Le Monde - 09.10.2019

(Rick Simeone) #1
0123
MERCREDI 9 OCTOBRE 2019 france| 11

A Villiers­le­Bel, une


marche pour la « vérité »


La famille d’Ibrahima, mort à moto, a déposé
une plainte pour « homicide involontaire »

D


u silence et des larmes,
d’abord. Un plaidoyer,
ensuite, pour dire que
leurs « vies comptent », que celle
d’Ibrahima « compte ». Ils étaient
près d’un millier ce lundi, en fin
de journée, à Villiers­le­Bel
(Val­d’Oise), pour réclamer la « vé­
rité » sur les circonstances de la
mort de ce jeune homme de
22 ans, résidant à Sarcelles. Sur­
venu la veille, lors d’un accident de
moto, alors qu’une intervention
de police se déroulait à proximité,
son décès suscite de nombreuses
interrogations.
Ils se sont donné rendez­vous à
l’endroit exact où s’est passé le
drame, soit à quelques dizaines de
mètres seulement du lieu où deux
adolescents à moto sont morts, en
novembre 2007, après être entrés
en collision avec un véhicule de
police. S’étaient ensuivis trois
jours d’émeutes. Douze ans plus
tard, « à l’évidence, avec la police,
rien n’a changé, dit Maimona,
21 ans. « On est français, on aime ce
pays, on ne veut pas le détruire,
mais on ne veut plus qu’il nous dé­
truise », lance Diané, le grand frère
d’Ibrahima, à la foule, avant d’enta­
mer une marche le long du boule­
vard Salvador­Allende, sans ban­
deroles ni slogans. Sans un bruit.

Désarroi
Deux versions s’affrontent. La pre­
mière donnée dès dimanche par le
préfet du Val­d’Oise : les policiers
étaient occupés à l’interpellation
d’un conducteur sans permis lors­
qu’une moto­cross serait arrivée à
vitesse élevée. Son conducteur
aurait ensuite ignoré le geste lui
enjoignant de ralentir, avant de
monter sur le trottoir et de percu­
ter violemment un poteau métal­
lique. Un récit contredit par la se­
conde version. Des témoins rela­
tent que l’un des véhicules de po­
lice aurait démarré à l’arrivée de la
moto pour lui bloquer la route.
Ibrahima serait alors monté sur le
trottoir pour l’éviter, une
manœuvre ayant causé sa chute

mortelle. L’enquête a été confiée à
la sûreté départementale. Une
autopsie du corps d’Ibrahima de­
vait être réalisée mardi.
Diané partage aussi son désarroi.
Il n’y a eu « personne », dit­il, évo­
quant l’absence des représentants
de l’Etat, pour « mettre la main sur
l’épaule » de la famille, « personne »
pour leur « présenter leurs condo­
léances », à part le député (Libértés
et territoires) du Val­d’Oise et an­
cien maire (PS) de Sarcelles Fran­
çois Pupponi. Juste ces mots du
préfet pour avancer que la moto
était « signalée volée ». « C’est faux!
Il était propriétaire de cette moto
depuis des mois. C’est indigne de
criminaliser la victime comme ça. »
Certains appellent à marcher
jusqu’au commissariat, sans effet.
« La famille aura besoin de vous, de­
main, dans un an, dans cinq ans...
Ces combats sont longs. (...) Ce n’est
pas le moment d’aller au commis­
sariat », déclare Assa Traoré au mi­
cro, la sœur d’Adama, jeune
homme mort, en 2016, à la suite
d’une interpellation musclée. Tan­
dis que d’autres militants pren­
nent la parole : « Si vous cassez,
vous n’aurez rien! On va demander
des rendez­vous avec le maire, avec
le procureur, avec la police... » ; « Les
émeutes créent des dommages col­
latéraux dont on a déjà trop souf­
fert. » Et dont la ville a mis dix ans à
se remettre.
« Il faudrait être fou pour redé­
clencher des émeutes, estime le
maire (divers gauche), Jean­Louis
Marsac. La ville s’en remet à peine,
tout a été à l’arrêt pendant une dé­
cennie, et les jeunes paient encore
au prix fort le fait d’inscrire “Villiers­
le­Bel” sur leur CV. » Lundi, la fa­
mille d’Ibrahima a déposé une
plainte contre X pour « homicide
involontaire » au tribunal de
grande instance de Pontoise. Son
avocat, Me Yassine Bouzrou, a de­
mandé au procureur « d’exploiter
sans délai les caméras de vidéo­
surveillance (...) afin de rétablir la
vérité sur la mort de M. B. ».
louise couvelaire

