Le Monde - 18.09.2019

(Ron) #1

10 |


FRANCE


MERCREDI 18 SEPTEMBRE 2019

0123


Immigration, sécurité : 


Macron monte au front


A six mois des élections municipales,


le chef de l’Etat a remobilisé sa majorité,


lundi soir. Au risque de la froisser,


il a confirmé sa volonté de vouloir


« regarder en face » les questions


régaliennes, un « enjeu social », selon lui


E


mmanuel Macron l’a encore ré­
pété aux élus de sa majorité qui
étaient réunis, lundi 16 sep­
tembre, dans les jardins du mi­
nistère des relations avec le Par­
lement : il faut « préparer notre
pays aux défis contemporains qui font peur ».
Et, à écouter le président de la République
depuis plusieurs semaines, l’immigration
sera un des principaux enjeux de ce travail
politique.
Le locataire de l’Elysée est convaincu de
l’importance des sujets dits régaliens – immi­
gration et sécurité en tête – dans l’agenda de
la deuxième partie de son quinquennat. Et,
donc, de la prochaine élection présidentielle.
M. Macron assure en conséquence vouloir
« regarder en face » ces questions et ne pas se
cantonner aux seuls dossiers de la rentrée
que sont les retraites, l’écologie ou la bioéthi­
que. Au risque de froisser sa majorité, et de
placer son premier ministre, Edouard Phi­
lippe, sur le reculoir.
Remonté contre les « distorsions » du droit
d’asile, le chef de l’Etat a revendiqué devant
les parlementaires, lundi soir, le fait d’en­
fourcher le sujet de l’immigration au nom
des « classes populaires ». « La question est de
savoir si nous voulons être un parti bourgeois
ou pas. Les bourgeois n’ont pas de problèmes
avec ça : ils ne la croisent pas. Les classes po­
pulaires vivent avec », a­t­il estimé. Des pro­
pos qui rejoignent ceux que le président de
la République tient, en privé, depuis plu­
sieurs semaines.

« On aurait tort de considérer que parce
qu’on parle de social et d’écologie, les ques­
tions régaliennes ne seraient pas une préoc­
cupation des Français », avait déjà déclaré le
chef de l’Etat, le 4 septembre, devant le gou­
vernement réuni en séminaire à l’Elysée.
La lutte contre la délinquance, les agres­
sions, les cambriolages ou l’immigration il­
légale relèveraient même, selon lui, d’un
« enjeu social » pour les quartiers défavori­
sés. « Les bourgeois de centre­ville, eux, ils
sont à l’abri! », a­t­il souligné devant ses mi­
nistres, appelant chacun à se défier des
« bons sentiments ».

« LE PRÉSIDENT S’EST REFERMÉ »
La veille, lors du dîner de la majorité, Em­
manuel Macron avait déjà manifesté sa vo­
lonté de monter au créneau sur l’immigra­
tion. Un participant rapporte que le chef de
l’Etat aurait notamment émis, en des ter­
mes parfois crus, son souhait d’augmenter
les expulsions d’Albanais sans papiers. « Le
président était très remonté ce soir­là, c’était
du Sarkozy qui avait branché le Kärcher! »,
témoigne cette source.
Côté sécurité, deux chantiers sont sur la
table. Le ministre de l’intérieur, Christophe
Castaner, doit lancer des consultations, fin
septembre, pour rédiger un Livre blanc sur
le sujet, dont les conclusions pourraient
être rendues début 2020. La ministre de la
justice, Nicole Belloubet, a engagé, elle, une
réforme du code pénal des mineurs. « La sé­
quence des “gilets jaunes” a installé l’idée

que l’Etat régalien pouvait ne pas tenir sur le
maintien de l’ordre, donc il faut démontrer le
contraire », estime un ministre.
Sur l’immigration, l’exécutif entend sur­
tout se montrer à l’offensive en ce qui con­
cerne l’asile. « Le président a beaucoup évo­
lué depuis 2015 et son soutien à Angela Mer­
kel dans l’accueil des migrants. A l’époque, il
était sur une ligne très humaniste, constate
un cadre de la majorité. Lors de la campagne
présidentielle, il avait déjà évolué vers une
position plus équilibrée. Mais depuis 2018, il
s’est refermé, il pense que la société est plus
dure que les politiques sur cette question. »
A l’issue du conseil des ministres, le 11 sep­
tembre, la porte­parole du gouvernement,

