Courrier international — n 1510 du 10 au 16 octobre 2019 EUROPE. 15
PARIS 89 FM
DANIEL DESESQUELLE
CARREFOUR DE L’EUROPECARREFOUR DE L’EUROPE
DIMANCHE 18H10 @CarrefourEuropet
La radio mondiale en français La radio mondiale en français
et 13 autres langueset 13 autres langues
succès du PiS? “Non. Comme l’a dit
un jour M. Morawiecki [le Premier
ministre en exercice], l’État provi-
dence ne doit pas profi ter qu’aux
élites, tout le monde doit en recevoir
un peu. Et maintenant, tout le monde
reçoit quelque chose, pas seulement
un petit groupe de riches. C’est donc
possible!” poursuit le chasseur.
“Mes enfants sont déjà adultes et
il me reste quelques années avant la
retraite, donc personnellement je ne
suis pas bénéfi ciaire, mais je tire une
immense satisfaction du fait que
la situation des autres s’améliore,
notamment celle des pauvres. Et
puis mes enfants et petits-enfants en
profi tent aussi. Dans les villages, tu
n’imagines pas le nombre de grands-
parents envoyés dans les bureaux
de vote par leurs enfants qui leur
disaient : ‘Allez voter, autrement on
va nous enlever les aides’”, observe
mon père.
Foi et tradition. “Personnellement,
je n’ai rien reçu du PiS et je m’attends
même à payer plus d’impôts lors de sa
prochaine mandature, mais je com-
prends que c’est indispensable pour
que la pauvreté cesse d’être hérédi-
taire”, explique le sociologue de
34 ans, qui a voté pour le PiS aux
européennes, mais pour la gauche
aux municipales de Varsovie en
octobre 2018. Il admet que la crois-
sance dont profi te le PiS ne lui est
pas imputable. “Néanmoins, c’est
le mérite de ce parti que d’en redis-
tribuer correctement les fruits. Il
ne s’agit pas seulement de 500+ [le
programme d’allocations familiales
de 120 euros mensuels par enfant],
car une partie des électeurs du PiS
n’aiment pas non plus les transferts
sociaux. En 2015, le salaire minimum
était de 400 euros brut, en 2020,
il devrait dépasser 570 euros. En
dépit des prévisions des libéraux,
cette augmentation ne cause pas de
catastrophe, mais tire vers le haut
les salaires dans toute l’économie.”
N’avez-vous pas peur que tout
cela soit fi nancé à crédit et qu’un
jour vos enfants et petits-enfants
doivent régler la note? “Même si c’est
à crédit, ça vaut le coup. La situa-
tion matérielle des enfants dans les
campagnes et les petites villes s’est
améliorée, et chaque zloty [la mon-
naie polonaise] investi dans l’éduca-
tion des enfants sert l’avenir”, répond
mon père.
“Je suis conscient du fait qu’une
partie de l’argent des transferts
sociaux est gaspillée, mais c’est iné-
vitable dans le cas des grands pro-
jets, complète le sociologue. Entre
2007 et 2013, nous avons reçu près de
100 milliards d’euros de fonds euro-
péens. Ils ont permis la construc-
tion de nombreuses infrastructures
utiles, mais ont aussi été en partie
gaspillés. Quand je regarde d’un
côté les enfants qui ont reçu un smart-
phone et partent en vacances chaque
année grâce aux allocations et, de
l’autre, les fontaines qui ont coûté
des millions en fonds européens, je
n’ai pas l’impression que l’argent de
500+ soit jeté par les fenêtres.”
“La foi et la tradition”, comme
le formule l’un de mes interlo-
cuteurs, sont le troisième grand
motif d’adhésion au PiS. Mon
chasseur soutient ainsi que toute
l’opposition lutte contre l’Église,
“et moi, je suis contre ça, même si je
ne sens pas l’encens. Tu ne veux pas
aller à l’église, n’y vas pas. Pourquoi
ces profanations? La Vierge Marie
avec une couronne arc-en-ciel, c’est
n’importe quoi. Ceux qui font ça se
tirent une balle dans le pied.” De
son côté, ma tante enseignante
explique : “J’ai voté PiS parce que
je suis très religieuse. J’ai élevé cinq
enfants, je ne suis ni pour l’avorte-
ment ni pour le pacs.”
Pratiquement tous mes inter-
locuteurs ont regardé au moins
une fois le documentaire des
frères Sekielski sur la pédophi-
lie dans l’Église [mis en ligne en
mai, il a enregistré plus de 20 mil-
lions de vues et suscité une émo-
tion considérable dans l’opinion
publique polonaise]. Ce fi lm a-t-il
changé leur relation à la foi ou au
PiS? “J’ai grandi dans une famille
croyante et je resterai moi-même
croyant jusqu’à la fi n, mais je ne
suis pas un grand fan de l’Église car,
quand j’étais enfant, mon père m’a
appris à distinguer Dieu de l’Église et
de ses prêtres. Je ne suis pas non plus
un grand fan de l’alliance du trône
e t de l’autel [le PiS bénéfi cie de l’appui
plus ou moins explicite d’une large
frange de l’Église catholique polo-
naise], mais la foi est si importante
pour moi que le PiS reste le parti dont
je me sens le plus proche”, c o n fi e l e
professeur de droit.
