Le Monde - 10.10.2019

(vip2019) #1

24 |disparitions JEUDI 10 OCTOBRE 2019


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24 FÉVRIER 1957 Naissance
à Bruxelles
1983 Création du
personnage de Petit Spirou
1986 « Soda », avec
Luc Warnant
1998 « Sur la route de
Selma », avec Philippe Berthet
5 OCTOBRE 2019 Mort
à Bruxelles

24 FÉVRIER 1929 Naissance
1955 Journaliste
à « L’Express »
1962 « Histoire
de la IVe République »
1982 Responsable
des archives du septennat
à l’Elysée
2017 « Toutes fenêtres
ouvertes »
8 OCTOBRE 2019 Mort
à Paris

Georgette


Elgey


Historienne


A


utodidacte qui fut
tour à tour journa­
liste, éditrice et histo­
rienne, Georgette El­
gey, auteure d’une monumen­
tale Histoire de la IVe République,
est morte le 8 octobre, à Paris, à
l’âge de 90 ans.
A sa naissance, le 24 février 1929,
la petite Georgette n’eut pas de
père. Si elle tint son prénom de
Georges Lacour­Gayet, un univer­
sitaire membre de l’Institut de
France, qui avait fait une cour assi­
due à sa mère, Madeleine Léon, de
quarante­six ans sa cadette, elle
naquit sans être reconnue par son
géniteur. Veuf, ce champion des
vertus chrétiennes n’assumait pas
cette conception hors mariage.
La lutte judiciaire pour obtenir
réparation de ce déni de paternité,
assez patent pour que, à la mort
de l’historien, membre de l’Acadé­
mie des sciences morales et poli­
tiques, l’éloge funèbre du notable
fût expédié et pas même salué par
les applaudissements de rigueur,
occupa Marthe Léon, la grand­
mère de l’enfant, jusqu’à sa mort
en 1946. En vain. La jeune fille,
que la fortune des siens mettait
jusque­là à l’abri du besoin, mais
condamnait à une solitude de pa­
ria, dut fuir Paris à l’été 1942, avec
sa mère, dénoncée comme juive,
et rester cachée jusqu’à la fin de la
guerre. Une nouvelle épreuve l’at­
tendait alors quand, après seize
ans de procédure, elle fut définiti­
vement déboutée : elle ne put pré­
tendre être une Lacour­Gayet.

Femme de presse et d’édition
Elle renonça alors à passer la se­
conde partie du baccalauréat,
malgré une mention « très bien »
à la première. S’ensuivit une dé­
pression qui la mina pendant
deux ans, avant qu’elle ne reprît
contact avec la réalité en s’inscri­
vant à une école de secrétariat où
elle apprit la dactylographie et la

sténotypie. Diplôme en poche,
Georgette Léon trouva un emploi
au tout nouveau Centre de forma­
tion des journalistes, dont le di­
recteur, Joseph Kayser, qui se prit
d’amitié pour elle, l’autorisa à
suivre les cours et lui présenta
l’historien Robert Aron, qui
l’associa au chantier de son His­
toire de Vichy, qui ne parut
qu’en 1954, chez Fayard. Comme
l’écrivain lui proposait de faire des
piges pour la revue La Nef, qu’il
codirigeait avec Lucie Faure, Geor­
gette dut se choisir un nom de
plume. Elle adopta les initiales du
patronyme interdit, LG.
La voilà gagnée par le démon du
journalisme. L’Express (1955), Pa­
ris­Presse (1957), où ses contacts
gaullistes la conduisirent, la pre­
mière, à annoncer le retour aux
affaires du général de Gaulle, dès
la fin de l’hiver 1958. Et, avant de
participer au Nouveau Candide,
hebdomadaire gaulliste lancé en
mai 1961 pour concurrencer L’Ex­
press, Georgette, désormais Elgey,
cosigna, avec Merry et Serge
Bromberger, et avec Jean­François
Chauvel, Barricades et colonels.
24 janvier 1960 (Fayard), sur l’em­
brasement d’Alger à la suite du
rappel du général Massu. De quoi
la promouvoir rédactrice en chef
du Nouveau Candide dès 1962.
Mais, prenant avec virulence le
parti de l’Elysée contre le Sénat de
Gaston Monnerville dans le débat
sur l’élection du président au suf­
frage universel, elle brûla ses vais­
seaux. Si le vote populaire suivit
sa logique, approuvant en octobre
la réforme constitutionnelle à
plus de 62 %, Georgette Elgey avait
déjà démissionné. Malgré les
mises en garde de ses amis, qui
trouvaient sa radicalité suicidaire.
Elle avait en fait un autre projet
qui lui semblait plus adapté à son
tempérament. Collectant les
témoignages oraux et les docu­
ments susceptibles de composer

