Courrier International - 26.09.2019

(Tina Sui) #1
Revue
de presse


  1. 7 jours Courrier international — no 1508 du 26 septembre au 2 octobre 2019


réussi à percer le 2 septembre
dernier, quand il a posté sa pre-
mière vidéo : “Il sait se mettre en
scène. Quadra, il arrive à incar-
ner la figure du jeune qui arbore
une gourmette, chemise ouverte
sur poitrine velue, qui se pavane,
un peu beau gosse, un peu gros
bras sur les bords, avec des accents
populo. Il représente cette Égypte
post-2013 [date du coup d’État], un
univers de lutte impitoyable où il
n’y a plus de médiation symbo-
lique, où, quand on s’engage, ce
n’est pas pour défendre des valeurs
ou affirmer une dignité, mais pour
dire : ‘Je veux mon fric.’ Et peu
importe comment on l’a obtenu.”
Il n’empêche, estime en
revanche Al-Araby Al-Jadid, “quoi
qu’on pense de son langage et de ses
excès populistes, il représente une
chance immense de réintroduire la
rue comme acteur dans l’équation
politique. Il a brisé l’image pho-
toshopée du zaïm
[leader] d’opérette
qu’Al-Sissi s’est
donnée, à coups
de milliards de
dollars pour des agences de com-
munication, et de coups de fusil
pour les manifestants.”
Pour l’intellectuel jordanien
Hassan Abu Hanieh, les mani-
festations surprises en Égypte
s’inscrivent dans une dynamique
plus large : “Les foyers de contes-
tation qui s’allument un peu par-
tout dans le monde arabe montrent
que l’esprit des révolutions de 2011
est encore vivace”, écrit-il sur le
site qatari Arabi21. “L’Arabie
Saoudite et les Émirats arabes
unis ont mené la contre-révolu-
tion pour restaurer partout les
anciens régimes. Mais aujourd’hui,
ce sont précisément ces deux cita-
delles de l’autoritarisme qui sont
au plus mal. Ils ont transformé
le Yémen en trou noir et la Libye
en bourbier.”
“Mais la victoire de la contre-
révolution n’a pas été définitive,
puisque chaque fois qu’un foyer de
contestation est éteint à un endroit,
la situation s’embrase ailleurs. Du
Soudan à l’Algérie, puis l’Égypte,
sans parler de la Tunisie, où un
candidat radicalement hors système
[Kaïs Saïed] est arrivé en tête.” Et
le journal de prédire que le mou-
vement de l’histoire ne s’arrêtera
qu’une fois la révolution acquise,
“même si cela doit prendre des
années, comme cela fut le cas avec
la Révolution française”.
—Courrier international

C


e sont les premières mani-
festations d’ampleur
depuis le coup d’État du
maréchal Al-Sissi en 2013”, écrit le
site Middle East Eye. Des affron-
tements ont eu lieu dans les
grandes villes d’Égypte à partir
du 20 septembre
et pendant tout
l e w e e k- e n d ,
notamment à
Suez, ville notoi-
rement encline aux protestations
contre le régime. “Depuis, plus
de cinq cents personnes ont été
arrêtées”, ajoute le site, qui sou-
ligne que les appels à manifes-
ter à nouveau le 27 septembre
se multiplient.
“Les Égyptiens ont repris de
la voi x”, se félicite l’intellec-
tuel égyptien Waël Kandil

dans le journal qatari Al-Araby
Al-Jadid. Il revient sur la per-
sonne de Mohamed Ali, cet
Égyptien exilé qui a le pre-
mier lancé des appels à mani-
fester, avec des vidéos postées
sur Facebook dans lesquelles
il dénonce la corruption du
régime : “Grâce à lui, le halo
de sacralité dont se parent les
membres de la cleptocratie égyp-
tienne a été anéanti. Rien que
pour cela, il mérite sa place dans
l’histoire.”
Le site égyptien d’opposition
Mada Masr se penche égale-
ment sur ce personnage. Il le
décrit comme un acteur raté,
puis comme un homme d’affaires
peu recommandable, qui a enfin

Égypte


La rue se fait


à nouveau


entendre


Des centaines
de personnes appellent
au départ du maréchal
Al-Sissi. Un acte de
bravoure salué par
certains médias arabes.

une discussion avec des parte-
naires étrangers. Puis, le 19 sep-
tembre, la rumeur a couru que
c’était l’Ukraine qui était impli-
quée. Et enfin, le lendemain, une
bombe médiatique a explosé : le
Wall Street Journal puis d’autres
grands journaux ont annoncé que,
lors d’une conversation télépho-
nique qui avait eu lieu le 25 juillet,
le président Trump avait recom-

mandé avec insistance à Zelensky
d’ouvrir une enquête sur les acti-
vités de Robert Hunter Biden.
Hunter est le fils de Joe Biden