Sibeth Ndiaye, a résumé les choses sans am­
bages. « Nous savons que, dans le futur, l’évo­
lution du monde, l’existence de zones de con­
flit, le réchauffement climatique conduiront à
ce que de nouvelles vagues migratoires aient
lieu. Nous devons armer notre pays », a­t­elle
clairement indiqué. « L’enjeu est de savoir si la
France peut résister à l’afflux d’un million de
personnes venues du Maghreb en cas de crise
dans l’un des pays de la région. La réponse est
non », estime un ministre. La situation algé­
rienne, où une élection présidentielle est
prévue, le 12 décembre, se trouve en particu­
lier dans le viseur du chef de l’Etat.
Conscient de la sensibilité de sa majorité
sur le sujet, déjà échaudée par le projet de loi

Emmanuel Macron,
à l’Elysée,
le 3 septembre.
THIBAULT CAMUS/AP

Asile, regroupement familial, aide médicale... les pistes de réforme


Le gouvernement veut s’attaquer à l’attractivité de la France, au moment ou un tiers des demandeurs d’asile sont des « dublinés »


L


a France est en train de deve­
nir le premier pays européen
de demandes d’asile. » Lors
de son discours aux ambassa­
deurs, le 27 août, Emmanuel
Macron a fait part de son inquié­
tude face au nombre croissant de
demandes de protection dépo­
sées en France : 100 000 en 2017,
120 000 en 2018, sûrement au­
delà de 130 000 en 2019. Une
hausse qui contraste avec la baisse
enregistrée en Europe. « Je vais in­
tensifier mon implication sur ce su­
jet », a dit le président, désignant
les migrants qui, selon lui, « vien­
nent parce que nous sommes un
pays assez mal organisé ».
La préoccupation de M. Macron
n’est pas nouvelle, convaincu qu’il
est que les chiffres de l’immigra­
tion seront portés à son passif lors
de prochaines échéances électora­
les. « La demande d’asile est en
hausse, et c’est du carburant pour
Marine Le Pen », confirme un ca­
dre du ministère de l’intérieur.
Pour réguler le phénomène, la
France pousse au niveau euro­
péen pour un durcissement des
accords de Dublin, censés empê­
cher un demandeur d’asile de
multiplier les demandes sur le
continent. Les discussions
n’avancent pas. Or, aujourd’hui,

un tiers de la demande d’asile en
France provient de personnes qui
ont déjà été enregistrées dans un
autre Etat de l’Union européenne.
Au niveau national, si l’hypo­
thèse d’un nouveau chantier lé­
gislatif ne semble pas retenue –
tant les débats parlementaires
en 2018 autour de la loi Collomb
ont divisé la majorité –, Edouard
Philippe a fait de « l’adaptation de
nos politiques publiques en ma­
tière de sécurité et d’immigration »
l’un des chantiers des « mois qui
viennent », lors du séminaire gou­
vernemental du 4 septembre.

« Anomalie »
Le gouvernement veut s’attaquer
à ce qu’il identifie comme des fac­
teurs d’attractivité de la France,
avec le souhait que cela s’accom­
pagne d’une baisse des dépenses,
au moment où l’Allocation pour
demandeur d’asile (ADA) – qui
n’ont pas le droit de travailler –
tourne autour d’un demi­milliard
d’euros de budget et où l’Aide mé­
dicale d’Etat (AME), qui permet
aux personnes en situation irré­
gulière d’accéder à certains soins,
avoisine le milliard d’euros.
Des mesures – pas très grand pu­
blic – sont déjà dans les tuyaux,
alors même que la loi Collomb a

moins d’un an d’application.
Ainsi, la carte de retrait de l’ADA
(6,80 euros par jour) doit être sup­
primée le 5 novembre et rempla­
cée par une carte de paiement.
Dans un communiqué publié
lundi 16 septembre, plusieurs as­
sociations, dont la Fédération des
acteurs de la solidarité, réclament
le retrait d’une mesure « d’ordre
budgétaire (...) compliquant la vie
des demandeurs d’asile ». Le gou­
vernement entend aussi dimi­
nuer de 25 % le montant de l’ADA,
dès le rejet en première instance
d’une demande, pour les ressor­
tissants des pays dits d’origine
sûrs, c’est­à­dire qui ne présentent
pas a priori de risque de persécu­
tions. Le texte est actuellement à
l’étude au Conseil d’Etat.
Les demandes d’asile en prove­
nance des pays sûrs font partie
des sujets de crispation, en parti­
culier celles en provenance de la
Géorgie et de l’Albanie, qui se clas­
sent actuellement aux deuxième
et troisième rangs en France, der­
rière la demande afghane. Ainsi, à
la fin de l’été, plus de 6 200 Géor­
giens avaient demandé la protec­
tion de la France. Une « anomalie »
pour le ministre de l’intérieur,
Christophe Castaner, qui y voit un
dévoiement du système.

