Les Echos - 07.10.2019

(Michael S) #1

J


amais la question du
management
multigénérationnel n’a été
autant d’actualité. D’un côté, un
monde qui bouge tellement vite qu’il
paraît logique de faire appel à la
génération qui monte pour des
postes de responsabilité. De l’autre,
l’allongement de la durée de vie au
travail va rendre banal le travail
après 65 ans. Ajoutons une
particularité de notre époque qui
n’est jamais arrivée dans l’histoire
du travail : dans certains domaines,
les jeunes sans expérience sont plus
compétents que leurs aînés aux
décennies de pratique.
Ce qui pourrait paraître un facteur de
complexité devrait au contraire
faciliter le jeu relationnel entre les
générations. En effet, cette nouvelle
répartition des compétences crée une
complémentarité qui équilibre les
échanges. La nouvelle génération est
la mieux à même d’adapter
l’environnement professionnel aux
évolutions sociétales qu’elle vit et
encourage. Elle pousse à la créativité,
au changement, elle remet en cause
les fonctionnements antérieurs. Face
à elle, les acteurs plus matures ont
développé une compétence dans les
aptitudes comportementales ou soft
skills. Ils ont appris à décoder les
individus et leur jeu relationnel. Cela
ne leur est pas seulement utile en
management mais aussi en
négociation ou en structuration des
organisations. Sur la stratégie,
l’expérience est utile mais elle peut
aussi enfermer la vision du futur à
partir du passé. C’est un domaine où
la complémentarité des générations
pourrait être mise à profit pour
aboutir à... l’expérience enrichie du
souffle du futur. Mais pour que la
complémentarité fonctionne, il est
nécessaire que chacun reconnaisse à
l’autre des compétences que lui-
même n’a pas.

Adaptation et rémunérations
Il reste deux sujets essentiels pour
que les générations interagissent de
façon constructive. La première est
que le parcours des managers leur
permette d’entretenir leur souplesse
adaptative. Car si l’expérience doit
se traduire par des certitudes et de
la rigidité, elle pourrait ne pas avoir
une grande utilité. L’autre enjeu est
la rémunération. Il devient de plus
en plus intolérable pour les acteurs
dans la force de l’âge qui se donnent
à plein pour leur travail, de
constater que leurs anciens qui ne
sont plus au même rythme sont
beaucoup mieux payés. Nos
organisations seront de moins en
moins hiérarchisées et il sera donc
moins acceptable que l’ancienneté et
le grade justifient des écarts de
rémunération. Ces écarts devront
refléter le niveau de contribution. A
l’évidence, la courbe de la
rémunération va devoir passer de la
droite ascendante à la cloche.
Créer les conditions de l’intelligence
collective avec des équipes
multigénérationnelles ne va pas de
soi. C’est évidemment un enjeu
majeur. Cela suppose de poser les
bases d’une culture qui aide les
acteurs à sortir de leurs stéréotypes
et à accepter une remise en cause.
C’est la toute première étape de la
diversité. Elle ne fonctionne que si
chacun est persuadé que les points
de vue différents du sien sont, par
essence, intéressants, qu’il se met en
condition de les écouter et d’en tenir
compte. Ecouter et considérer que
les avis divergents enrichissent est
d’autant plus difficile que c’est à
contre-courant de ce que l’on
constate de l’évolution sociétale.n

S’écouter les


uns les autres


ERIC ALBERT
Associé-
gérant d’Uside

ARRÊT SUR SOI


faire entrepreneurs et se mettre en mou-
vement », considère Régis Blugeon, DRH
France et directeur des affaires sociales
du groupe Saint-Gobain. Pour atteindre
ces objectifs, les entretiens annuels ne
suffisent plus. Ce qui importe, c’est
surtout de procéder à des échanges
réguliers avec tous ces X et de ne pas les
oublier lors des formations. D’ailleurs,
les diplômes universitaires visent de
plus en plus ces salariés dont l’expé-
rience ne demande souvent qu’à être
valorisée. « Dans un grand groupe, on
peut changer de terrain de jeux. Il faut
donc les aider à passer d’un emploi à un

autre s’ils le veulent », explique Régis
Blugeon.
Airbus, connu pour sa culture du lea-
dership assez forte, a développé une
Leadership University à Toulouse. Cette
plate-forme mondiale propose des
solutions sur-mesure de développement
et d’apprentissages innovants. Elles
concernent les leaders du groupe,
actuels comme futurs, et toutes les
fonctions et échelons, de la direction à
la production. Plus de 20.000 employés
par an ont accès à un large éventail de
cours, de conférences, d’ateliers de
groupe et d’événements. Le dialogue

entre générations fait aussi, bien
entendu, partie du programme, même
s’il est toujours difficile de catégoriser
les salariés.

