Les Echos - 02.10.2019

(Brent) #1

04 // FRANCE Mercredi 2 octobre 2019 Les Echos


Rouen, objet politique


radioactif


P


remière séance de
questions avec droit
de réponse, mardi à
l’Assemblée, première leçon
pour le gouvernement : sur
les sujets aussi sensibles
que l’incendie de l’usine
Lubrizol à Rouen, il n’y a ni
flou ni temps gagné qui vaille.
La transparence doit être
immédiate. Edouard Philippe
venait promettre que la liste
des produits présents au
moment de l’incendie serait
connue dans l’après-midi, les
députés n’ont su s’en satisfaire
et ont aussitôt répliqué : vous
savez, vous dites!
Immédiatement!
L’épisode est symptomatique
de la gestion de crise à « l’ère
de la défiance absolue », selon
le mot de la politologue Chloé
Morin. Aucune parole
publique n’est crue (qu’elle
soit politique, médiatique et
même scientifique), toute
imprécision est retournée, le
temps est un ennemi, les
« fake news » prospèrent et la
population se sent
abandonnée. A fortiori quand
les médias ne parlent que de
la mort de Jacques Chirac,
survenue au même moment.
« Les médias, c’est Paris, donc
l’Etat », résume un conseiller
en communication.
Le gouvernement n’y est
évidemment pour rien. Pas
plus qu’il n’est responsable de
l’incendie, et du mur du
scepticisme qui chaque jour

grandit. Avec Rouen, le mur
est en terrain propice.
L’accident environnemental,
le risque pour la santé, une
entreprise longtemps muette,
le nuage dit « inoffensif » qui
réveille le traumatisme de
Tchernobyl, du concret
(l’odeur, la suie) et des silences
(la liste des produits).
Un précipité anxiogène.
Tout cela, le gouvernement le
sait. Il sait qu’il fait ses armes
sur un sujet ultrasensible,
que l’opposition surfe sur
l’angoisse et que tout ce qu’il
dira sera retourné contre lui.
Peut-être même le sait-il trop
bien, et en a-t-il trop fait pour
ne surtout pas être pris
en faute.
Quatre ministres ont
d’emblée été dépêchés sur
place. Ils ont pris des mesures
de précaution (écoles
fermées, récoltes interdites),
promis la « transparence
totale », reconnu qu’il y avait
bien un problème (« La ville
est clairement polluée »),
commandé des analyses, et,
au-delà de tout, voulu
rassurer (l’odeur est forte
mais sans danger).
Trop à la fois?
Des contradictions sont
apparues. Les analyses sont
en cours et on dit qu’il n’y a
pas de danger? La
transparence est totale mais
on tait les produits? Le doute
a prospéré. Les habitants ne
veulent pas qu’on les rassure,
ils veulent « la vérité » et qu’on
se préoccupe d’eux. Mardi,
Edouard Philippe y accède. Il
demande un compte rendu
quotidien au préfet et
organise un suivi médical...
cinq jours après l’incendie.

[email protected]

L’ incendie de Lubrizol est en passe de devenir
l’archétype des crises ingérables quand
plus personne ne croit en la parole publique.

LE FAIT
DU JOUR
POLITIQUE

Cécile
Cornudet

Bygmalion : le renvoi de Sarkozy
en correctionnelle validé

JUSTICE La Cour de cassation a rejeté mardi l’ultime recours de
Nicolas Sarkozy dans l’affaire Bygmalion, levant le dernier obs-
tacle à la tenue d’un procès de l’ex-chef de l’Etat pour finance-
ment illégal de campagne électorale. Cet arrêt clôt une bataille
de procédures déclenchée par la défense de Sarkozy après son
renvoi en correctionnelle, il y a deux ans et demi. La justice avait
déjà validé en juin son renvoi devant le tribunal correctionnel
pour « corruption » d’un haut magistrat de la Cour de cassation,
une autre affaire révélée par des écoutes téléphoniques.

en bref


Dessins Kim Roselier pour


« Les Echos »


majeures des élus à Rouen et des
ONG, syndicats et associations, qui
ont organisé mardi soir dans la
capitale de la Seine-Maritime une
manifestation « pour la vérité sur
l’incendie ». Leur non-publication –
justifiée par Edouard Philippe
par une disposition liée au risque
terroriste pour les sites Seveso –
était la brèche dans laquelle
s’étaient engouffrées les opposi-
tions, notamment l’eurodéputé
EELV Yannick Jadot et le député LFI
François Ruffin, pour fustiger et
attaquer l’action d’un exécutif qui a
déclaré la transition écologique
comme la priorité de son acte II.

« 160 fûts
dans un état délicat »
Au passage, la préfecture a
annoncé que « 160 fûts dans un
état délicat » restent à évacuer de
l’usine. Elisabeth Borne, qui doit
être auditionnée ce mercredi par
la commission du Développe-
ment durable de l’Assemblée, a
annoncé que l’Ineris (l’agence
publique chargée des risques
industriels) et l’Anses (l’Agence
nationale de sécurité sanitaire, de
l’alimentation, de l’environne-
ment et du travail) seraient saisis
« sur la base de ces produits » pour
de nouvelles recommandations,

« d’éventuels prélèvements supplé-
mentaires ou produits supplémen-
taires à rechercher ».

