12 |france JEUDI 3 OCTOBRE 2019
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Décentralisation : le premier
ministre déçoit les régions
Lors du congrès de Régions de France, Edouard Philippe a insisté sur
la différenciation plutôt que sur l’attribution de nouvelles compétences
A
près deux ans d’un têteà
tête stérile avec le gou
vernement, Régions de
France, qui tenait son congrès
annuel, lundi 30 septembre et
mardi 1er octobre à Bordeaux, at
tendait beaucoup de la venue du
premier ministre, à l’aube de ce
qui est présenté comme une
« nouvelle ère » de décentralisa
tion. Peutêtre trop, alors que n’a
pas encore commencé la phase de
concertation annoncée avant un
projet de loi qui devrait être pré
senté au premier trimestre 2020,
après les élections municipales,
pour un premier examen au Parle
ment avant l’été, comme l’a pré
cisé Edouard Philippe.
A l’issue de son discours pro
noncé mardi matin, les présidents
de région avouaient rester sur leur
faim. Hervé Morin, le président de
Régions de France, voulait « en
core y croire » mais il faisait part
d’« un sentiment partagé ». « Nous
attendions un discours fondateur,
nous avons eu un discours de la
méthode, une réponse technocrati
que au lieu d’un souffle et d’une vi
sion », regrettait le président de la
région Normandie. Alain Rousset,
président de la NouvelleAqui
taine et hôte de ce congrès, se di
sait « déçu d’être déçu ». « On reste
au milieu du gué », déplore Marie
Guite Dufay, présidente de Bour
gogneFrancheComté. Tandis que
Carole Delga, présidente de l’Occi
tanie, s’avoue « très perplexe » :
« Tout ça pour ça, bougonnetelle.
Il est où le changement? »
Le discours du premier ministre,
c’est le moins que l’on puisse dire,
n’a pas soulevé un fol enthou
siasme. Néanmoins, un an après le
congrès de Marseille marqué par
l’appel de Territoires unis contre la
recentralisation opérée par l’Etat
et la réponse sans concession
alors adressée par M. Philippe, le
ton, malgré la déception, n’est
plus à la surenchère. « L’année der
nière, le premier ministre était resté
sur la berge. Là, il a mis un pied
dans l’eau », reconnaît M. Morin.
Le premier ministre, lui, a pré
féré parler de « main tendue ».
Mais la main était trop molle, ou
trop technocratique sur le fond et
sur la forme, pour susciter l’adhé
sion des congressistes. Et les
ouvertures bien trop timides
pour satisfaire les attentes.
M. Philippe s’est voulu porteur
d’« une conviction simple : celle
que nous sommes – ou que nous
pouvons être, si nous le voulons –
à l’âge de la maturité ». En pré
cisant immédiatement que, « la
maturité, ce n’est pas de concevoir
la relation entre l’Etat et les ré
gions en termes de “parts de
marché” mais bien en termes de
politiques publiques ». Autre
ment dit, cela ne passe pas néces
sairement par l’attribution de
nouvelles compétences.
Timide avancée
Or, les régions, elles, comme l’a
exposé M. Morin dans son pro
pos, misent sur « un changement
de modèle », à savoir un « copilo
tage » des grandes politiques pu
bliques partagées : le développe
ment économique, la transition
écologique, les mobilités et la
cohésion, l’emploi, la formation,
le sport et la culture. Celuici pas
serait par l’inscription dans la loi
d’une instance de coordina
tion, un « comité Etatrégions »
composé du premier ministre et
des ministres concernés et des
présidents de région, se réunis
sant trimestriellement. Le pre
mier ministre s’y est dit favora
ble, jugeant la proposition « sage
et entendable ».
Sur le reste, il a fait une timide
avancée en proposant à « des ré
gions volontaires [au nombre de
trois] un nouveau rôle dans la gou
vernance de l’action de Pôle em
ploi dans le domaine de la forma
tion professionnelle ». « Concrète
ment, cela veut dire qu’une fois que
les acteurs concernés au niveau
régional se seront mis d’accord sur
les objectifs, les sujets couverts et
les prérogatives nous pourrions
mettre en place une instance de
gouvernance présidée par le
président du conseil régional », a
til précisé, l’expérimentation
étant susceptible de commencer
dès le début 2020. A peine cette
annonce formulée, il ne man
quait pas de régions candidates
pour se porter volontaires.