une Histoire de la IVe République,
à peine disparue et si décriée, elle
approcha les hommes d’Etat qui
avaient quitté le pouvoir, comme
le voulait alors l’usage, en em­
portant leurs archives. Pierre
Mendès France, Félix Gouin,
Maurice Schumann se prêtèrent
au jeu. Et les historiens Pierre Re­
nouvin et René Rémond s’en­
thousiasmèrent : « Vous inventez
tout! » Les deux premiers tomes
parurent en 1965 et 1968, chez
Fayard. En attendant, il fallait à
l’apprentie historienne un mé­
tier pour vivre. Au vu les rela­
tions déjà anciennes qu’elle
avait nouées avec son éditeur,
c’est vers Fayard que Georgette
Elgey put se tourner.
Elle s’y fit apporteuse de pro­
jets. Ceux de Jean­Raymond

Tournoux, Jacques Delarue,
Alain Peyrefitte et son best­seller
Quand la Chine s’éveillera (1973),
ou celui des Trente Glorieuses, de
Jean Fourastié (1979), mais aussi
du médiéviste Jean Favier, dont
les grandes biographies, de Phi­
lippe le Bel (1978) à Pierre Cau­
chon (2010), assurèrent la popu­
larité médiatique. Sans oublier le
formidable chantier de Jean
Delumeau qui, de l’interrogation
sur la peur à l’aspiration au para­
dis, imposa en sept volumes, pa­
rus entre 1978 et 2000, une his­
toire des sentiments collectifs
résolument neuve. Un palmarès
impressionnant!
Cependant, le projet de réhabi­
litation de l’éphémère IVe Répu­
blique, qui progressait lente­
ment (les tomes III à VI parurent

En 1992. PHILIPPE
MATSAS/OPALE/LEEMAGE

Philippe Tome


Dessinateur et scénariste


I


l fallut incontestablement
une certaine dose d’audace
et d’insolence à Philippe
Tome en 1983 quand, avec
son compère et compatriote
Janry, il donna naissance au Petit
Spirou. Qui aurait alors parié , en
effet, sur le succès éditorial et
commercial de ce personnage
turbulent, version rajeunie et
quelque peu polissonne du célè­
bre groom?
C’était dix ans avant la création
de Titeuf, par Zep : un enfant en
culotte courte allait parler de
sexualité et de la marche du vaste
monde à d’autres enfants – ses
lecteurs. Jalon essentiel dans l’his­
toire de la bande dessinée de jeu­
nesse, le Petit Spirou est orphelin
aujourd’hui. De son véritable
nom Philippe Vandevelde, Phi­
lippe Tome est mort brutalement
à l’âge de 62 ans, samedi 5 octobre
à Bruxelles, la ville où il était né le
24 février 1957.
Formé au journalisme, au des­
sin animé et à la publicité dans
une école de la capitale belge, le
scénariste et dessinateur était
entré dans le monde de la bande
dessinée en tant qu’assistant


  • d’abord de Dupa (le père de
    Cubitus), puis du duo Turk & De
    Groot (Robin Dubois, Léonard,


Clifton). Un autre apprenti bé­
déaste fréquentait les mêmes
studios : son ami Jean­Richard
Geurts, alias Janry, né la même
année que lui et ex­élève du
même institut de formation.

Tandem décapant
Tous deux vont alors fonder un
tandem décapant, promis à dé­
poussiérer une BD franco­belge
engoncée dans ses systèmes nar­
ratifs. Affectés à la réalisation
d’un jeu dessiné dans les pages
du magazine Spirou, Tome
& Janry se voient confier, au tour­
nant des années 1980, la série
éponyme de l’hebdomadaire, Spi­
rou et Fantasio, propriété de la
maison d’édition Dupuis.
Le temps de quatorze albums
(1984­1998), les deux Bruxellois
vont redynamiser la saga, à grand

