’a
alors vu se faire soigner dans les
coulisses du stade Khalifa. Puis, il
s’est encore aligné au lancer du
disque, la septième épreuve, repre
nant même la tête de la compéti
tion avant son abandon, qui a of
fert une voie royale à une surprise,
le jeune Allemand Niklas Kaul, ti
tré à seulement 21 ans.
« A l’échauffement du 110 m
haies, il ne passe pas une haie. Il re
trouve les ressources sauf qu’il a
son muscle ischiojambier qui
compense. Le corps reprend ses
droits », a détaillé Bertrand Valcin.
Deuxième échec consécutif
Après la déception berlinoise l’an
née dernière, ce deuxième échec
consécutif lors d’une compéti
tion majeure est un nouveau
coup dur. « Il y a beaucoup d’at
tente envers ma carrière, je donne
tout pour y arriver. Mais même si
tu es le meilleur, que tu as beau
coup de marge, tu peux ne pas finir
à cause d’un zéro ou d’une bles
sure. Malheureusement, il m’est ar
rivé les deux choses consécutive
ment », atil relativisé.
Déjà l’esprit tourné vers un re
bond, comme en 2018 où il avait
battu dans la foulée le record du
monde, Kevin Mayer ne pense
plus qu’aux prochains Jeux olym
piques à Tokyo : « On va tout chec
ker : mon métabolisme, faire des
IRM au genou. Ce sont les Jeux, et
là, ça ne blague plus. »
Avant une éventuelle revanche
au Japon, il lui faudra d’abord ob
tenir sa qualification. Mayer y a
déjà pensé avec son coach Ber
trand Valcin : « Ça ne sera pas un
décathlon à 9 000 points... On va
se faire un trip, sûrement un one
shot à chacune des disciplines. Un
saut, un lancer, etc. Bon, si je
mords le premier, j’en ferai un
deuxième [sourire]. » L’athlète n’a
en tout cas pas prévu de jouer au
gagnepetit : « Il faut savoir pour
quoi l’on fait de l’athlétisme, pour
gagner ou se faire plaisir. J’en
prends dans la victoire mais mon
plus grand plaisir, c’est d’éprouver
de nouvelles sensations. »
anthony hernandez
« J’y ai cru
jusqu’au dernier
moment. J’ai
pleuré de rage
au dernier saut
pour essayer de
me transcender »
KEVIN MAYER
après son abandon
Dopage : l’athlète Morhad Amdouni mis en cause
Des messages consultés par « Le Monde » semblent indiquer qu’il aurait notamment acheté de l’EPO en 2018
M
orhad Amdouni,
qui fut sacré cham
pion d’Europe du
10 000 mètres il y a
un an à Berlin, atil vraiment re
noncé au marathon des cham
pionnats du monde de Doha pour
des raisons physiques? Ou antici
paitil, à une semaine de l’épreuve,
l’irruption d’un nouveau scandale
pour l’athlétisme français, régu
lièrement touché par des affaires
de dopage? Au moment de l’an
nonce de son forfait, le 20 sep
tembre, l’athlète français était mis
au courant de l’intérêt pour sa per
sonne de la chaîne de télévision al
lemande ARD, spécialiste de l’in
vestigation sur le dopage.
Une demande d’interview avait
été formulée et, par des con
nexions au Maroc, il était égale
ment informé du fait que plu
sieurs journalistes possédaient
des éléments, sembletil, com
promettants pour lui : il s’agit
d’un échange de conversations,
dont Le Monde, ARD et France Té
lévisions ont eu connaissance
grâce à un informateur.
Sur la messagerie WhatsApp, le
nouveau chef de file du fond fran
çais échange ainsi, en septembre
2018, avec un interlocuteur qu’il
connaît manifestement bien.
Après les championnats d’Europe
de Berlin, cet homme lui réclame
régulièrement de l’argent dû, se
lon lui, « depuis l’année dernière ».
« J’en ai vraiment besoin pour ma
famille, argumentetil. Cela fait
treize mois que j’attends, explique
moi ça? », s’agace l’homme dans
un message.
Puis, en octobre 2018 : « Si je ne re
çois pas mon argent demain Mo
rhad, tu vas le regretter, et ce sera
toi le perdant dans l’affaire. Parce
que je n’aime pas quand les gens
m’utilisent pour leur bien. Juste
pour que tu saches, tu as acheté un
paquet d’EPO et tu as une boîte
d’hormone de croissance! Je vais te
le dire une autre fois : je veux mon
argent demain, 150 euros. Ça fait
un an que je t’envoie des messages
pour mon argent. » Morhad
Amdouni ne répond pas à cet en
voi. L’expéditeur de ces messages
a affirmé à la chaîne allemande
avoir vendu à l’athlète français de
l’EPO et de l’hormone de crois
sance achetées au Maroc.
Sollicité par l’ARD devant chez
lui, en région parisienne, au sujet
de cet échange, Morhad
Amdouni a d’abord répondu, dé
contenancé : « Il n’y a pas à discu
ter de ce sujetlà. C’est quand
même incroyable de discuter de
ces choses, il n’y a rien. » Le lende
main, dans un courriel adressé à
l’ARD, il qualifiait cette conversa
tion sur WhatsApp de « nonévé
nement ». « Je pense que certaines
personnes ne croient pas en mes
performances. C’est leur droit le
plus absolu. Mais je n’ai pas à me
défendre sur qui je suis. (...) Je ne
veux pas être pollué par une af
faire qui ne me concerne pas. »
Depuis nos révélations, jeudi
3 octobre, Morhad Amdouni s’est
défendu dans des interviews à
l’Agence FrancePresse et à
L’Equipe. Il affirme que sa bonne
performance au marathon de Pa
ris, en avril, « a motivé quelques
uns » à le salir et que l’expéditeur
des messages est une personne
qu’il a vue « une fois dans [sa] vie
lors d’un footing au Maroc ». « J’ai
bloqué la personne qui m’a écrit
ces messages. (...) Les messages
ont été écrits juste après les cham
pionnats d’Europe de Berlin [en
août 2018] », explique le Français.
