Courrier International - 10.10.2019

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Courrier international — n 1510 du 10 au 16 octobre 2019 360 o. 51


Le test des îles


Il serait tentant de croire que,
bien qu’ayant le pied marin,
les rats soient plus facilement
bannissables des îles. Mais
modifi er un écosystème n’a
rien d’anodin. Trois cas d’école.

LORD HOWE, AUSTRALIE
Les 350 habitants de la petite bande
de terre se déchirent sur la question
depuis vingt ans. Les autorités ont
fi nalement décidé de lancer cet été
une vaste campagne d’éradication,
rapporte The Guardian, mais
les tensions sont vives. Beaucoup
de témoignages recueillis sont
anonymes, à l’instar de celui
de ce gérant d’hôtel : “C’est vraiment
pas sympa en ce moment. On est
une petite communauté. Ça fait mal
de voir toute la colère et la méfi ance
que provoque cette question.”
Introduits sur l’île à la suite
d’un naufrage en 1918, les rats
sont responsables de la disparition
de plusieurs espèces d’oiseaux
et d’insectes. Si les scientifi ques
espèrent que l’opération permettra
le retour d’un type de phasme,
ils redoutent aussi l’impact
des boîtes remplies de “granulés
empoisonnés”, notamment sur
une espèce d’oiseau endémique
incapable de voler, le râle sylvestre.
La plus grande partie
de sa population est maintenue
dans une zone limitée de l’île
le temps de l’opération.

HAIDA GWAII, CANADA
Le problème semble sans fi n.
L’archipel de Haida Gwaii a fait l’objet
d’une telle opération de dératisation,
avec des largages de poison par
hélicoptère, que les îles Faraday
and Murchison ont pu être
offi ciellement proclamées délivrées
des rats. Mais après quatre ans de
lutte, entre 2011 et 2015, et un bref
répit, les rats sont de retour depuis
deux ans, déplore Hakai Magazine.
“Ce ne sont plus des rats noirs comme
ceux qui avaient été éradiqués, mais
de nouveaux envahisseurs : des rats
bruns, plus gros, plus agressifs.”
Diffi cile de savoir d’où viennent
ces nouveaux intrus. Les rats sont
de bons nageurs et ont pu “arriver
sur des morceaux de bois”, mais
les biologistes soulignent qu’ils
parcourent rarement de longues
distances. Ils se seraient déplacés
de proche en proche, suggérant
qu’il suffi t d’une seule île infestée
pour menacer tout un archipel.

LUNDY, ROYAUMEUNI
Bonne nouvelle : on peut chasser
les rats d’une île. En tout cas
si on en croit l’exemple britannique
de Lundy, avec sa trentaine
d’habitants, qui présente treize ans
de recul. Les chiff res relayés
par The Independent sont
encourageants : “La population
d’oiseaux de mer de Lundy a triplé en
quinze ans seulement, [et] le nombre
de puffi ns des Anglais, de macareux
et de guillemots a connu une
augmentation spectaculaire.” Suivre
l’évolution des populations d’oiseaux
est une bonne mesure de la présence
des rats, ces ennemis jurés
se régalant des œufs et poussins.
Dean Jones, le gardien offi ciel
des lieux, s’émerveille : “Pendant
les nuits de printemps, l’île
résonne du son de ces merveilleux
oiseaux [...]. Nous restons
vigilants pour que les rats
ne reviennent pas.”

AUSTRALIE
Canberra

1 000 km

Île
Lord
Howe

BRITANNIQUECOLOMBIE-

CANADA

300 km

Haida
Gwaii

PAYS DEGALLES

Lundy

Bristol

100 km

ANGLETERRE

C’EST LE NOMBRE DE RATS qui pourraient en théorie résulter, au bout
d’une année, de la grossesse d’une seule femelle. Le scénario est le suivant,
rapporte National Geographic : une rate met bas neuf ratons qui arrivent
à maturité sexuelle au bout de douze semaines et se reproduisent à leur tour,
et ainsi de suite. Ce nombre, impressionnant, est à utiliser avec précaution.
Il est fourni par Bobby Corrigan, un spécialiste de la lutte antirats, employé
comme consultant par plusieurs villes américaines. Il a tout intérêt à marquer
les esprits. Dans la réalité, si les portées peuvent aller jusqu’à 14 bébés,
le taux de reproduction des rats varie beaucoup au cours de l’année,
en fonction notamment de leur environnement.


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Le réchauff ement climatique rend ce projet d’autant
plus urgent. Les températures estivales particulièrement
élevées ont favorisé une exceptionnelle prolifération des
rats. La hausse du mercure les aide également à passer
l’hiver, affi rme James Russell, et donc à atteindre des den-
sités de population plus élevées l’été, ce qui entraîne des
infestations dans des zones jusqu’ici relativement épar-
gnées, comme le sud du pays.
De manière générale, les
espèces envahissantes pro-
fi tent du réchauff ement cli-
matique, qui leur off re de
nouveaux terrains de jeu
auparavant inaccessibles.
Au Royaume-Uni, un ou
deux degrés supplémen-
taires pourraient rendre le
pays très hospitalier pour
la fourmi d’Argentine, véri-
table destructrice d’éco-
systèmes. Les espèces
autochtones australiennes,
comme les opossums pyg-
mées et les wombats, sont plus que jamais menacées
par les envahisseurs, notamment les renards. Ailleurs,
on met à la disposition de la population des numéros
de téléphone ou des applis pour signaler les espèces
envahissantes. Mais au fur et à mesure que la planète se
réchauff e, il faudra fi nir par recourir à des campagnes
d’information et d’éradication de plus grande ampleur,
comme celles qui font la fi erté de l’Alberta.
—James Palmer
Publié le 31 mars

← Les Anderson,
un membre de
la patrouille antirats
en Alberta, en 1986.
Photo Calgary Herald/
Postmedia Network Inc.

↑ “Un bon rat est un
rat mort”, énonçait
un slogan de 1975 en
Alberta. Photo Provincial
Archives of Alberta, PA1581

↓ Dessin de Kopelnitsky,
États-Unis.
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