Le Monde - 19.09.2019

(Ron) #1

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PLANÈTE


JEUDI 19 SEPTEMBRE 2019

0123


Plaidoyer pour une relance de la taxe carbone


Dans un rapport, le Conseil des prélèvements obligatoires défend l’utilité de cet outil fiscal controversé


C


omment redonner vie à
la taxe carbone, ou assu­
rer « les conditions de la
relance de la fiscalité car­
bone », comme le formule le
Conseil des prélèvements obliga­
toires (CPO)? Dans un rapport pu­
blié mercredi 18 septembre, cette
institution, associée à la Cour des
comptes et chargée « d’apprécier
l’évolution et l’impact économique,
social et budgétaire de l’ensemble
des prélèvements obligatoires », a
évalué l’outil fiscal en lien avec les
questions environnementales et
énoncé quelques propositions.
L’exercice n’est pas neutre, puis­
que le projet de loi de finances
2020 est en pleine construction – il
doit être discuté par le Parlement
et adopté avant la fin de l’année –,
et que l’urgence du défi climatique
est plus que jamais d’actualité,
selon deux nouveaux modèles
produits par des scientifiques
français et présentés mardi. Sur­
tout, ces travaux du CPO ont été
conduits alors que la taxe carbone
a été le déclencheur de la contesta­
tion des « gilets jaunes ».

Instrument « autonome »
Le gouvernement ne s’y est
d’ailleurs guère trompé, préférant
renvoyer ce dossier sensible à la
discussion de la convention ci­
toyenne : 150 citoyens tirés au sort
pour aborder, d’ici au début de
2020, les questions liées à la mise
en œuvre de la transition écologi­
que, puis faire des propositions. La
ministre de la transition écologi­
que et solidaire l’a confirmé le
3 septembre sur Radio Classique,
interrogée sur la relance d’une
hausse de la taxe carbone – aban­
donnée par le gouvernement de­
vant le mouvement des « gilets
jaunes ». « Le gouvernement a pris
la décision de ne pas poursuivre la
trajectoire de la fiscalité qui était
prévue en 2018, a réagi Elisabeth
Borne. On ne prendra pas de déci­
sion sans avoir écouté les Français,
c’est une proposition qui pourra ve­
nir de la convention citoyenne. »
Dans un tel contexte, la proposi­
tion du CPO de « reprendre une
trajectoire de fiscalité carbone »
semble rompre avec l’attentisme
gouvernemental. Mais, pour les
auteurs du rapport, intitulé « La
fiscalité environnementale au
défi de l’urgence climatique »,
cette reprise ne peut se faire qu’en
la conditionnant à plusieurs fac­
teurs essentiels pour en assurer
« l’acceptabilité ». Le rejet de la taxe
carbone par une grande partie de
la société, dont ses secteurs les

plus vulnérables au niveau écono­
mique, a défini de nouveaux im­
pératifs, dans le cadre d’un « con­
sentement à l’impôt dégradé ».
Avant de détailler leurs proposi­
tions, les auteurs rappellent la
complexité qu’il y a à définir le
champ précis de cette fiscalité. Il
s’agit d’un « vaste ensemble hété­
rogène, regroupant une quaran­
taine d’impôts, pour un rende­
ment total de 56 milliards d’euros
en 2018 », et représentant moins
de 5 % des prélèvements obliga­
toires. Le détail des outils fiscaux
entrant dans le champ de cette
fiscalité « verte » fait apparaître
que dix d’entre eux portent sur
l’énergie, dix­huit sur les trans­
ports et le même nombre sur la
pollution et les ressources.
La taxe carbone, qui aurait per­
mis de récolter quelque 9 mil­
liards d’euros en 2018, est l’un des
outils les plus emblématiques de
cette fiscalité et l’instrument le
plus à même de lutter contre le ré­

chauffement climatique en s’atta­
quant directement aux émissions
de CO 2. « La fiscalité de carbone vise
à inciter les agents économiques à
adopter de nouveaux comporte­
ments de consommation ou de
production. Elle accroît ainsi le prix
des carburants et des combustibles
fossiles (charbon, gaz naturel, pé­
trole) afin d’en dissuader l’usage »,
précise le rapport du CPO.
Mais, pour être efficace et donc
appliquée – on se rappelle l’aban­
don de l’écotaxe pour les poids
lourds par la ministre Ségolène
Royal après la colère des « bonnets
rouges » de l’automne 2013 –, cette
fiscalité carbone doit être juste.
Elle ne peut pas peser plus lourde­
ment sur les ménages modestes,
d’autant que les solutions de subs­
titution, comme le changement
d’un véhicule pour un modèle
plus propre ou le remplacement
d’une chaudière, sont « considé­
rées comme peu accessibles ». Juste,
efficace et transparente quant à