Le premier ministre a fortement
mis l’accent sur « une nouvelle
pratique de décentralisation »,
conçue « à partir des territoires » et
qui réponde aux exigences de
« différenciation » en fonction des
territoires. Evoquant le chantier
de la future loi « 3D » – décentrali
sation, différenciation, déconcen
tration –, il a assuré que « nous
n’entrerons pas dans cette discus
sion avec une vision monolithi
que » : une décentralisation diffé
renciée, en quelque sorte. M. Phi
lippe a cependant admis que « ce
n’est pas une question simple » :
« L’aspiration de nos concitoyens à
l’égalité des droits rendra compli
quée la mise en œuvre du principe
de différenciation, mais nous de
vons y réfléchir. »
La ministre de la cohésion des
territoires, Jacqueline Gourault,
a complété le propos en préci
sant qu’il était imaginable « que
des collectivités de même catégo
rie puissent exercer des compé
tences différentes ou exercer
différemment des politiques pu
bliques selon les territoires ». Elle
a ajouté que le gouvernement
était favorable à un pouvoir
de différenciation réglementaire
- d’adaptation des normes – des
collectivités territoriales. Ce à
quoi le président délégué de Ré
gions de France, François Bon
neau, a reconnu qu’« il y a une
porte qui s’ouvre ».
Entre la volonté – feinte ou sin
cère – de renouer un dialogue
constructif et les attentes déçues,
l’humeur des représentants des
régions oscillait à l’issue du dis
cours du premier ministre. Le
président du Sénat, Gérard Lar
cher, intervenant en clôture du
congrès, où étaient également
présents les présidents de l’Asso
ciation des maires de France,
François Baroin, et de l’Assem
blée des départements de France,
Dominique Bussereau, s’est
chargé de durcir le ton.
« Une nouvelle génération de dé
centralisation s’impose, atil in
sisté. L’Etat central doit faire con
fiance à l’Etat local. » Aussi ne
veutil pas se contenter des pro
messes de concertation sur le
projet de loi à venir. « Il faut main
tenant que nous passions aux ac
tes », a tonné le sénateur des Yve
lines. Et, s’adressant aux prési
dents des trois associations
d’élus, il a fait une offre pour le
moins surprenante : « Je vous
propose que nous écrivions en
semble, avec le président de la
commission des lois du Sénat, no
tre vision de la décentralisation
pour être prêts, au printemps, à la
confronter avec la proposition de
l’exécutif. » Pas vraiment une of
fre de conciliation.
patrick roger
A l’Assemblée, députés et ministres
s’initient à l’art de la riposte
L
a politique est une affaire de chronomètre, François Ruffin
l’a bien compris. Le député La France insoumise de la
Somme est l’un des premiers à expérimenter la nouvelle
version des questions au gouvernement, mardi 1er octobre.
Les parlementaires ont désormais, comme au Sénat, un « droit
de réplique » après la réponse du ministre qu’ils interrogent.
L’art et la manière de riposter reposent sur l’utilisation du temps
de parole : deux minutes chrono au total, sous peine de se faire
couper le micro. Le même temps s’impose aux ministres.
L’« insoumis » prend d’abord trente secondes pour demander à
Elisabeth Borne la liste des produits qui ont brûlé dans l’incendie
de l’usine Lubrizol à Rouen, le 26 septembre. La ministre de la
transition écologique et solidaire n’a besoin que de quinze se
condes pour lui rappeler ce que vient d’annoncer le premier mi
nistre : « L’ensemble des produits qui étaient dans le hangar qui a
brûlé sera communiqué par le préfet cet aprèsmidi. » « Vous ne ré
pondez pas à ma question! », dénonce pourtant M. Ruffin dans sa
minute trente restante, avant de critiquer le fait qu’il a fallu cinq
jours aux pouvoirs publics pour dévoiler ces informations.