Le premier extrait de cette con
versation est parvenu au Monde
et à ARD plusieurs semaines
avant le marathon de Paris, en
avril 2019. L’échange entre Mo
rhad Amdouni et la personne, qui
prétend lui avoir vendu des pro
duits dopants, a débuté bien plus
tôt. En décembre 2017, les deux
hommes se donnent du « frère »
dans des messages, et Morhad
Amdouni tente de le joindre à de
nombreuses reprises.
La semaine dernière, après le
bref échange entre Morhad
Amdouni et l’ARD, l’informateur
ayant transmis cette conversa
tion WhatsApp a été menacé de
mort sur cette messagerie par un
proche de Morhad Amdouni. « Si
c’est ton plaisir de faire la balance
avec les athlètes, faisle..., déclare
le proche d’Amdouni. Tu as des
gens en France, des Russes, des
Roumains. Ils tuent pour
1 000 euros et toi tu joues avec ça...
Un jour, tous les athlètes à qui tu as
fait du mal, il y en a un qui se re
tournera contre toi... Collabore
avec l’AFLD [Agence française de
lutte contre le dopage] comme tu
en as l’habitude. »
Contacté, cet acteur de l’athlé
tisme français n’a pas donné suite
à nos sollicitations.
Passeport biologique suspect
Morhad Amdouni, licencié au
club de Val d’Europe (Seineet
Marne), est depuis longtemps
dans le viseur des autorités anti
dopage. Selon nos informations,
il y a plusieurs années, son passe
port biologique était jugé suspect
par l’AFLD. Comme la maratho
nienne Clémence Calvin, ses don
nées hématologiques montraient
des variations indicatives d’un
possible dopage. Faute d’unani
mité entre les trois experts con
sultés par l’agence antidopage,
aucune procédure n’avait été
ouverte à l’époque.
Présent aux Mondiaux de Doha,
Philippe Dupont, entraîneur de
Morhad Amdouni, n’a pas sou
haité réagir « en l’absence d’éclair
cissements ». « J’ai 61 ans, je com
mence à être fatigué des rumeurs,
ça me boufferait qu’il arrive quel
que chose », confiaitil à L’Equipe
avant le début de la compétition.
L’entraîneur principal du demi
fond à l’Institut national du sport,
de l’expertise et de la perfor
mance est aussi l’entraîneur de
Samir Dahmani, qui fait l’objet
d’une suspension provisoire de la
part de l’AFLD. Elle lui reproche
d’avoir fait barrage aux préle
veurs qui tentaient de contrôler
sa compagne, Clémence Calvin,
lors d’un contrôle inopiné en
mars au Maroc.
Sollicité jeudi, André Giraud,
président de la Fédération fran
çaise d’athlétisme, a déclaré :
« Depuis samedi, nous avons pris
contact avec deux organismes of
ficiels en France. Aucune enquête
n’est ouverte contre M. Amdouni
nous a dit l’Oclaesp [Office cen
tral de lutte contre les atteintes à
l’environnement et à la santé pu
blique]. Et l’AFLD nous a égale
ment dit qu’il n’y avait aucun si
gnalement fait contre
M. Amdouni ». « C’est l’AFLD qui
sera habilitée à prendre une sanc
L’expéditeur
des messages
serait une
personne qu’il
a vue « une fois
dans [sa] vie
lors d’un footing,
au Maroc »,
se défend
Morhad Amdouni
tion éventuelle, aujourd’hui on
nous a dessaisis de ces problè
mes », a ajouté M. Giraud.
Natif de PortoVecchio (Corse
duSud), Morhad Amdouni était,
plus jeune, un grand espoir du de
mifond français mais il n’a ja
mais réussi à confirmer, sa pro
gression ayant été ralentie par de
nombreuses blessures. L’exploit
de Berlin, qu’aucun spécialiste
n’avait anticipé, avait été présenté
comme sa revanche sur une dé
cennie de pépins physiques.
Changement d’objectif
Depuis l’été, Morhad Amdouni se
sentait capable de concurrencer
les meilleurs mondiaux sur lon
gue distance. Il espère de grands
succès sur marathon depuis qu’il
a réalisé un temps remarquable à
Paris, en avril, à sa première tenta
tive : 2 heures 9 minutes 14 secon
des, sans avoir préparé spécifi
quement la distance.
Il avait alors changé d’objectif
aux Mondiaux de Doha, passant
du 10 000 mètres au marathon.
Amdouni séjournait depuis fin
août au Qatar pour soigner son
élongation aux ischiojambiers. Il
s’y entraînait de nuit, sur le par
cours et dans les conditions du
marathon mondial.
Son forfait, officialisé le 20 sep
tembre, avait pris de court la Fé
dération française d’athlétisme.
Depuis, il a mis le cap sur les Jeux
olympiques de Tokyo et rêve tout
haut du marathon des JO de Pa
ris 2024. Un objectif qui semble
aujourd’hui hypothétique.
clément guillou
L’échange entre
Morhad Amdouni
et la personne,
qui prétend
lui avoir vendu
des produits
dopants,
a débuté dès
décembre 2017
En partenariat avec :
La mission
de l’entreprise
responsable
BlancheSegrestin
et Kevin Levillain
Presses desMines
2019
La mission
de l’entreprise
responsable
Blanche Segrestin
et Kevin Levillain
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