2019-08-09_50_Yam (1)

(Ben Green) #1
36 Parole donnée

Le processus de création est donc assez lent
pour vous...
Oui, nous prenons notre temps en
faisant et refaisant inlassablement les
recettes jusqu’à atteindre un résultat qui
nous plaît vraiment. Nous ne sommes
pas pressés, et il nous faut parfois 2 à 3
ans avant qu’un plat arrive sur la carte.


Concrètement, comment se passe la création?
Elle se fait en 4 temps. Le premier acte
est instinctif. Comme un premier test
grandeur nature : nous servons une
nouvelle recette à nos clients habitués.
Ces derniers séjournent longtemps à
l’hôtel, nous avons donc une affection
particulière pour eux et avons envie
de leur offrir des plats qui ne sont pas
sur la carte. Ces clients, dotés d’une
très grande culture gastronomique, ont
la gentillesse d’être honnêtes envers
moi. En fonction de leurs retours, nous
ajustons la recette avant de la servir
à d’autres clients, que je connais bien
aussi et en qui j’ai entière confiance.
Je sais qu’ils n’hésitent pas à me dire
les choses comme ils les pensent. Nous
profitons ensuite de la phase hivernale
pour sourcer les bons produits,
rencontrer les producteurs, afin de
garantir une régularité dans la qualité.
Vient enfin la phase de la conception


finale de l’assiette, avec le choix du
contenant, du dressage.

Justement, vous accordez un soin tout
particulier aux arts de la table...
Selon moi, le contenu est primordial
dans l’accord parfait du plat. Je calcule
souvent le poids des produits, pour
ensuite définir le diamètre d’une
assiette, sa forme... Certains choix
peuvent être beaux à l’œil mais perdre
en efficacité en bouche. Moi, je cherche
le volume et l’harmonie. Nous servons,
par exemple, la sériole dans une cuillère.
Si nous avions choisi une assiette plate,
nous n’aurions pas forcément obtenu la
même amplitude de gourmandise.

Aimez-vous le terme de « plat signature »?
Je comprends cette expression, elle
me paraît nécessaire. Si les tables
gastronomiques poussent l’audace
et la créativité, elles doivent aussi
rassurer. Lorsqu’un client fait 1 000
ou 2 000 kilomètres pour venir chez
nous, nous n’avons pas le droit de
créer la déception. Les plats signatures
sont là en tant que référents. Ce qui
ne veut pas dire qu’on doit les laisser
vieillir ; bien au contraire, ils doivent
évoluer avec nous... Ceci dit, ce qui
m’intéresse, ce ne sont pas nos plats

signatures, ceux qui sont appréciés
par les clients, ceux dont on parle. Au
contraire, je dis à ma brigade qu’il faut
se pencher sur les plats pour lesquels il
n’y a jamais de retours... et qui doivent
donc être retravaillés.

Comment faire évoluer un plat signature?
Nous gardons toujours sa trame, son
âme, mais en continuant à le rendre
actuel. Rien n’est gravé dans le marbre.
J’ai été un des premiers à servir de la
liche de Méditerranée. Peu à peu, nous
avons évolué vers de la liche ikejime
avec l’envie d’avoir une réflexion
toujours plus poussée. Le dressage
a aussi évolué en quatre ans, il est
aujourd’hui plus sensuel.

Parlez-nous de votre saint-pierre...
J’ai construit ce plat avec l’idée de
combiner un poisson extrêmement iodé
pour évoquer une certaine profondeur
de la mer avec les légumes de Yann
Ménard, notamment ses poireaux
et ses pommes de terre qui poussent
dans une terre contenant du sable des
plages voisines. Le saint-pierre est rôti
sur algues, puis retourné, de l’eau de
mer et des algues sont alors ajoutées,
juste à hauteur, pour le laisser cuire
naturellement.
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