Est-ce à dire que la question
des pédophiles en soutane n’a
aucune importance? Mon oncle
et ma tante rétorquent :
“Je vois où tu veux en venir, mais
tu ne sais sans doute pas que la PO ne
voudrait poursuivre les pédophiles
que dans l’Église. Or ils sont par-
tout! À l’école, à l’université, dans les
hôpitaux...
— Les pédophiles, ce sont tous des
gens éduqués!
— Il faut les punir de façon égale,
qu’ils soient prêtres ou oscarisés [e n
référence au cinéaste franco-polonais
Roman Polanski, toujours recher-
ché aux États-Unis pour une aff aire
d’abus sexuel sur mineure datant
de 1977]. C’est la position du PiS!”
Succès international. La foi et
la tradition vont de pair avec la
peur des LGBT et des réfugiés.
Mon professeur de droit oppose
ainsi un non catégorique à une
“libéralisation excessive, en par-
ticulier concernant les questions
hommes-femmes”. “Je suis conscient
du fait qu’il y a toujours eu des homo-
sexuels qui ont élevé des enfants.
Cela reste vrai aujourd’hui. Je ne
suis pas contre ces personnes, car
elles font partie de l’humanité. Je
ne vais pas les convertir de force,
dit-il. En revanche, je suis abso-
lument contre la promotion de ce
type de comportement, contre le
droit de ces personnes à adopter des
enfants, et c’est pourquoi je ne don-
nerai jamais ma voix à la gauche
ou aux libéraux. C’est une limite à
ne jamais dépasser.”
Pour un de mes oncles, les
“succès du PiS à l’international”
sont un argument décisif. “C’est le
premier gouvernement qui ne gobe
pas tout ce qui vient de l’UE comme
un pélican. Les autres ont fermé nos
chantiers navals, nos mines, ils ont
vendu nos raffi neries de sucre aux
Allemands.” Cette politique du
relèvement serait illustrée de la
meilleure façon par “la question
juive. Pendant la Seconde Guerre
mondiale, Varsovie a été complète-
ment détruite. Qui a déclenché la
guerre? Les Allemands. Qui a recons-
truit? Les Polonais. Aujourd’hui,
après tant d’années, les Juifs nous
demandent des réparations. Je suis
très content que le PiS leur dise non.
C’est aux Allemands de payer. J’ai
lu quelque part sur Internet que
80-90 % des membres du Congrès
américain sont juifs ou sponsorisés
par les Juifs. Pour moi, c’est diffi cile
d’imaginer qu’un petit État comme
Israël ait réussi à survivre au milieu
de ces loups, parce qu’on sait qui il y
a autour. De mon point de vue, les
Juifs gouvernent le monde, mais
c’est seulement parce qu’ils ont der-
rière eux la puissance américaine.”
Tous mes interlocuteurs
affirment par ailleurs vouloir
que la Pologne reste dans l’UE,
même s’ils ne manquent pas de
remarques critiques. “Au début,
l’UE, c’était très bien, mais ça va de
mal en pis, comme cette obligation
d’accepter des réfugiés qui ne veulent
pas travailler. Si les Allemands ou
les Français les veulent, très bien,
qu’ils les prennent. Moi, comme le
PiS, je suis pour les aider sur place.
C’est pas possible autrement. Quand
tu vas rendre visite à quelqu’un, tu
dois respecter sa culture et ne pas
faire ce que tu veux”, m’ex plique
un oncle. Un autre ajoute : “Les
frontières doivent rester ouvertes. Je
suis tout à fait pour la liberté de cir-
culation, mais pas pour faire venir
des bamboulas chez nous.” À l’in-
verse, ma tante institutrice, “plutôt
contre l’UE au moment de l’adhé-
sion”, constate que “beaucoup de
choses ont changé entre-temps. Il y
a des aides pour les agriculteurs,
les jeunes”.
En préparant cet article, je lisais
en parallèle Retour à Reims, de
Didier Eribon [paru en Pologne en
2019, soit dix ans après sa sortie en
France, l’ouvrage a connu un fort
retentissement auprès du public
polonais], dont je me sens très
proche. Bien que je n’aie jamais
abandonné ma famille de façon
aussi radicale qu’Eribon, avec cer-
tains de mes proches, ces conver-
sations ont été les plus longues que
j’ai eues depuis des années. “S’il
n’y avait pas le PiS, tu nous aurais
oubliés”, a conclu mon oncle en
plaisantant.
—Grzegorz Wysocki
Publié le 8 juin
“C’est la première fois
qu’on ne gobe pas tout
ce qui vient de l’UE
comme un pélican.”
Oncle de l’auteur,
CHEMINOT
●●● Le parti ultraconservateur Droit et Justice (PiS)
semble presque assuré d’être reconduit au pouvoir après
les élections législatives à tour unique qui se tiendront
ce dimanche 13 octobre. Avec près de 45 % des intentions
de vote dans les sondages, il obtient à lui seul autant
que la quasi-totalité des listes concurrentes prises
ensemble : la Coalition civique (libéraux, 27 %),
la Gauche (13 %), la Coalition polonaise (conservateurs,
5 %) et la Confédération (extrême droite, 5 %).
Pour le portail d’information Onet, “le gouvernement
actuel est le premier depuis 1989 à attiser les confl its
au lieu de les apaiser”. En revanche, aux citoyens qui
acceptent son idéologie ou s’abstiennent de la questionner,
le PiS off re un “État providence national et catholique”
qui “organise leur vie de la naissance à la mort”.
Contexte