« Il y a un point de vigilance sur
les Géorgiens qui viennent se faire
soigner et demandent l’asile pour
avoir la PUMA [protection univer­
selle maladie] », explique un ca­
dre du ministère de l’intérieur.
Une fois débouté de sa demande
(dans plus de 95 % des cas en 2018
pour les Géorgiens et plus de 91 %
pour les Albanais), un demandeur
d’asile conserve la PUMA pen­
dant un an. L’idée qu’il existe une
sorte d’opportunité de demander
l’asile pour bénéficier de cette
protection pourrait nourrir des
projets de réforme.
De la même manière, le gouver­
nement ne cache plus son souhait
de réformer l’AME, qui bénéficie
aujourd’hui à 300 000 personnes
en situation irrégulière. Mati­

gnon a commandé aux inspec­
tions générales des finances et
des affaires sociales un rapport
sur le sujet, qui devrait être rendu
fin octobre. La ministre de la santé
et des solidarités, Agnès Buzyn, a
pourtant encore défendu, lors
d’un colloque en juin, le dispositif
de l’AME « face aux coups de bou­
toir de certains populistes ».

« Fantasmes sur des fraudes »
Plusieurs pistes sont toutefois à
l’étude : réduction du panier de
soins, par exemple en excluant de
la prise en charge certaines mala­
dies comme l’hépatite C ou le can­
cer ; mise en place d’un reste à
charge pour le patient ou de cen­
tres de santé dédiés... Le gouver­
nement reprend ici une vieille an­
tienne de la droite. « C’est un si­
gnal », analyse le cadre du minis­
tère de l’intérieur. « On est dans la
posture, corrobore Pierre Henry,
de France terre d’asile. Le débat sur
l’AME ne va faire qu’alimenter les
fantasmes sur des fraudes suppo­
sées, et on va faire des économies
de cacahuètes. »
D’autres chantiers seraient
ouverts. « Il y a des pistes sur le re­
groupement familial », croit savoir
un élu de la majorité. En 2018,
quelque 90 000 premiers titres de

séjour ont été délivrés pour des
raisons familiales, dont le regrou­
pement familial n’est qu’un petit
sous­ensemble. Si la France est te­
nue par la Convention euro­
péenne des droits de l’homme qui
consacre le droit à la vie privée et
familiale, des marges de
manœuvre existent. Les délais re­
quis avant le dépôt d’une de­
mande pourraient par exemple
être allongés. Le droit à la réunifi­
cation familiale pour les bénéfi­
ciaires de la protection subsi­
diaire, aujourd’hui aligné sur ce­
lui des réfugiés, pourrait ainsi être
soumis aux mêmes conditions
matérielles que les détenteurs
d’un titre de séjour classique.
D’aucuns craignent enfin que le
gouvernement ne soit tenté de re­
dessiner le marché public relatif à
la défense des droits des étrangers
placés en centre de rétention ad­
ministrative, dans le but d’éloi­
gner davantage ceux en situation
irrégulière. Aujourd’hui, cinq as­
sociations, dont France terre
d’asile et la Cimade, se partagent
ce marché. Il doit être renouvelé
début 2020. La redéfinition des
prérogatives des intervenants ou
l’arrivée de nouveaux acteurs
pourraient être envisagées.
julia pascual

E X É C U T I F


« LA DEMANDE D’ASILE 


EST EN HAUSSE, ET 


C’EST DU CARBURANT 


POUR MARINE LE PEN », 


CONFIRME UN CADRE 


DU MINISTÈRE 


DE L’INTÉRIEUR


LORS DU DÎNER


DE LA MAJORITÉ, 


« LE PRÉSIDENT 


ÉTAIT TRÈS


REMONTÉ, C’ÉTAIT 


DU SARKOZY


QUI AVAIT BRANCHÉ 


LE KÄRCHER », 


SELON UNE SOURCE

Free download pdf