Suivi médical
Interpellé sur le sujet, le Premier
ministre s’est dit « favorable » à un
suivi médical de long terme des
populations comme après l’acci-
dent d’A ZF. Il a précisé que le préfet
serait épaulé par une « cellule natio-
nale d’appui scientifique » compo-
sée du directeur général de l’Ineris,
d’un expert de Santé publique
France et du chef du service de
pneumologie du CHU de Rouen.
Quant à la reconnaissance d’état
de catastrophe technologique,
Edouard Philippe a avancé qu’il
n’était pas sûr que les « conditions
d’application soient réunies » mais a
assuré qu’il veillerait à ce que cela
ne conduise pas à « exonérer
l’industriel ». Plus tôt, le ministre de
l’Agriculture, Didier Guillaume,
avait assuré qu’au moins 1.800 agri-
culteurs avaient été touchés par les
suies de l’incendie et que de premiè-
res indemnisations pourraient
intervenir sous une dizaine de
jours. Dans la soirée, le parquet de
Rouen s’est dessaisi au profit du
pôle de santé publique du parquet
de Paris, en raison, notamment, de
la « technicité » des investigations.n

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Pour tenir les cordons de la bourse,
le gouvernement promet les efforts
les plus importants en matière de
contrôle des dépenses en fin de man-
dature, à l’approche des élections, ce
qui a de quoi laisser sceptique. Ainsi
la croissance en volume (hors infla-
tion) de la dépense publique passe-
rait de + 0,7 % en 2019 et 2020 à + 0,5 %
en 2021 et +0,2 % en 2022. A cette
échéance, cette dernière représente-
rait 52,3 % du PIB (55 % en 2017). Avec
les baisses d’impôts engagées, le taux
de prélèvements obligatoires passe-
rait de 45,2 % du PIB en 2017 à 43,9 %
du PIB en 2022.
Conséquence de cette dégrada-
tion des perspectives budgétaires,
la dette devrait très peu refluer sur
ce quinquennat. Celle-ci est atten-
due à 97,7 % du PIB en 2022 contre
98,4 % en 201 7. Initialement, le gou-
vernement avait promis une baisse
de 5 points de PIB en cinq ans.n

Renaud Honoré
@r_honore

Le gouvernement continue de revoir
à la baisse ses ambitions budgétaires.
Le déficit est désormais attendu à
1,5 % du PIB en 2022, selon les docu-
ments attachés au projet de loi de
finances pour 2020 mis en ligne ce
mardi. Ce chiffre marque un
recul par rapport aux prévisions

FINANCES
PUBLIQUES

Les nouvelles prévi-
sions montrent une
dégradation par
rapport à celles du
printemps dernier, qui
tablaient sur un déficit
à 1,2 % en 2022.

Bercy revoit à la hausse le déficit


pour 2022 à 1,5 % du PIB


d’avril dernier (–1,2 % du PIB), sans
parler du retour à l’équilibre qui avait
été promis par Bercy il y a dix-huit
mois. Il n’est toutefois pas surprenant,
dans la mesure où l’objectif pour
2020 avait déjà été revu (–2,2 % contre


  • 2 % initialement) pour tenir compte
    du coût des mesures prises en
    réponse à la crise des « gilets jaunes ».


Efforts de fin de mandature
Certaines hypothèses retenues par
l’exécutif pour aboutir à ce nouveau
solde budgétaire seront regardées
avec attention. Bercy espère ainsi
que la croissance se maintiendra en
2021 au même niveau qu’en 2020
(+1,3 %) avant de grimper à + 1,4 %
en 2022 et 202 3. Cette légère hausse
serait notamment permise par un
gain de la croissance potentielle du
pays à partir de 2022, traduction d es
effets des réformes structurelles
menées depuis 2017.

Lubrizol : pour désamorcer la


crise, l’exécutif change de braquet


Isabelle Ficek
@IsabelleFicek

« Une marée noire sur terre. » Les
mots sont forts. Ils ont été utilisés
dans une pétition d’élus locaux
adressée au Premier ministre et
prononcés mardi par Christophe
Bouillon, député PS de Seine-Mari-
time, au sujet de l’incendie jeudi
dernier de l’usine Lubrizol à Rouen,
lors des questions au gouverne-
ment à l’Assemblée. « Il faut rétablir
la confiance et pour cela, il faut
davantage de transparence! » a sou-
ligné le député.
Car cinq jours après cette « catas-
trophe industrielle » – selon les mots
d’Edouard Philippe et d e la ministre
de la Transition écologique, Elisa-
beth Borne, comme pour signifier
que le gouvernement avait bien pris

la mesure de la crise –, c’est toujours
l’inquiétude qui règne à Rouen et
au-delà. E t, avec elle, les polémiques
qui n’ont cessé de monter sur fond
de rumeurs ou de questions encore
sans réponses, en dépit de la publi-
cation par la préfecture, de pre-
miers résultats d’analyses – jus-
qu’ici rassurants sur l’eau, sur l’air
comme sur l’amiante. En dépit,
aussi, de la venue de cinq ministres
pour tenter de rassurer et de la
« transparence totale » promise
dimanche par Edouard Philippe.
Pour tenter de désamorcer la
crise, l’exécutif a, mardi, changé de
braquet. Le Premier ministre a
décidé d’autoriser le préfet à rendre
publique la liste et la quantité des
produits qui ont brûlé dans le sinis-
tre. C’était l’une des demandes

Le Premier ministre, Edouard Philippe, s’est rendu lundi soir à Rouen sur le site de Lubrizol pour tenter, en vain, de rassurer.

SANTÉ


Edouard Philippe, qui
avait promis dimanche
la « transparence
totale », a décidé
mardi de publier
la liste des produits
stockés dans l’usine
Lubrizol de Rouen.

« Il faut rétablir
la confiance
et pour cela,
il faut davantage
de transparence! »
CHRISTOPHE BOUILLON
Député PS de Seine-Maritime

Lou

Benoist/AFP
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