Les Echos - 07.10.2019

(Michael S) #1

LE
COMMENTAIRE


d’Agnès
Verdier-Molinié


Fiscalité des entreprises : le leurre de la baisse


D


epuis quelques années,
nous savons. Nous savons
que nos entreprises traînent
un boulet fiscal b eaucoup plus lourd
en France que dans les pays de la
zone euro. Depuis 2013 et la publica-
tion du rapport Gallois, le sujet est
admis et beaucoup d e décisions gou-
vernementales ont été prises pour
réduire cet écart. Du moins en appa-
rence. Dans la réalité, c’est plus
compliqué.
Ces efforts de baisse des prélève-
ments des entreprises, entre le crédit
d’impôt compétitivité et emploi, le
pacte de responsabilité et la baisse
amorcée du taux d’impôt sur les
sociétés, ont été évalués à une qua-
rantaine de milliards. En toute logi-
que, ces allégements devraient se
traduire par une baisse équivalente,
en part de PIB. Sauf qu’il n’en est
rien : entre 2012 et 2018, les impôts,
taxes et charges pesant sur les entre-

prises sont passées de 18,7 % du PIB
à... 18,4 %. L’écart avec les pays de la
zone euro s’est-il résorbé? Non. Sur
les 148 milliards de prélèvements
obligatoires supplémentaires qui
pèsent sur la France par rapport à la
moyenne européenne, plus de
136 milliards d’euros sont à la charge
de nos entreprises. Même en extour-
nant les crédits d’impôt, le surplus
reste de 100 milliards pour nos
entreprises tricolores. Soit un quart
des 431 milliards de prélèvements
obligatoires payés par nos entrepri-
ses. Que s’est-il donc p assé entre 2012
et 2018 pour que tous les efforts pour
améliorer la compétitivité de nos
entreprises disparaissent ainsi?
Une chose simple : la quasi-totalité
des baisses liée au CICE et au pacte
de responsabilité ont été avalées par
des hausses d’impôts sur la
main-d’œuvre, sur les outils de pro-
duction et par des hausses de cotisa-

d’un subtil jeu de bonneteau entre
les différents impôts. Alors que le
gouvernement vient de présenter le
projet de loi de finances pour 2020 et
d’annoncer 13 milliards d’euros de
baisses d’impôts sur les entreprises
sur la durée du quinquennat, le
point sur la baisse réelle des prélève-
ments sur les entreprises d’ici à 2022
n’est pas plus probant.
Quand on passe en revue les aug-
mentations et les diminutions pré-
vues des prélèvements sur les entre-
prises, avec une projection à horizon
2022, les mesures « parasitant » les
baisses affichées avalent aussi la
quasi-totalité des 13 milliards atten-
dus. A ce stade, on ne peut attendre
du quinquennat d’Emmanuel
Macron qu’une baisse nette de
2,5 milliards des prélèvements sur
les entreprises. Cela à condition de
considérer que le gouvernement
tiendra sa promesse d’atteindre

25 % de taux d’impôt sur les sociétés
en 2022 pour toutes les entreprises.
En effet, la baisse de l’IS actuelle va
être plus que compensée par une
augmentation des taxes sur les pro-
duits et sur la main-d’œuvre, des
impôts de production et par le rabo-
tage méticuleux des niches fiscales
et sociales entreprises (GNR, DFS,
CIR...). Quand le gouvernement
prendra-t-il vraiment ce sujet à bas-
le-corps sans faire semblant? Il est
plus que temps de faire vraiment
baisser les charges sociales entrepri-
ses et les taxes sur la production.
Mais pas de 2 ou 3 milliards d’euros!
Non, plutôt de 50 ou 60 pour booster
enfin la compétitivité de nos entre-
prises.

Agnès Verdier-Molinié est
directrice de la Fondation pour la
recherche sur les administrations
et les politiques publiques (iFRAP).

tions sociales. Les impôts de produc-
tion ont ainsi augmenté, sur la
période, de plus de 7 milliards, les
cotisations sociales de 30 milliards
et les impôts sur les produits de
10 milliards. Sans oublier une fisca-
lité écologique entreprises qui est,
elle, passée, de 20 à 25 milliards
d’euros. La plongée dans ces chiffres

permet de comprendre que nos
entreprises, loin de « cadeaux fis-
caux », souvent évoqués à tort, ont
été victimes, ces dernières années,

Nos entreprises
ont été victimes,
ces dernières années,
d’un subtil jeu
de bonneteau entre
les différents impôts.

La mécanique de l’épargne tourne à l’envers


Jean-Marc Vittori
@jmvittori


Et si la baisse des taux d’intérêt
encourageait l’épargne?
Cette proposition ne vous paraît
peut-être pas choquante. Après
tout, c’est bien ce qui se passe
aujourd’hui. Les Français épar-
gnent plus de 15 % de leurs revenus,
un niveau historiquement très
élevé, alors que cette épargne ne
rapporte pratiquement plus rien.
Le livret A dépasse les 300 milliards
d’euros d’encours, alors qu’il ne rap-
porte que 0,75 % d’intérêts (moins
que l’inflation), et que la baisse de ce
taux est d ans l es tuyaux. E n Allema-
gne, le mouvement est encore plus
fort. Mais pour maints économis-
tes, cette proposition est profondé-
ment troublante. La première leçon
d’économie, au moins chez les
Anglo-Saxons, c’est que la baisse
d’un prix stimule la demande et
pèse sur l’offre. Si le kilo de carottes
vaut moins cher, les acheteurs vou-
dront en acheter davantage mais les
agriculteurs en planteront moins.
La deuxième ou troisième leçon
bascule le raisonnement dans la
finance. Si le taux d’intérêt baisse,
les entreprises voudront emprun-
ter davantage p our i nvestir, mais l es
épargnants mettront moins d e côté.
Si l’argent ne rapporte rien, autant
le dépenser. Et même le plus vite
possible s’il est soumis à une taxe