Discrimination au logement : la pédagogie


auprès des agences immobilières paie


Une enquête du Défenseur des droits montre que l’on peut réduire les inégalités d’accès


L


e Défenseur des droits,
Jacques Toubon, et le minis­
tère de la cohésion des terri­
toires ont rendu public, mardi
8 octobre, une enquête originale
sur la discrimination à la location
de logement. « Il ne s’agit pas d’un
testing de plus pour dénoncer les
discriminations déjà bien identi­
fiées envers les personnes présu­
mées d’origine étrangère, mais de
mesurer l’effet d’une action préven­
tive et pédagogique auprès des
agents immobiliers », explique
Vincent Lewandowski, chef du
pôle promotion des droits des usa­
gers des services publics auprès du
Défenseur des droits. De 5 % à 7 %
des réclamations qui parviennent
à ce dernier concernent le refus
d’accès à un logement du privé.
Cette enquête a démarré par un
testing classique, en janvier 2018,
auprès de 3 260 agences immobi­
lières des cinquante plus grandes
aires urbaines de France : deux
candidats aux revenus et garants
similaires ont répondu à des an­
nonces de location, l’un au patro­
nyme à l’origine présumée fran­
çaise, l’autre, à consonance ma­

ghrébine. Dans un premier
temps, 343 agences ont été repé­
rées comme « à risque discrimina­
toire » puisque acceptant, en lui
accordant la possibilité de visiter
le bien dans une plus grande pro­
portion (10 points), la candidature
du premier par rapport à celle du
second.
La moitié des agences épinglées
ont ainsi reçu un courrier du
Défenseur des droits indiquant
qu’elles étaient repérées pour
conduite discriminatoire, rappe­
lant l’interdiction d’une telle
pratique, les sanctions encou­
rues, et joignant le guide Louer
sans discriminer, manuel pour
professionnaliser les pratiques.

« Réducteur de discrimination »
Trois mois plus tard, en
mars 2018, le testing a été renou­
velé auprès des 343 agences et cel­
les qui avaient été averties se sont
mieux comportées, avec 47 % de
réponses positives au candidat
présumé d’origine maghrébine,
proche des 52 % pour celui pré­
sumé d’origine française. Dans le
groupe n’ayant reçu aucun cour­

rier, l’écart est resté de 8 points,
de 38 % à 46 %. Neuf mois après
réception du courrier, en sep­
tembre 2018, haute saison des lo­
cations, les enquêteurs ont re­
nouvelé leur testing et constaté
que les agences alertées trai­
taient désormais les deux candi­
datures quasiment à égalité :
46 % et 45 % de réponses positi­
ves, tandis que l’autre groupe dit
témoin persistait à pénaliser le
supposé étranger (38 % de répon­
ses positives contre 46 %).
Malheureusement, les mauvai­
ses habitudes ont réapparu dans
un dernier testing organisé en
mars 2019 avec, chez les agents
prévenus, un écart de 9 points en­
tre les 44 % du candidat présumé
français et les 53 % de son alter ego
présumé maghrébin.
« Le courrier de sensibilisation a
été un puissant réducteur de
discrimination, s’enthousiasme
M. Lewandowski. Son effet s’es­
tompe certes après quinze mois et
nous savons que rien n’est acquis
au stade de la visite, mais une telle
démonstration devrait inciter les
syndicats professionnels à faire de
la prévention et de la formation. »
« La démarche est nouvelle et
intéressante, juge Jean­Marc

