Courrier International - 10.10.2019

(Brent) #1

  1. Courrier international — n 1510 du 10 au 16 octobre 2019


Pologne. “Ne nous


prenez pas pour


des demeurés”


Le parti au pouvoir, Droit et Justice (PiS), va très probablement
remporter les élections législatives du 13 octobre. Un journaliste
a interviewé les membres de son entourage qui soutiennent
ce mouvement ultraconservateur pour comprendre son succès.

—Gazeta Wyborcza
(e x t r a i t s) Varsovie

P


ourquoi le PiS a-t-il rem-
porté les élections euro-
péennes, et pourquoi les
Polonais sont-ils de nouveau sur
le point de voter pour lui? J’ai
entrepris de poser la question à
mon père et à mes oncles, chemi-
nots. À mes deux tantes qui tra-
vaillent au salaire minimum dans
une scierie. À une troi-
sième, enseignante à
la retraite et fervente
catholique. À un autre
oncle, pompier celui-
là. À un chasseur de
65 ans, ancien affû-
teur de métier. À un jeune socio-
logue agnostique, qui travaille à
Varsovie dans la publicité. Et enfi n
à un professeur de droit de 80 ans.
Ils ne sont pas représentatifs,
mais ce sont des femmes et des
hommes d’âges et de niveaux de
formation divers. Ils habitent dif-
férentes régions, dans des villages,
des petites villes ou dans la capi-
tale, et tous ne sont pas croyants.
En revanche, ils ont tous voté PiS
aux européennes et déclarent qu’ils
feront de même aux législatives.
Ils ont accepté de se confi er à
condition que je garantisse leur
anonymat et que je promette de
ne pas les off enser et de ne pas
me moquer d’eux. C’est précisé-
ment ce qui les atteint le plus de la
part de “notre” camp : ils se sen-
tent attaqués parce qu’ils osent
penser et voter autrement. “Tu
pourras leur dire là-bas à Varsovie
qu’aux législatives vous allez prendre
une tôle! Qui attaque le PiS nous
attaque nous, et ça nous motive”,
s’énerve l’un de mes oncles. “La
majorité vote PiS, mais il arrive
malgré tout que des adversaires du
PiS nous insultent, affi rme ma tante
retraitée. Pourquoi est-ce qu’ils nous
prennent pour des demeurés? L’an
dernier, j’ai dû quitter un repas de
famille car je ne pouvais plus sup-
porter d’entendre ces injures. Je leur
ai juste dit que je ne me sentais pas
bien. Que chacun vote pour
qui il veut.”
De toutes les conver-
sations ressortent, dans
des proportions
variables, trois
raisons prin-
cipales pour
lesquelles

les Polonais soutiennent
aujourd’hui le parti au pou-
voir. Premièrement, les pro-
messes de campagne tenues.
Deuxièmement, les transferts
sociaux. Troisièmement, la foi et
la tradition.
“Tu peux ne pas être d’accord avec
eux, mais admets qu’ils tiennent une
bonne partie de leurs promesses.
— Moi, j’aime tout dans le PiS, et
en particulier le fait qu’ils gagnent.
En même temps, je vote
contre la Plateforme
civique (PO) et Tusk
[ jusqu’à son élection à
la présidence du Conseil
européen en 2014,
Donald Tusk était chef
de la PO et Premier ministre depuis
2007] parce qu’ils ne faisaient rien”,
m’expliquent mes oncles.
Mon père ajoute : “Certains disent
que c’est grâce à l’UE ou à la conjonc-
ture. Peut-être, mais ceux du gou-
vernement d’avant disaient que tout
allait s’eff ondrer! Et regarde, il y
a plein de voitures, les supermar-
chés sont remplis de monde, il y a
des chantiers de construction par-
tout, les gens ont quasiment arrêté

de faire leurs courses à crédit dans
les épiceries. Et rien ne s’est encore
cassé la fi gure!”
Mon autre oncle – le pom-
pier – n’a “pas d’illusions”. “Tous
les politiques ont toujours volé et
continueront de le faire. L’équipe
actuelle comme les autres. La dif-
férence, c’est que ceux de mainte-
nant partagent avec nous ce qu’ils
volent, tandis que ceux d’avant, ils
ne partageaient pas.” En même
temps, tous mes interlocuteurs
m’assurent que, pour eux, les trans-
ferts sociaux ne sont pas la chose la
plus importante et que s’il n’y avait
que cela, ce ne serait “pas assez”.
“Puisqu’ils donnent, évidemment
il faut prendre, mais pour moi, le
plus important, c’est la crédibilité,
et l’équipe d’avant n’en a aucune.
Ils ont eu le pouvoir si longtemps,
pourquoi ils n’ont pas donné? Parce
qu’ils se remplissaient les poches.
Qui leur interdisait de redistri-
buer?” s’agace le chasseur. La
redistribution serait-elle la clé du

France ......... 18
Asie ........... 20
Afrique ........ 24
Amériques ...... 26
Moyen-Orient ... 28

d’un


continent


à l’autre.


europe


“J’ai dû quitter
un repas de famille
car je ne pouvais plus
supporter d’entendre
ces injures.”
Tante de l’auteur,
EMPLOYÉE DE SCIERIE

REPORTAGE

↙ Donald Tusk, ancien Premier ministre
polonais et actuel président du Conseil européen.
Dessin de Balaban, Luxembourg.
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