renfort de gags, de voyages divers
et de thématiques contemporai­
nes telles que la robotique, la bio­
technologie, la géopolitique... Le
Petit Spirou va pointer le bout de
son nez très tôt, en marge. Ap­
paru furtivement, dans un hors­
série trimestriel en 1983, il ne re­
viendra toutefois que quatre ans
plus tard dans les pages du maga­
zine de Marcinelle (dans la ban­
lieue de Charleroi), sous la forme
d’une série de gags en une plan­
che. Les lecteurs ovationneront
illico ce garnement facétieux qui
passe son temps à regarder dans
le trou de la serrure du vestiaire
des filles, quand il ne se trouve
pas confronté aux graves préoc­
cupations du monde des adultes :
la religion, la morale, les atteintes
faites à l’environnement et aux
animaux... Avec 450 000 exem­
plaires à chaque nouvel album,
Le Petit Spirou dépassera rapide­
ment la série mère (100 000
exemplaires). Il contribuera lar­
gement aussi, avec Titeuf, à con­
trer la percée du manga japonais
auprès du jeune public franco­
phone, à qui rien de bien nou­
veau n’était proposé depuis la fin
de l’âge d’or de la BD franco­
belge. Le succès du Petit Spirou
prendra d’ailleurs longtemps des

allures de revanche aux yeux de
Tome, qui, avec Janry, avait dû ba­
tailler ferme pour convaincre les
éditions Dupuis que leur projet
n’allait pas « écorner le mythe »
Spirou, comme il le confia au
Monde en 2011.
Sans pour autant abandonner
son école de toujours, celle du
gag, à travers des contributions
auprès de dessinateurs amis
(Marc Hardy, Christian Darasse,
Gérard Goffaux...), Philippe
Tome se spécialisera parallèle­
ment, et par la suite, dans le po­
lar. Il créera ainsi, dès 1986, Soda,
une BD policière non dénuée
d’humour se déroulant à New
York, pour le compte de Dupuis
(dessinée dans un premier temps
par Luc Warnant, puis par Bruno
Gazzotti).
Pour Philippe Berthet, il écrira
ensuite un thriller graphique sur
fond de ségrégation raciale, Sur la
route de Selma (Dupuis­Aire li­
bre), avant d’offrir à Ralph Meyer
une trilogie également policière,
Berceuse assassine (Dargaud),
ayant pour décors là encore New
York. Une ville qui ne laissait de le
fasciner et dans laquelle il avait
envoyé Spirou et Fantasio,
en 1987, le temps d’un album.
frédéric potet

CHLOÉ VOLLMER-LO

CHLOÉ VOLLMER-LO

entre 1992 et 2012), eut des consé­
quences imprévues. Georgette
Elgey, qui avait connu François
Mitterrand dès le début des
années 1960, dans un contexte
où, attaqué, le politicien avait
trouvé en elle une profession­
nelle rigoureuse, avait aussi édité
en deux gros recueils les textes
du leader socialiste (Politique I et
II, 1977 et 1981).

Conseillère technique à l’Elysée
Aussi, devenu président, il l’ap­
pela à collaborer à la mémoire du
septennat. Chargée de mission
(1982), puis conseillère technique
(1986) à l’Elysée, l’archiviste y dé­
fendit sa conception intransi­
geante du service de l’Etat. Le pré­
sident l’admit. Et même lors­
qu’ils furent en délicatesse, à la
fin du second septennat, l’un
comme l’autre ne changèrent
rien à cette collaboration singu­
lière. Aussi proposa­t­on à Geor­
gette Elgey de succéder à René
Rémond à la présidence du
Conseil supérieur des archives,
fondé justement par François
Mitterrand en 1988. Elle accepta
(2007­2016), avant de céder le
poste à Jean­Louis Debré, un
gaulliste qu’elle appréciait.
Venue à bout d’un chantier qui
l’aura occupée un demi­siècle –
un délai qui permet de mesurer
l’évolution de la « méthode » El­
gey, aujourd’hui lissée dans la
réédition resserrée proposée
chez Robert Laffont (2018) –, elle
reprit La Fenêtre ouverte, récit
autobiographique paru en 1973,
qu’elle soumit à une enquête mi­
nutieuse. Toutes Fenêtres ouver­
tes (Fayard, 2017) atteste une ex­
pertise historienne exemplaire.
Mais la citoyenne journaliste, au
regard aigu et malicieux, ne cesse
d’y être en éveil sur tout ce qui
se joue en république. En alerte
jusqu’au bout.
philippe­jean catinchi
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