... et la reconnaissance multiforme
Cependant, l’évolution de carrière peut
aussi être horizontale. L’entreprise a
besoin d’une diversité de profils, pas
uniquement de managers. « La recon-
naissance peut prendre la forme de pro-
motions, mais surtout de projets, de
perspectives et de responsabili-
tés », reconnaît Birgit Ponnath. Comme
toute génération, mais encore plus
parce que les X sont souvent un peu
déboussolés par les virages pris en
matière de parité et de transformation
numérique, ces salariés ont un fort
besoin de valorisation. « Ils ont une
maturité incontestable et aiment tra-
vailler en équipe. Ils peuvent aider à la
pleine intégration des nouvelles généra-
tions », décrypte Jacques Menicucci,
directeur général délégué d’Allios.
Avec leurs expériences, leurs connais-
sances de la relation client et leur
réseau interne souvent fourni, ces qua-
dras et quinquas disposent d’un réel
avantage compétitif. Tous les métiers de
l’entreprise ne changent pas du jour au
lendemain et leur savoir-faire s’avère
précieux. Sans compter que nombre de
« digital seniors » montent aussi en
puissance, s’accordent à dire certains
DRH. Une fois adaptés à un style de
management perçu comme plus colla-
boratif pour répondre aux besoins de
4 générations, les X s’avèrent « porteurs
de principes, d’engagement et de
loyauté », insiste Régis Blugeon. Dans
les grands groupes, ils ont aussi souvent
lancé des mesures de sécurité et de
santé au travail, qui ont abouti à une
meilleure considération du bien-être et
de l’équilibre des vies professionnelle et
privée.n

Delphine Iweins
[email protected]


I


ntercalés entre les baby-boomeurs
et les millennials, les « X » – sont
ainsi désignés les quadras et quin-
quagénaires – composent une généra-
tion tampon, prise en étau entre deux
visions de l’organisation. « Ils ont connu
la vie d’avant, grâce à ceux qui sont sur le
point de partir à la retraite et voient
d’autres arriver. Le challenge repose sur
cette génération qui doit s’adapter à son
environnement et être plus agile », cons-
tate Birgit Ponnath, directrice du recru-
tement, de la formation et des compéten-
ces d’Airbus commercial. Chez Airbus
d’ailleurs, 45 % des 130.000 collabora-
teurs font partie de cette génération.
Ailleurs, chez Saint-Gobain, ils représen-
tent 40 % des 43.000 salariés, à l’image
du paysage dressé des actifs du pays.


Miser sur la formation...
Tous ces salariés sont facteurs de cohé-
sion, porteurs de la culture de l’entre-
prise et souvent situés au cœur de la
conduite du changement de l’organisa-
tion. Mais « les codes ont évolué plus vite
que leur carrière. En conséquence, les X
doivent se transformer, apprendre à se


Relais puissant entre les plus âgés


et les plus jeunes encore trop


négligé par les entreprises,


la génération X doit continuer


à se former et à se projeter.


La génération X, garante


de la culture d’entreprise


PROFILS


.../... Pour eux, l’autorité n’est pas liée au
titre, mais bien aux actes qui forceront,
ou non, leur respect. Sans tomber
dans un rapport totalement horizontal,
les niveaux hiérarchiques sont, de leur
point de vue, moins pertinents. En
occupant, pour certains, de nouveaux
métiers, ils disposent de compétences
nouvelles qui leur confèrent une cer-
taine forme de pouvoir... « Mais le rap-
port à la productivité doit aussi être
appris par ceux qui ont un vrai savoir-
faire. Une entreprise doit être profitable
et cela ne changera pas. », considère
Jean-Yves Boulin.
Pour éviter tout antagonisme, les entre-
prises ont donc intérêt à stimuler le
partage d’expériences entre les généra-
tions, en veillant à ce que les seniors ne
se transforment pas en donneurs de
leçons. Les X, souvent managers, ont en
cela encore besoin d’apprendre davan-
tage d’une méthode plus collaborative.
Individuellement, ils savent qu’ils sont
reconnus pour leur parcours, les entre-
prises doivent maintenant les pousser à
partager. « L’humain est la clef de toute
réussite collective. Si les entreprises n’ont
pas la volonté de créer un lien, il y aura
un problème », insiste Jacques Meni-


cucci, président de la Fédération des
industries des peintures, encres, cou-
leurs, colles et adhésifs, préservation du
bois (Fipec).