nommée taux négatif. Sauf que c’est
l’inverse qui se passe aujourd’hui.
Alors que les taux sont extraordi-
nairement bas, la Suède, l’Allema-
gne, la France, la Belgique, l’Autri-
che, la Suisse et l’Australie ont un
taux d’épargne anormalement
élevé, selon les calculs de Patrick
Artus, l’économiste en chef de la
banque Natixis.
Aujourd’hui, les taux d’intérêt
semblent donc tourner à l’envers.
C’est un peu comme si les physi-
ciens découvraient soudain que les
pommes détachées de l’arbre mon-
taient au ciel au lieu de s’écraser.
Renonçant à leurs certitudes
passées, certains économistes c her-
chent à comprendre. Voici leurs
premières pistes.
D’abord, le taux d’intérêt ne
détermine pas seulement le choix
entre épargne et consommation. Il
détermine aussi ce que rapportera
cette épargne. Un « effet revenu »
auxquels sont très sensibles les
particuliers ayant leur retraite en
ligne de mire. Comme ils veulent
préserver leur futur niveau de vie,
« quand les taux d’intérêt sont plus
bas, ils épargnent plus et non moins.
Des taux plus bas font baisser la
demande », suppose dans un tweet
Olivier Blanchard, l’ancien écono-
miste en chef du FMI. Cette mécani-
que semble à l’œuvre en Allemagne
du côté des entreprises. Elles accu-
mulent en effet des provisions pour

payer les pensions de leurs futurs
retraités. Suite à la baisse des taux
d’intérêt, un quart des entreprises
de plus de 1.000 salariés ont dû
réduire leurs investissements pour
regonfler c es provisions, soulignent
Sarah Limbach et Marion Amiot,
deux économistes de l’agence de
notation Standard & Poors. La
baisse des taux fait bien baisser la
demande.
Cet « effet revenu » est moins
convaincant du côté des jeunes.
D’où une deuxième explication
avancée par Michala Marcussen,
l’économiste en chef de la Société
Générale. Avec des taux d’intérêt
plus élevés, il pouvait y avoir arbi-
trage entre location et achat d’un
logement. Le locataire payait
moins cher et investissait dans des
placements financiers. Avec des
taux ridiculement bas, ce choix a
disparu. La priorité pour les jeu-
nes, c’est alors d’épargner davan-
tage pour constituer leur apport
personnel.
La troisième explication est de
celles dont les économistes raffo-
lent même si elle repose sur des
hypothèses hallucinantes. Stephen
Williamson, un ancien économiste
de la Réserve fédérale de Saint-
Louis, imagine ainsi « un monde
dans lequel il n’y a aucune incerti-
tude et où tout le monde sait ce que
sera la future inflation ». Dans ce
cas, une baisse des taux par la ban-

que centrale conduit les consom-
mateurs à anticiper une baisse des
prix, les incitant à reporter leurs
achats et donc à épargner en atten-
dant. Un scénario imaginé par un
économiste américain de la pre-
mière moitié du XXe siècle, Irving
Fisher, d’où l’étiquette de « néo-fis-
hérien » – même si Fisher l’a ensuite
réfuté.
Ce scénario pose deux problè-
mes politiques. D’une part, le seul
gouvernant qui ait semblé y croire
est le président turc Recep Erdogan.
« Si vous n’abaissez pas des taux
d’intérêt élevés, alors l’inflation éle-
vée ne baissera pas », affirmait-il en
juin dernier. Mais il n’incarne pas
précisément une politique écono-
mique exemplaire.
D’autre part, ce scénario induit
une politique monétaire auda-
cieuse. Pour soutenir la demande et
faire baisser l’épargne, il faudrait
augmenter les taux d’intérêt et non
les réduire encore, comme le font
nombre de banques centrales. Sur
des marchés où la dette n’a jamais
été aussi élevée, où les investisseurs
adorent jouer la nervosité pour
faire pression sur les autorités
monétaires, il paraît peu probable
que les banquiers centraux
s’engagent dans pareille voie. Du
moins tant que les économistes
n’ont pas apporté d’arguments plus
définitifs pour dissiper les mystères
de l’épargne.n

L’ANALYSE
DE LA RÉDACTION
Normalement, les taux
d’intérêt très bas
devraient décourager
une épargne qui
ne rapporte plus rien.
Mais c’est le contraire
qui se produit.
Premières explications
de cette inversion
déconcertante.

Boll pour « Les Echos »

D
Les points à retenir


  • Il est difficile d’expliquer
    pourquoi les Français
    épargnent plus de 15 %
    de leurs revenus alors que
    ces placements ne rapportent
    quasiment rien.

  • Il semble, pour ceux qui ont
    leur retraite en ligne de mire
    et veulent préserver leur
    niveau de vie, que le taux
    d’intérêt ne détermine pas
    le choix entre épargne
    et consommation.

  • Pour les jeunes, la priorité
    est d’épargner pour constituer
    un apport personnel
    nécessaire à l’achat
    d’un logement.

  • Pour soutenir la demande
    et faire baisser l’épargne,
    il faudrait augmenter les taux
    d’intérêt, ce à quoi les banques
    centrales ne semblent pas
    disposées.


10 // Lundi 7 octobre 2019 Les Echos


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