Torrollion, président de la Fédéra­
tion nationale de l’immobilier
[Fnaim]. Nous en tirons la conclu­
sion que le volet éthique et déonto­
logique de nos formations doit
être renforcé. Car il faut que les pa­
trons d’agences tiennent un dis­
cours clair, argumenté, sur lequel
leurs collaborateurs peuvent s’ap­
puyer, pour contrer les éventuelles
tentatives de discrimination de la
part des propriétaires ou copro­
priétaires. »
Pour Samuel Thomas, délégué
général de la Fédération des
maisons des potes, association de
lutte contre le racisme, « les signa­
lements de locataires maltraités
son toujours aussi nombreux. Si la
prévention est intéressante, il faut
aussi infliger des sanctions. Hélas,
ces plaintes ne sont pas la priorité
des services de police ou de justice,
et l’on sent le découragement des
personnes discriminées qui dénon­
cent plus volontiers ces faits sur les
réseaux sociaux ».
Les décisions de justice sont, en
effet, rares. La dernière remonte
au 6 février 2019, lorsque le tribu­
nal correctionnel d’Evry a con­
damné les deux dirigeants de
l’agence immobilière Alvimmo, à
Palaiseau (Essonne), adhérents
Fnaim, pour une affaire datant de
2006 qui avait vu cinq candidats
locataires, aux dossiers solides,
écartés en raison de leur suppo­
sée ethnie. « Alors que nous avions
signé des partenariats pour lutter
contre ce fléau, il n’y a eu, depuis,
aucune réaction ni sanction de la
part de la Fnaim », se désole
M. Thomas.
isabelle rey­lefebvre

Tuerie à la Préfecture de police :


inquiétudes autour d’une clé USB


Les coordonnées personnelles de plusieurs collègues de Mickaël Harpon


ainsi que de la propagande djihadiste y étaient stockées


C


inq jours après l’atten­
tat qui a eu lieu, le 3 oc­
tobre, au sein de la
direction du renseigne­
ment de la Préfecture de police
(DRPP) de Paris, par l’un de ses
propres agents, les enquêteurs
ont mis au jour un certain nom­
bre de fichiers contenus sur le
matériel informatique du tueur.
Une découverte, en particulier,
intrigue : celle d’une clé USB de
grande capacité contenant à la
fois de la propagande djihadiste
et les coordonnées personnelles
de plusieurs collègues de Mic­
kaël Harpon, l’agent de la DRPP
passé à l’acte, a appris Le Monde
auprès de sources concordantes,
confirmant partiellement une
information du Parisien.
Contrairement à ce qui a pu
être écrit initialement, cette clé
n’a toutefois pas été retrouvée au
domicile de l’assaillant, abattu à
l’issue de son périple meurtrier,
mais, selon les informations du
Monde, dans le caisson de son
bureau, sur son lieu de travail.

Difficile donc de tirer des conclu­
sions, à ce stade, sur les raisons
pour lesquelles M. Harpon avait
mis ces fichiers ensemble sur
cette clé et l’usage qu’il a pu ou
aurait pu en faire.
Celui­ci a pu se limiter à un
aspect professionnel. Mickaël
Harpon était justement spécia­
liste du recueil d’informations
sur la radicalisation djihadiste et
cette documentation a pu être
tirée seulement des serveurs de
la DRPP, estiment toutes les sour­
ces interrogées. Le contenu de
cette clé, très important, est en­
core en cours d’exploitation, pré­
cise l’une d’elles. Les précisions
manquent encore, par ailleurs,
sur la nature des données per­
sonnelles retrouvées. S’agis­
sait­il d’un simple annuaire de
service ou de données collectées
par l’informaticien?