Les ministres disposent d’un droit
de contreréplique. Mme Borne peut
donc démentir le député. La maîtrise
du chronomètre donne aussi le droit
au dernier mot.
La refonte de ce rendezvous emblé
matique de la vie parlementaire de
vait le « vivifier ». La recette proposée
par Richard Ferrand, président de l’As
semblée : outre le droit de réplique,
un exercice non plus réparti en deux
fois une heure le mardi et le mercredi,
mais en une session de deux heures
le mardi. Cent vingt longues minutes auxquelles la plupart des
députés n’ont pas résisté, mardi. A 17 h 40, quand la sonnerie de
fin de séance a retenti, les rangs étaient clairsemés. « C’est aussi
chiant que l’ancienne version », assène un « marcheur » qui a dé
serté à miparcours cette partie de pingpong encore convenue.
C’est qu’à part les passionnés des joutes oratoires, comme
François Ruffin ou Gérald Darmanin, ministre de l’action et des
comptes publics, donnant la réplique à Eric Woerth, président
Les Républicains de la commission des finances, rares sont
aujourd’hui ceux, sur les bancs des ministres comme des dépu
tés, capables de pratiquer l’ippon rhétorique.
« Il faut que les ministres apprennent à lâcher leurs notes », pré
vient un député de La République en marche (LRM). La remarque
vaut aussi pour les parlementaires, dont les questions restent
souvent accusatoires et les répliques trop préparées pour pointer
les impasses des réponses des ministres. « Il va falloir qu’on ap
prenne », reconnaît un cadre LRM. Les « marcheurs » ont été les
premiers à se faufiler vers la sortie de l’hémicycle. Cette nouvelle
version leur donne en effet beaucoup moins la parole.
Les deux tiers des questions sont réservés à l’opposition, et le
groupe LRM partage le tiers du temps de parole restant avec les
groupes MoDem, Libertés et territoires et UDI, Agir et indépen
dants. Là réside l’une des vraies vertus de l’exercice : de tout
temps, les questions de la majorité ont servi la parole gouver
nementale. Elles donnaient l’impression d’un Parlement aux
ordres et d’un exercice stérile. Cette fois, la parole est massi
vement aux oppositions. A elles d’embrasser pertinemment ce
nouvel exercice démocratique.
manon rescan
LES PARLEMENTAIRES
ONT DÉSORMAIS UN
« DROIT DE RÉPLIQUE »
APRÈS LA RÉPONSE
DU MINISTRE QU’ILS
INTERROGENT
« Nous attendions
un discours
fondateur,
nous avons eu
un discours
de la méthode »
HERVÉ MORIN
président de Régions
de France
Falorni et Fountaine, anciens alliés de circonstance
devenus adversaires pour la mairie de La Rochelle
Le député de CharenteMaritime et le maire de la ville s’affronteront lors des élections de mars
la rochelle correspondant
I
ls étaient côte à côte le
17 juin 2012, à l’issue du second
tour d’une des législatives les
plus médiatiques du pays. Ils
étaient encore ensemble, tout sou
rire, le 30 mars 2014, lors de la pro
clamation des résultats des muni
cipales à La Rochelle. Chacun avait
remporté la victoire qu’il espérait,
avec le soutien de l’autre. A Olivier
Falorni, la première circonscrip
tion de la CharenteMaritime
(La Rochelleîle de Ré), à JeanFran
çois Fountaine, la mairie de La Ro
chelle. Un doublé gagnant pour
ces alliés, exclus du Parti socialiste
(PS), aujourd’hui adversaires.
L’annonce, le 8 septembre, de la
candidature d’Olivier Falorni aux
prochaines municipales n’a fait
que confirmer l’ambition du dé
puté. Il l’avait révélée, d’une cer
taine manière, en 2018, déplorant
« le fossé qui s’est creusé entre le
maire et de nombreux Rochelais ».
La critique en a surpris plus d’un,
y compris dans l’équipe munici
pale, mais des indices donnaient à
penser que le parlementaire pre
nait ses distances avec le premier
magistrat. La démission, par
exemple, de deux conseillers mu
nicipaux en trois mois, proches de
M. Falorni, dont son attachée par
lementaire Stéphanie Costa.
