Le Monde - 02.10.2019

(Michael S) #1

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FRANCE


MERCREDI 2 OCTOBRE 2019

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C’


est la promesse de
campagne d’Emma­
nuel Macron qui
avait déclenché la
première tempête politique du
quinquennat, contribuant à lui af­
fecter l’étiquette de « président des
riches ». C’est aussi la mesure que
les députés de la majorité, man­
quant cruellement d’arguments
pour la justifier lors du premier
budget du mandat, à l’automne
2017, s’étaient engagés à faire éva­
luer dès que possible. C’était, en­
fin, l’une des annonces du chef de
l’Etat lors de sa conférence de
presse post­grand débat national,
le 25 avril : « Cette réforme (...) sera
évaluée en 2020 et, (...) si elle n’est
pas efficace, nous la corrigerons »,
avait assuré M. Macron.
Cette réforme, c’est la suppres­
sion de l’impôt de solidarité sur la
fortune (ISF), remplacé depuis le
1 er janvier 2018 par un impôt sur la
fortune immobilière (IFI). Le pre­

mier rapport du « comité d’éva­
luation des réformes de la fisca­
lité du capital », censé estimer les
effets de la suppression de l’ISF
mais aussi de la « flat tax », l’ins­
tauration du prélèvement forfai­
taire unique (PFU) de 30 % sur les
revenus du capital, qui devait être
présenté mardi 1er octobre, était
donc particulièrement attendu.
Mais ce document d’un peu plus
de 300 pages, que Le Monde s’est

procuré, ne livre aucune réponse
tranchée. Réalisé sous l’égide de
France Stratégie, le think tank
d’évaluation et de prospective rat­
taché à Matignon, par une quin­
zaine de membres – économistes,
représentants de l’Insee, du
Trésor, de la Banque de France, ou
encore du Medef et de la CFDT
ainsi que par la députée La Répu­
blique en marche des Yvelines,
Nadia Hai –, le rapport ne permet
guère de confirmer ni d’infirmer
les objectifs initiaux de l’exécutif :
« Favoriser la croissance de notre
tissu d’entreprises, stimuler l’inves­
tissement et l’innovation », selon
la lettre de mission de Matignon
de décembre 2018.
« L’observation des grandes va­
riables économiques – croissance,
investissement, flux de placements
financiers des ménages, etc. –
avant et après les réformes ne
suffira pas pour conclure de leur
effet réel. En particulier, il ne sera

pas possible d’estimer par ce seul
biais si la suppression de l’ISF a
permis une réorientation de l’épar­
gne des contribuables concernés
vers le financement des entrepri­
ses », concluent les auteurs.

Seulement « neuf mois de recul »
« Le risque de déception est inhé­
rent à la démarche elle­même.
Mais le temps de l’évaluation n’est
pas le temps du politique », expli­
que Fabrice Lenglart, président du
comité d’évaluation, qui précise
qu’« on ne peut pas se contenter
de données macroéconomiques
(croissance, investissement) pour
évaluer une telle réforme. Il nous
faut des données fiscales sur les
ménages, qui ne sont pas encore
disponibles pour l’année 2018 ».
« La fiscalité demande du temps
pour produire ses effets. Nous ne
disposons que de neuf mois de re­
cul [depuis la constitution du co­
mité en décembre, en pleine crise

des « gilets jaunes »] », plaide Na­
dia Hai. Pour la députée, « on ne
peut pas établir de lien de cause à
effet entre le fait de ne plus taxer
les plus aisés et l’investissement
dans les actifs productifs », mais
« le rapport souligne toutefois que
la fiscalité française du capital [y
compris les impôts sur les socié­
tés et la taxation des transmis­
sions] était très lourde avant la
réforme : à près de 11 points de PIB,
elle était 2,5 points supérieure à la
moyenne des pays européens et les
personnes taxées ne créaient plus
de richesse ». Le rapport souligne
que le nombre de départs de
France pour raisons fiscales a
baissé à moins de 400 en 2017,
contre 900 en 2013. « Mais à ce
stade, le rapport de causalité n’est
que de la présomption », reconnaît
M. Lenglart.
« C’est un peu frustrant, mais on
s’y attendait, abonde un membre
du comité. On sait qu’il y a eu plus
de dividendes versés en raison du
PFU, on voit que la croissance va
mieux, que le chômage baisse. Mais
après, est­ce que les sommes ont été
réinjectées dans l’économie? Il est
bien trop tôt pour le dire. »
Cette absence de conclusion a
d’ailleurs occasionné, jusqu’au
dernier moment, des « divergen­
ces » sur l’avis à rendre, reflet du
caractère toujours politiquement
inflammable de la suppression de
l’ISF. Selon les informations du
Monde, à l’issue de la dernière
réunion du comité, jeudi 26
septembre au soir, ses membres
n’avaient pas été en mesure de
finaliser le rapport, et la commu­
nication autour de sa dernière
version a été jalousement gardée.
« La réforme de la fiscalité devait
susciter un choc d’entreprenariat.
Mais elle a eu un coût, d’où la
nécessité d’en évaluer la portée »,
reconnaît­on à Bercy. « On a un
faisceau d’indices positifs, mais il
serait illusoire de dire dès
aujourd’hui que ces effets sont di­
rectement liés à notre réforme. Du
reste, ce qui compte, ce n’est pas
tant de pouvoir dire que Mme Mi­
chu a investi tant d’euros dans
l’économie. C’est l’effet­signal,
comme pour la baisse de 5 mil­
liards d’euros d’impôts sur le re­
venu », explique­t­on.
Ces difficultés ne sont pas sans
rappeler celles de l’évaluation du
crédit d’impôt pour la compétiti­
vité et l’emploi (CICE). En dépit de
nombreux rapports, les écono­
mistes ne sont pas parvenus à
déterminer avec précision dans
quelle mesure cette réforme­
phare du quinquennat Hollande
(20 milliards d’euros de baisse de