  • lui-même ancien vice-président
    des États-Unis, et actuellement
    en tête de la course à la candida-
    ture démocrate pour la présiden-
    tielle de 2020. De 2014 à avril 2019,
    Hunter a été membre du conseil
    d’administration de la compagnie
    d’extraction de gaz ukrainienne
    Bourisma, elle-même empêtrée
    dans les scandales.
    Trump et son équipe accusent
    Biden d’avoir en son temps profité
    de son statut pour faire pression


—Oukraïnska Pravda
(e x t r a i t s) K i e v

e


nfin, l’Ukraine fait la une
de tous les grands jour-
naux et des principales
chaînes d’information aux États-
Unis. Mais ce n’est malheureuse-
ment pas pour les bonnes raisons.
Le pouvoir de Kiev, sans l’avoir
voulu, se retrouve à l’épicentre
d’un formidable scandale poli-
tique, qui menace de dégénérer
en grave crise constitutionnelle
aux États-Unis.
Pour l’instant, on ne sait pas
encore clairement si Trump a fait
du chantage à Zelensky, mais les
médias américains confirment
qu’il a abordé huit fois (!) le sujet
qui est au cœur du scandale lors de
sa conversation avec le président
ukrainien. Le 25 juillet, Trump a
appelé son homologue ukrainien
pour le féliciter pour la victoire du
parti de ce dernier, Serviteur du
peuple, aux élections législatives.
Comme on le sait maintenant,
le 12 août, un des collaborateurs de
l’appareil d’État américain a laissé
filtrer des informations sur ce qu’a
dit Trump durant cette conversa-
tion. Le scandale est devenu public
la semaine dernière. On a d’abord
seulement appris qu’il portait sur

ÉtAts-uNIs


Donald Trump


dans le pétrin


Le président américain aurait fait pression sur
son homologue ukrainien pour affaiblir son rival
démocrate, Joe Biden. Kiev se retrouve ainsi
au centre d’un “formidable scandale politique”.

“L’esprit des
révolutions de 2011
est encore vivace.”
Hassan Abu Hanieh,
intellectuel jordanien

Cette nouvelle affaire
peut-elle contribuer
à lancer un processus
de destitution?

↙ “Hé, Zelensky, si tu veux toucher tes 250 millions de dollars
d’armements, il faut que tu fasses un bon massage du cuir chevelu à Biden !”
Dessin de Marian Kamensky, Autriche.

sur la partie ukrainienne pour que
soient suspendues des enquêtes
qui visaient Bourisma. Si les
arguments de l’équipe de Trump
contiennent des erreurs, cela est
en réalité sans véritable impor-
tance. Ce qui compte, c’est qu’il
semble que le président des États-
Unis ait poussé le dirigeant d’un
pays indépendant à chercher des
informations compromettantes
sur son concurrent potentiel à
l’élection de 2020. Mais surtout, la
question est de savoir si Trump a
usé de l’aide militaire américaine
accordée à l’Ukraine comme d’un
moyen de pression sur Kiev.

Chantage. Quand les premières
rumeurs sur la conversation télé-
phonique du 25 juillet ont com-
mencé à circuler, il a été dit que
l’intervention du président avait
comporté une “promesse”. Les
médias rappellent maintenant que,
à la fin de l’été, la Maison-Blanche
a subitement bloqué l’aide améri-
caine à l’Ukraine, en expliquant
cette décision par la nécessité
d’analyser “l’efficacité” de l’aide
en question.
Dans le même temps, Trump
s’est mis à affirmer publiquement
que l’Ukraine était un pays cor-
rompu. Ce qui n’est certes pas une
grande nouvelle, mais pourquoi ce
sujet a-t-il été évoqué justement
à ce moment-là par le président
américain? Ne serait-ce pas un des
éléments du chantage? Aurait-il
menacé Kiev, en lançant quelque
chose comme : si vous n’ouvrez
pas l’enquête sur Biden, vous ne
recevrez pas d’aide?
Actuellement, Washington
tremble. Une nouvelle enquête
du style de celle menée par Robert
Mueller sur les connexions pos-
sibles de la campagne de Trump
avec la Russie est-elle possible?
Difficile de l’affirmer. Les démo-
crates appellent à la destitution de
Trump. Un sujet qui est régulière-
ment mentionné depuis le premier
jour de son mandat, car il ne cesse
de donner des arguments à ses
opposants. Cette nouvelle affaire
peut-elle faire bouger les choses et
contribuer à lancer le processus de
destitution? C’est la question clé
du moment aux États-Unis. Et le
fait que l’Ukraine, contre son gré,
se retrouve au cœur de ce conflit
de politique intérieure américaine
constitue un énorme défi pour les
autorités de Kiev.
—Volodymyr Doubovik
Publié le 21 septembre
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