son affectation. Le CPO note que
l’usage du produit de cette taxe
doit être porté à la connaissance
du public. Il suggère aussi de « faire
de la composante carbone un ins­
trument fiscal autonome en la dis­
tinguant, voire en la dissociant, de
la fiscalité énergétique », dans la­
quelle elle est, jusque­là, noyée.

Cadre international
Il faut également mieux articuler
cette fiscalité avec les autres outils
de politique environnementale,
notamment les instruments ré­
glementaires. Proposition est
aussi faite de procéder à l’« élargis­
sement de l’assiette de la fiscalité
carbone », en vue de toucher l’en­
semble des consommations fossi­
les. Dans le collimateur, les exemp­
tions du transport aérien et mari­
time, les taux réduits appliqués au
gazole non routier, etc. Cette fisca­
lité doit par ailleurs s’inscrire dans
un cadre international, européen
d’abord, en matière notamment

de taxation de l’énergie ou de nor­
mes de protection commerciale.
La fiscalité environnementale
n’a pas fini de faire parler d’elle.
Dans les semaines à venir, de
nombreux documents y seront
consacrés. Le ministère de la tran­
sition écologique et solidaire doit
publier, début octobre, un « jaune
budgétaire » – annexe informative
envoyée au Parlement en début de
discussion budgétaire – recensant
les dépenses et recettes des dé­

En Australie, les feux de brousse sévissent plus tôt que prévu


Coïncidant avec l’arrivée du printemps dans l’hémisphère Sud, les incendies mettent le pays face à ses responsabilités climatiques


sydney ­ correspondance

L


a saison des feux de forêts
s’est invitée à l’avance dans
le sud­est de l’Australie avec
plus de 250 000 hectares de bush
en proie aux flammes et une qua­
rantaine de propriétés détruites
depuis début septembre, coïnci­
dant avec l’arrivée du printemps
dans l’hémisphère Sud. Des re­
cords de températures et une sé­
cheresse qui perdure rendent l’île­
continent particulièrement vul­
nérable aux départs de flammes.
« Cette année, la saison des feux
de brousse a démarré en hiver, soit
deux mois plus tôt qu’à l’accoutu­
mée. Les conditions sont sans pré­
cédent à l’entame du printemps.
Les pompiers expérimentés affir­
ment n’avoir jamais rien vu de tel »,
déplore le Dr Joelle Gergis, climato­
logue à l’Université nationale aus­
tralienne (ANU, Canberra). « C’est
extrêmement inhabituel d’enregis­

trer de telles conditions climati­
ques propices aux incendies, si ex­
trêmes et si étendues, aussi tôt
dans l’année. Plus alarmant en­
core, ces feux se déclarent dans des
zones subtropicales et côtières qui
ne s’enflamment pas normale­
ment », constate celle qui a contri­
bué au sixième rapport du Groupe
d’experts intergouvernemental
sur l’évolution du climat (GIEC).
Les alertes se sont multipliées
depuis début septembre dans les
Etats de Nouvelle­Galles du Sud et
du Queensland ainsi que, dans
une moindre mesure, dans le Ter­
ritoire du Nord aux abords de
Darwin. Plus de 56 000 hectares
de bush ont brûlé dans le Queens­
land, et 17 foyers ont été détruits
depuis le 1er septembre, les flam­
mes imposant la semaine passée
l’évacuation de 400 personnes. En
Nouvelle­Galles du Sud, les incen­
dies ont détruit 222 000 hectares à
ce stade. « Une superficie énorme

alors que le périmètre des
deux feux principaux que nous de­
vons contenir représente environ
1 000 kilomètres, soit la distance
entre Sydney et Brisbane », les capi­
tales des deux Etats, souligne l’ins­
pecteur Ben Shepherd, des servi­
ces d’incendie de Nouvelle­Galles
du Sud. « Nous n’observons de tels
feux que lors des journées très
chaudes d’été, cela présage d’une
saison très longue et très soute­
nue », craint­il. Les perspectives du
Centre de recherche coopératif sur
les feux de brousse et les dangers
naturels tablent sur un potentiel
d’incendies au­dessus de la nor­
male au cours des mois prochains.
La saison des incendies, d’octo­
bre à mars dans le sud­est du pays,
promet dès lors d’être particuliè­
rement féroce : « La deuxième an­
née la plus chaude jamais enregis­
trée par l’Australie a asséché le pay­
sage, transformant des forêts tro­
picales généralement humides en