Les deux hommes ont toujours
été, depuis le début de leur par
cours « dissident », des alliés de cir
constances. Les profils détonnent,
entre Falorni le professeur d’his
toiregéographie qui, jadis, ne ca
chait pas son admiration pour
François Hollande, et Fountaine le
chef d’entreprise, navigateur et
exsportif de haut niveau, rocar
dien et ami de Lionel Jospin. Lors
de sa déclaration, Olivier Falorni a
pris soin de répéter son âge
(47 ans) pour mieux souligner ce
lui du maire (68 ans).
Nouvelles alliances
Tous deux ont beau se poser en
héritiers du radical Michel Cré
peau, disparu il y a vingt ans, leurs
chemins n’auront fait que se croi
ser. En 2008, JeanFrançois Foun
taine, premier viceprésident de la
région PoitouCharentes, se voit
retirer sa délégation aux finances
à la suite d’un désaccord avec la
présidente, Ségolène Royal. Voilà
bien le point commun entre les
deux hommes : une femme. Car
c’est l’annonce de la candidature à
la députation de l’ancienne minis
tre socialiste sur les terres roche
laises qui précipite, en 2011, celle
d’Olivier Falorni, quitte à désobéir
à Solférino et à ses « amis » du PS.
Il trouve vite à ses côtés Jean
François Fountaine, qui préside
son comité de soutien. Deux ans
plus tard, l’alliance se reforme
pour la conquête de l’hôtel de
ville. Le contexte est différent, l’ad
versaire n’est plus une « parachu
tée » mais une jeune élue, Anne
Laure Jaumouillié. Elle gagne la
primaire socialiste avec 34 voix
d’avance mais JeanFrançois
Fountaine conteste sa défaite et
maintient sa candidature. Plutôt
discret, le député Falorni apporte
toutefois son soutien à celui qu’il
estime être « le meilleur capitaine
capable de tenir le gouvernail par
gros temps ». Six ans après, le gros
temps est là mais son analyse a
changé. Dans le journal Sud Ouest,
M. Falorni tire à boulets rouges sur
son ancien allié, expliquant que
son mandat est « couleur béton »,
dénonçant « l’autocélébration per
manente » du maire et ses « gros
ses et vieilles ficelles électoralistes ».
Souhaitant garder une certaine
« hauteur », M. Fountaine ne ré
pond pas mais n’en pense pas
moins. Il y a un an, se comparant
en aparté au Chirac des « Guignols
de l’info » le dos lardé de couteaux,
il confiait qu’Olivier Falorni devait
« s’ennuyer » à l’Assemblée, n’ayant
ni groupe ni influence. C’était
avant que ce dernier n’intègre le
groupe Libertés et territoires.
Du coup, les deux hommes re
cherchent de nouvelles alliances.
Fountaine aimerait se rapprocher
des socialistes. Il était présent lors
du retour de l’université d’été du
PS à La Rochelle, ce qu’Olivier Fa
lorni n’a pas manqué de moquer,
soulignant que le maire draguait
aussi La République en marche.
Un grand écart qui ne dérange pas
le maire qui décrit son équipe ac
tuelle comme déjà « très ouverte ».
Elle l’est un peu moins depuis
que huit conseillers ont pris leur
distance avec la majorité lors de
certains votes. Parmi eux, des ra
dicaux de gauche. Le président du
Mouvement radical, social et libé
ral de CharenteMaritime est Fré
déric Milhiet, l’ancien directeur de
cabinet de M. Fountaine, limogé
en décembre 2018 en raison de ses
liens avec M. Falorni. Fin connais
seur de la ville, il est aujourd’hui
l’atout majeur du député dans la
bataille qui s’annonce.
Il faudra aussi compter avec
Bruno Léal, candidat de la droite et
du centre, et avec Europe écologie
Les Verts, aujourd’hui dans l’équi
pe du maire, mais qui présentera
une liste conduite par l’adjoint au
maire JeanMarc Soubeste. Cette
semaine, le patron de la fédération
départementale du PS s’est dit prêt
à l’appuyer. Ces élections pour
raient bien ne pas se résumer à un
simple duel.
frédéric zabalza
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