Christophe Castaner auditionné
Cette découverte vient en tout
cas alimenter les craintes des
spécialistes de l’antiterrorisme :
le fait que le tueur, qui était em­
ployé depuis plus de quinze ans
au sein de la DRPP, ait été tenté
d’usurper ses fonctions pour dé­
rober un certain nombre d’infor­
mations confidentielles.
Cette inquiétude avait déjà for­
tement agité les cercles policiers
lors de l’attentat contre un poli­
cier et son épouse à leur domicile
de Magnanville (Yvelines), en
juin 2016. Comment le tueur, La­
rossi Abballa, délinquant connu
des services de police, en particu­

lier du commissariat des Mu­
reaux, avait­il pu se procurer leur
adresse personnelle? Les avait­il
suivis depuis leur lieu de travail?
Jusqu’à présent, l’instruction de
ce dossier, toujours en cours, n’a
pas permis d’apporter de ré­
ponse précise à cette question.
Le ministre de l’intérieur, Chris­
tophe Castaner, devait être en­
tendu, mardi 8 octobre, par la délé­
gation parlementaire au rensei­
gnement – à huis clos – puis par la
commission des lois de l’Assem­
blée nationale, dans l’après­midi.
Même s’il ne peut s’exprimer sur
des points relevant de l’enquête ju­
diciaire, il pourrait avoir à répon­
dre, au regard de ces révélations,
sur la question plus large de la pro­
tection des données personnelles
du corps policier et des fonction­
naires du ministère de l’intérieur.
M. Castaner devra ensuite
répondre à la commission du Sé­
nat, jeudi matin, présidée par
Philippe Bas (Les Républicains).

Cette dernière a d’ores et déjà an­
noncé dans un communiqué
qu’elle s’intéressera notamment
aux « conditions ayant permis le
déroulement » de cette attaque,
aux « éléments relatifs à la radica­
lisation de [son] auteur » et aux
« signes qui auraient pu faire ap­
paraître cette radicalisation dans
le cadre professionnel ».
L’audition au Sénat ne portera
toutefois « ni sur le champ des
investigations conduites par le
procureur national antiterroriste,
qui relèvent de la seule autorité ju­
diciaire, ni sur les faits et décisions
relevant du secret de la défense
nationale et du secret des procé­
dures et méthodes des services
spécialisés de renseignement », a
précisé la commission.
Le président de l’Assemblée
nationale, Richard Ferrand, a, de
son côté, annoncé, sur la chaîne
CNews, mardi 8 octobre, qu’il al­
lait « évidemment » donner suite
à la demande des Républicains
de créer une commission d’en­
quête sur l’attaque de la Préfec­
ture de police. Celle­ci se mettra
au travail « dès la semaine pro­
chaine », a­t­il précisé. « Ce que je
ne voudrais pas, c’est que la com­
mission d’enquête se limite à faire
des auditions à grand spectacle
pour amuser la galerie », a cepen­
dant mis en garde M. Ferrand,
rappelant les travaux, en paral­
lèle, de la délégation parlemen­
taire au renseignement et des en­
quêtes judiciaires.
nicolas chapuis
et élise vincent

Richard Ferrand
a annoncé qu’il
donnerait suite
à la demande
des Républicains
de créer une
commission
d’enquête sur
l’attaque

26,7 %
Différence, en pourcentage, entre le taux de réponses positi-
ves à une demande de rendez-vous pour un candidat pré-
sumé français et un candidat présumé maghrébin
Des enquêtes de 2017, sur la France entière, et de 2019, sur Paris,
menées par le groupe de chercheurs Travail, emploi et politiques
publiques (TEPP) du CNRS, ont souligné cette différence de taux
de réponses, qui grimpe à plus de 30 % dans la capitale.

Dans un premier
temps, 343
agences sur 3 260
ont été repérées
comme « à risque
discriminatoire »

Difficile de tirer
des conclusions,
à ce stade, sur
les raisons pour
lesquelles
Mickaël Harpon
avait rassemblé
ces fichiers

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