La suppression
de l’ISF
n’a pas pénalisé
outre mesure
les « petits
riches », comme
le craignait
la droite en 2017

cotisations) a été utilisée par les
entreprises pour recruter, investir
et doper les salaires, ou pour aug­
menter leurs marges. La mesure a
coïncidé avec la remontée des pro­
fits des sociétés. Mais mi­2018, les
études faisaient état de seulement
« 100 000 emplois sauvegardés ou
créés sur la période 2013­2015 ».
S’il ne tranchera pas le débat po­
litique sur les conséquences de
long terme pour l’économie de la
suppression de l’ISF, le rapport de
France Stratégie éclaire ses effets à
court terme pour les plus riches.
Les chercheurs ont en effet eu ac­
cès à des données inédites du fisc
qui leur permettent de dire qu’elle
a « favorisé les ménages les plus
aisés ». La mise en place du PFU a
bénéficié aux 15 % de ménages les
plus aisés avec, pour les 5 % les
plus riches parmi eux, des gains
moyens en termes de niveau de
vie de près de 1 000 euros par an.
Après la transformation de l’ISF en
IFI, quatre ménages gagnants sur
cinq se situent parmi les 15 % les
plus aisés. « Le gain annuel moyen
d’un ménage gagnant est de l’ordre
de 6 500 euros », précise le rapport.

Manque à gagner
Toutefois, la suppression de l’ISF
n’a pas pénalisé outre mesure les
« petits riches » (propriétaires im­
mobiliers), comme le craignait la
droite en 2017. Au sein du premier
décile de patrimoine, neuf contri­
buables ISF sur dix ne sont plus
contribuables à l’IFI en 2018. Et
parmi les 0,1 % de Français les plus
fortunés de 2017, seul un sur dix
n’est pas imposé à l’IFI en 2019.
« L’ISF taxait les millionnaires, pas
les milliardaires », résume l’un des
membres du comité. Et ce, pour
des raisons d’optimisation fiscale,
mais aussi à cause du mécanisme
de plafonnement de l’impôt selon
lequel la somme des prélève­
ments, tous impôts confondus,
ne pouvait excéder 75 % des reve­
nus des contribuables. « Au final,
les 0,1 % les plus fortunés, soit
350 foyers déclarant plus de
50 millions d’euros de patrimoine,
étaient taxés au titre de l’ISF à un
taux d’imposition médian de
seulement 0,2 % de la valeur de
leur patrimoine imposable, contre
1,5 % de taux marginal dans le
barème », note le rapport.
Le document met enfin en
avant le résultat d’études qualita­
tives. Notamment sur l’attracti­
vité fiscale de la France auprès des
investisseurs qui s’est améliorée
depuis deux ans. Mais cette situa­
tion s’explique surtout par la « flat
tax », qui a permis d’abaisser l’im­
position des intérêts, dividendes
et autres plus­values de cession,
et pas nécessairement par la
suppression de l’ISF, qui a occa­
sionné un manque à gagner de 2 à
3 milliards d’euros pour les finan­
ces publiques. Les chercheurs ne
disposeront pas de résultats
probants sur les effets économi­
ques de la suppression de l’ISF
avant deux ans, estime M. Len­
glart. Soit à l’automne 2021, à
moins de six mois du premier
tour de l’élection présidentielle.
audrey tonnelier

« Est-ce que les
sommes ont été
réinjectées dans
l’économie? Il est
bien trop tôt pour
le dire », abonde
un membre
du comité

La difficile évaluation de la fin de l’ISF


France Stratégie a remis, mardi, un rapport censé mesurer les effets de cette réforme­phare du quinquennat


L’IFI rapporte plus que prévu au fisc


Fin 2017, en pleine polémique sur la suppression de l’ISF, Bercy
avait fini par lâcher des chiffres : une fois cet impôt disparu
et remplacé par l’impôt sur la fortune immobilière (IFI), il resterait
environ 150 000 contribuables assujettis au lieu de 330 000, et
850 millions d’euros de recettes contre plus de 4 milliards. Depuis,
le manque à gagner pour l’Etat (détaillé sous forme de baisse des
prélèvements sur les ménages) est évalué dans chaque projet de
loi de finances à 3,2 milliards d’euros. Mais, dans le budget 2020,
est précisé que l’IFI devrait rapporter en 2019 300 millions d’euros
de plus qu’attendu, soit 1,8 milliard d’euros, et 1,9 milliard
en 2020. C’est plus de deux fois plus que les prévisions initiales. Un
écart que l’on explique à Bercy par une certaine prudence dans les
prévisions, la hausse de la valeur du patrimoine taxé, mais aussi
« une mauvaise connaissance du patrimoine exact de ceux qui
payaient l’ISF » : avec l’ISF, jusqu’à 2,5 millions d’euros de patri-
moine, l’administration fiscale ne disposait pas des données diffé-
renciées entre patrimoine mobilier et immobilier.

imagine 4-7octobre


LA NUIT DU MONDE


AVEC


CHRISTIANE TAUBIRA


PIERRE RICHARD


BERTRAND BELIN


MARIELLE MACÉ


MICHAËL FOESSEL


CLAIRE MARIN


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