Courrier international — no 1510 du 10 au 16 octobre 2019 transversales. 43
prêtre. Déjà en ligne sur Steam, la
plus populaire des plateformes de
distribution en ligne de jeux vidéo
[avec 30 000 titres en catalogue],
la courte bande-annonce de Priest
Simulator suggère que ce ne sera
pas un jeu éducatif pour des can-
didats au séminaire, mais plutôt
un jeu d’aventure assez contro-
versé avec des éléments d’hor-
reur et d’humour.
Krzysztof Kostowski ne veut pas
discuter de ce projet réalisé par
Ultimate Games, un des studios
appartenant à l’écurie PlayWay.
Le marché montrera si le concept
du jeu, comparé dans les médias
polonais au film Kler [“Clergé”,
très critique à l’égard de l’Église
catholique ; il a enregistré plus de
5 millions d’entrées en 2018], se
vend. “Les Polonais ne représen-
tent pas une part importante de nos
ventes, la plupart des téléchargements
sont originaires des États-Unis, de
Chine et d’Europe occidentale”, pré-
cise le patron.
Le contenu des jeux, en particu-
lier des jeux de tir, très populaires,
fait depuis longtemps polémique.
Récemment, après le massacre
d’El Paso [aux États-Unis], Donald
Trump a affirmé que les jeux vidéo
généraient une culture de haine et
faisaient l’apologie de la violence.
Il a aussi annoncé de nouvelles res-
trictions dans ce domaine. Et la
valeur boursière des producteurs
de jeux a flanché.
En Pologne, il existe déjà plus de
deux cents studios de création de
jeux vidéo, dans tous les genres et
sur tous les supports (ordinateurs,
consoles, mobiles). Certains obser-
vateurs en dénombrent même cinq
cents en y incluant des groupes
informels de jeunes qui déclarent
vouloir créer des jeux sans encore
avoir fondé leur entreprise.
“Dans certains cas, cela s’arrête
au stade des projets et des idées géné-
rales. Les obstacles à la réalisation
sont divers : mauvaise idée, dissolu-
tion de l’équipe. Cela touche surtout
les étudiants, qui en règle générale
créent des jeux sur leur temps libre
avec des effectifs très limités. Ce type
de modèle ne garantit pas le succès,
commente Remigiusz Kopoczek,
président d’une agence publique
L’État aussi est tombé amou-
reux de cette industrie. Le Premier
ministre Mateusz Morawiecki
assiste aux salons spécialisés et
promet son soutien. En pratique,
les aides publiques ne sont pas
très nombreuses, mais les respon-
sables politiques ont beaucoup
d’idées pour exploiter le filon,
par exemple la création de jeux
patriotiques. Cependant, rares
sont ceux qui ont convaincu le
public. Malgré l’appui du minis-
tère de la Culture, ni les jeux sur la
Seconde Guerre mondiale ni Music
Master Chopin [sur le composi-
teur et pianiste franco-polonais]
n’ont ma rché.
Dernièrement, le gouverne-
ment avait même lancé un projet
de loi de soutien aux créateurs de
jeux qui promeuvent la culture
et l’histoire polonaises. Mais il a
vite été rangé dans un tiroir. Pour
le moment, c’est donc à Geralt
de Riv [le héros de la saga The
Witcher] qu’il revient de se battre
pour faire connaître la Pologne
dans le monde.
—Adam Grzeszak
Publié le 3 septembre
de soutien aux jeunes créateurs.
Dans la production, le plus cher, ce
sont les compétences. Si l’équipe ne
les a pas toutes en interne, elle doit
aller les chercher à l’extérieur et cela
accroît les coûts.”
D’ailleurs, aujourd’hui, plus que
le financement, c’est le manque de
main-d’œuvre qui entrave la créa-
tion. Sur les portails spécialisés,
on trouve de nombreuses offres
d’emploi pour des program-
meurs, animateurs 3D, testeurs,
ingénieurs du son, spécialistes
de réalité virtuelle, etc. La fièvre
des jeux, alimentée par le rêve
d’un nouveau The Witcher et pa r
le succès de grands studios polo-
nais comme CD Projekt, 11 Bit
Studios, CI Games, PlayWay,
Ten Square Games ou Techland
fait que l’on parle de ce secteur
comme d’une nouvelle spécia-
lité polonaise. L’an dernier, son
chiffre d’affaires s’est monté à
500 millions d’euros environ.
Longtemps méfiants, les inves-
tisseurs ouvrent désormais leur
portefeuille dans une atmos-
phère qui rappelle un peu la bulle
Internet des années 1990. Mais
cette dernière avait fini par écla-
ter, et certains craignent que la
hausse rapide du cours de l’ac-
tion CD Projekt ne donne lieu à
un scénario similaire.
Cinq grands producteurs et édi-
teurs, plus une dizaine d’autres
sociétés plus petites, sont déjà
cotés à la Bourse de Varsovie.