carburant dans des conditions de
feux de brousse catastrophiques »,
explique le Dr Gergis, qui s’alarme
de voir partir en fumée d’ancien­
nes forêts pluviales subtropicales
dont certaines espèces pour­
raient ne pas survivre, notam­
ment dans le parc national de La­
mington, dans le Queensland.

Politique « inadéquate »
Les records de chaleur s’accumu­
lent en Australie avec un été 2018­
2019 qui a dépassé d’un degré les
températures maximales enre­
gistrées en 2012­2013. La séche­
resse est déclarée sur la quasi­to­
talité des territoires de la Nouvel­
le­Galles du Sud (98 %) et une
grande partie du Queensland
(65 %), si bien qu’une douzaine de
villes rurales pourraient connaî­
tre des pénuries d’eau d’ici à la fin
de l’année, exacerbant la pres­
sion sur cette ressource indispen­
sable aux pompiers.

L’arrivée précoce des « bush fi­
res » a remis le réchauffement cli­
matique au premier plan en Aus­
tralie, un des pays développés les
plus vulnérables au bouleverse­
ment. Le premier ministre, Scott
Morrison, a visité des zones sinis­
trées vendredi dans l’arrière­pays
de la Gold Coast (Queensland) et
reconnu que le changement cli­
matique était « un des facteurs liés
aux incidents ». Il a assuré que son
gouvernement allait continuer à
agir en faveur du climat. Pourtant,
les émissions de CO 2 du pays n’ont
cessé d’augmenter ces dernières
années, l’ONU pointant que l’Aus­
tralie risquait de faillir à ses enga­
gements en vertu de l’accord de
Paris. Le premier ministre conser­
vateur brillera en outre par son ab­
sence lors du sommet spécial de
l’ONU sur le climat fin septembre,
son pays n’ayant pas l’intention de
présenter des plans renforcés en la
matière, rapporte The Guardian.

La politique climatique austra­
lienne est « extrêmement inadé­
quate, d’autant plus au regard de
notre vulnérabilité au changement
climatique », s’insurge Joelle Ger­
gis. A politique inchangée, « les
projections misent sur une aug­
mentation de 4 °C des températu­
res moyennes dans tout le conti­
nent d’ici à la fin du siècle. Cela va
rendre notre climat encore plus ex­
trême ; nos sécheresses et nos va­
gues de chaleur sont de plus en plus
intenses et notre saison des feux de
forêts s’étend désormais à l’hiver! »,
s’alarme la climatologue, qui siège
au conseil climatique australien.
Après « l’effondrement catastro­
phique » de l’écosystème de la
Grande Barrière de corail (nord­
est), « nos anciennes forêts pluvia­
les sont désormais en feu, ce que je
n’arrive toujours pas à croire, dé­
plore la scientifique. Cela me fait
vraiment craindre ce que le futur
nous réserve. » – (Intérim.)

Le rapport
propose d’élargir
l’« assiette de la
fiscalité carbone »
pour toucher
l’ensemble des
consommations
fossiles

penses publiques favorables au
climat. Fin septembre, l’inspec­
tion générale des finances remet­
tra, elle, un document sur la mé­
thodologie pour évaluer le budget
de l’Etat sur ses dépenses favora­
bles et défavorables au climat.
Un angle choisi aussi par I4CE,
l’Institut de l’économie pour le
climat, qui doit présenter, le
1 er octobre, deux rapports, l’un sur
« l’évaluation climat du budget »,
l’autre sur le « panorama des fi­
nancements climat », qui identi­
fie les investissements en France
par secteur d’activité. De quoi re­
lancer une taxe carbone « new
look », « cohérente avec les autres
outils fiscaux et, surtout, adaptée
aux réalités territoriales et socia­
les, loin d’une approche technocra­
tique et centrale façon Bercy », pré­
cise Raphaël Trotignon, cher­
cheur à la chaire d’économie du
climat (université Paris­Dau­
phine) sur la tarification du CO 2 .
rémi barroux
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