4


SALAIRE
Les seniors ont connu de belles
années, des grilles salariales attrayantes


  • depuis dénoncées – qui les ont souvent
    décidés à rejoindre telle ou telle entre-
    prise et ils ne veulent pas voir leur
    rémunération diminuer. Or le salaire est
    « le » point sensible qui peut semer la
    zizanie dans une équipe intergénéra-
    tionnelle. Le sujet risque d’être d’autant
    plus épineux, dans les années à venir,
    que l’idée d’une courbe des salaires « en
    cloche », c’est-à-dire évoluant avec l’âge,
    fait son chemin dans certains cercles,
    sur fond de réforme des retraites. Le
    modèle implique une réduction du
    salaire en fin de vie professionnelle...
    Des compensations autres que monétai-
    res pourraient alors être proposées,
    telles que des temps partiels, des forma-
    tions ou encore des possibilités élargies
    de télétravail, voire de mutations géo-
    graphiques.
    Réduction des coûts oblige, les Y et Z
    n’ont pas connu d’âge d’or salarial, et
    doivent, la plupart du temps, se conten-
    ter – sauf pour les profils très spéciali-
    sés – de salaires plus modestes que ceux
    de leurs aînés. Pourtant, le levier pécu-
    niaire que les entreprises ont eu l’habi-
    tude d’utiliser comme outil de motiva-
    tion durant des décennies semble moins
    efficace sur eux. D’aucuns sont même
    prêts à troquer une partie de leur rému-
    nération contre une fonction dotée de
    plus de sens et d’impact. Pour les encou-
    rager, et les fidéliser, les sociétés peu-
    vent, par exemple, les intéresser directe-
    ment à leur réussite via des mécanismes
    d’equity package. Un procédé courant
    chez les start-up.


5


CONDITIONS DE TRAVAIL
Des bureaux individuels fermés et
même pas vitrés, du tabac à satiété – y
compris pour les non-fumeurs! –
l’ouverture des espaces de travail à
partir des années 1980, sans parler des
lourds outils informatiques de l’ère
avant-numérique, les seniors ont vécu la
révolution des pièces et des postes de
travail. Réputés moins attentifs que
leurs cadets aux agencements de
bureaux, ils attendent en revanche,
comme eux, qu’il règne dans l’entreprise
une saine ambiance relationnelle. Lors
des ateliers qu’il mène avec différentes
générations, le consultant expert Marc
Raynaud a ainsi identifié trois constan-
tes constitutives de bonnes conditions
de travail : être respecté par le manage-

ment, entretenir de bons rapports avec
ses pairs et avoir son mot à dire sur les
décisions prises.
Parce qu’ils sont ancrés au cœur de leur
quotidien, les jeunes ne comprennent
pas que les outils numériques puissent
rester à la porte des entreprises et ne
leur offrent pas plus de souplesse dans
leur organisation. Négociation des
horaires, télétravail, lutte contre le
présentéisme sont autant de revendica-
tions des Y et des Z. Ces générations
portent aussi une attention particulière
à leur environnement de travail qu’ils
veulent le plus agréable possible. Là
aussi, les X ont été précurseurs en
veillant à la bonne santé et sécurité des
salariés, transformé avec le temps
en bien-être.n

Souvent un peu déboussolés par les virages pris en matière de parité et de transfor-
mation numérique, ces salariés ont un fort besoin de valorisation. Photo Shutterstock

Et si vous en
atteigniez l'apogée
sur le tard?

L’exemple des « late
bloomers » sur
echo.st/m331172

36 // EXECUTIVES Lundi 7 octobre 2019 Les Echos


Les Y et Z n’ont pas
connu d’âge d’or
salarial, et doivent,
la plupart du temps,
se contenter


  • sauf pour les profils
    très spécialisés –
    de salaires plus
    modestes que ceux
    de leurs aînés.

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