D’autres attendent leur tour. Même
celles qui n’affichent pas encore de
grand succès n’ont pas de problème
à lever des fonds, car les investis-
seurs délaissent des secteurs plus
anciens au profit des jeux vidéo.
la lettre
teCh
F
acebook a toujours nié
mordicus être dans le
business de l’informa-
tion. Ses dénégations ne l’em-
pêchent pas de secouer les
fondements même de l’éthique
journalistique. Le géant des
réseaux sociaux, devenu le pré-
sentoir incontournable de la
presse, annonce qu’il ne véri-
fiera plus la véracité des propos
tenus par les hommes poli-
tiques dans les médias. “Leurs
paroles sont déjà un événement
e n soi”, explique-t-il dans le
Wall Street Journal. De
même, il ne soumettra plus
au fact checking les articles
considérés comme des édito-
riaux exprimant la seule opi-
nion de leurs auteurs ou les
“satires” traitant d’un sujet
avec humour ou outrance.
Peu importe, apparemment,
qu’un chiffre reste un chiffre
et un fait un fait, et que les lec-
teurs soient le plus souvent
incapables de dire à quelle
rubrique appartient le texte
qu’ils lisent en ligne. Après avoir
longtemps médité sur son rôle
dans le raz-de-marée de fake
news qui a submergé la cam-
pagne présidentielle de 2016,
Facebook démolit elle-même
ses propres défenses anti-intox.
Céderait-elle aux pressions de
la mouvance pro-Trump, qui,
depuis des mois, s’en prend aux
“préjugés anticonservateurs des
médias et des réseaux sociaux”?
Cette décision fait suite à un
contentieux virulent opposant
le réseau social et un groupe
antiavortement nommé “Live
Action”, qui, dans une de ses
vidéos, assurait que l’IVG
n’était jamais “médicalement
nécessaire”. Les vérificateurs
de Facebook, appartenant en
l’occurrence à une organisa-
tion à but non lucratif située en
France, Science Feedback, ont
déclaré cette affirmation fausse
en se fondant sur le consensus
de la communauté médicale et
scientifique. Live Action a fait
un scandale en voyant appa-
raître la mention “faux” sur sa
vidéo et a accusé le réseau social
d’“étouffer le débat en recourant
à des scientifiques liés à la défense
de l’avortement”, puis a reçu le
soutien des sites militants de
droite et de deux sénateurs
républicains, Ted Cruz et Josh
Hawley. Facebook a retiré le
bandeau “faux” de la vidéo. Et
ne l’a toujours pas remis.
Le New Yorker ne donne pas
son opinion sur l’existence des
extraterrestres, mais il livre
un article fort cérébral sur les
affres de la recherche d’une
vie intelligente dans l’Univers.
C’est d’abord un problème de
sous. Le magazine rappelle le
budget minuscule – 12 millions
de dollars – alloué pour la der-
nière fois à la Nasa par le gou-
vernement américain pour ces
observations, en 1992. Et les
camouflets ultérieurs : “Tout
cet argent dépensé sans qu’on ait
mis la main sur le moindre petit
homme vert”, fulminait un élu
du Congrès l’année suivante.
L’article narre la déprime
des chercheurs et leur quête
désespérée d’une crédibi-
lité nécessaire à leur finan-
cement. Un malaise dont le
New Yorker déroule les consé-
quences scientifiques. Plutôt
que de rechercher les biosi-
gnatures de banales bactéries
dans une foule de planètes répu-
tées capables de porter la vie,
l’idée tendance serait de tra-
quer les technosignatures, les
signes les plus visibles d’une
vie organisée et évoluée, plus
passionnante pour l’opinion et
les élus bailleurs de fonds. Ce
n’est pas gagné.—
PHILIPPE COSTE, à New York
L’info selon Facebook et
les tristes chercheurs d’aliens
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La lettre tech.
Priest Simulator
ne s’annonce pas
comme un jeu éducatif
pour futurs
séminaristes.
L’a t m o s p h è r e
rappelle un peu
la bulle Internet
des années 1990.
sourCe
Polityka
Varsovie
Hebdomadaire, 230 000 ex.
polityka.pl
Ancien organe des réformateurs
du Parti ouvrier unifié polonais
(Poup), lancé en 1957,
“La Politique”, qui appartient
aujourd’hui à ses journalistes,
est devenue le plus grand hebdo
sociopolitique de Pologne,
préféré par l’intelligentsia
polonaise. À gauche, s’il vous
plaît, mais sans exagérer...
Le penchant social-démocrate
de Polityka est toujours palpable,
mais point de sujets tabous.
Mexique : fuite des cerveaux
●●● Le jeu vidéo mexicain
s’enorgueillit de titres
indépendants célèbres,
signale El País. Que ce soit le
canard pugiliste de Pato Box
ou les félins chapardeurs de
Kleptocats, qui s’exportent
bien. “Le Mexique est leader
sur le marché en Amérique
latine avec 55,8 millions de
gamers, qui dépensent plus
de 1 milliard de dollars par
an .” Pourtant, les Mexicains
ne consomment pas local,
et l’industrie vidéoludique
du pays souffre en outre
d’une fuite des cerveaux vers
les États-Unis. Un voisin
difficile à concurrencer
en raison de l’implantation
solide et ancienne des plus
grands studios du genre.