Le Monde - 18.09.2019

(Ron) #1

16 |économie & entreprise MERCREDI 18 SEPTEMBRE 2019


0123


Le réseau électrique au défi de la transition énergétique


Le gestionnaire du réseau de transport d’électricité prévoit d’investir 33 milliards d’euros sur quinze ans


C’


était l’un des pre­
miers votes de l’As­
semblée nationale
de la rentrée.
L’adoption définitive du texte sur
l’énergie et le climat, mercredi
11 septembre, inscrit dans la loi
l’« urgence climatique » et l’objec­
tif de « neutralité carbone » pour


  1. Mais il est surtout néces­
    saire pour permettre la mise en
    application de la feuille de route
    énergétique de la France, la pro­
    grammation pluriannuelle de
    l’énergie.
    La loi acte notamment la baisse
    de la part du nucléaire dans la
    production d’électricité, pour at­
    teindre 50 % en 2035 – contre
    72 % aujourd’hui. Un objectif qui
    avait été initialement fixé à 2025
    sous le mandat de François Hol­
    lande, sur lequel Emmanuel Ma­
    cron et Nicolas Hulot ont reculé,
    le jugeant inatteignable.
    La feuille de route énergétique
    prévoit donc que la France aura
    arrêté quatorze réacteurs nu­


cléaires sur cinquante­huit
en 2035, et qu’elle aura multiplié
par plus de deux les installations
éoliennes et par cinq celles de
panneaux solaires. Un change­
ment majeur dans la manière de
produire de l’électricité, qui fait
passer la France d’un schéma
historiquement centralisé dans
quelques lieux de production à
une multitude de petits sites dis­
séminés sur le territoire.

Un coût pour le consommateur
Le gestionnaire du réseau de
transport d’électricité (RTE), fi­
liale d’EDF à 50,1 %, a présenté,
mardi matin, sa stratégie de
développement pour les quinze
prochaines années, pour pou­
voir faire face à ces défis. « Il ne
faut pas voir le réseau comme un
squelette, mais plutôt comme un
athlète de haut niveau qui passe
du triathlon au décathlon », a
expliqué au Monde, François
Brottes, le président du direc­
toire de RTE.

« Aux enjeux habituels, il faut
ajouter le développement des
énergies renouvelables, l’arrivée
massive du véhicule électrique,
l’autoconsommation : il va falloir
s’adapter! »
Autrement dit : la transition
énergétique implique un déve­
loppement majeur du réseau
électrique français, qui va néces­
siter des investissements colos­
saux. RTE engage aujourd’hui
1,3 milliard d’euros par an pour
maintenir et développer les li­
gnes électriques. L’entreprise
prévoit de passer à 2,2 milliards
annuellement les quinze pro­
chaines années, soit 33 milliards
d’euros.
Un coût qui aura un impact
pour les consommateurs, puis­
que les investissements de RTE
sont inclus dans un tarif spécifi­
que, qui couvre les coûts du
transport et de la distribution
d’électricité, et équivaut à près
d’un tiers de la facture. Si la Com­
mission de régulation de l’éner­

gie accepte le schéma présenté
par RTE, il faudra s’attendre à
une augmentation annuelle de
quelques centimes de ce tarif,
qui vient s’ajouter aux taxes et
au prix de l’énergie. « Ces coûts
sont à relativiser, notamment au
regard de ce qui est fait chez nos
voisins », tient à souligner M.
Brottes. « A titre de comparaison,
nous estimons le coût de notre
projet à 21 milliards d’euros sur
dix ans, quand les Allemands pré­
voient 60 milliards. »
A quoi vont servir ces investis­
sements? Outre la rénovation
d’un réseau qui a plus de 50 ans,
il s’agit de construire de nouvel­
les lignes pour relier des sites de
production de plus en plus nom­
breux aux lieux de consomma­
tion. « Mais, attention, un parc
solaire n’écoule pas forcément
tous ses électrons dans le village
voisin et, la nuit, le village en
question a besoin d’électricité qui
vient d’ailleurs », explique M.
Brottes. Le réseau a ainsi besoin

d’être renforcé dans l’axe Nor­
mandie­Paris, sur la façade atlan­
tique pour accueillir les parcs éo­
liens offshore, qui devraient
commencer à produire à partir
de 2021 et 2022, mais aussi dans
le Massif central, un lieu de tran­
sit très sollicité et qui risque de
l’être de plus en plus.

Forte pression européenne
Ces dernières années, des rive­
rains se sont souvent opposés à
l’installation de lignes haute ten­
sion, une question que RTE a dû
intégrer dans son schéma. « Nous
savons qu’il y a sur les lignes aé­
riennes une question d’acceptabi­
lité sociale, donc nous prévoyons
de faire essentiellement du souter­
rain », explique M. Brottes.
Mais il ne s’agit pas unique­
ment de construire de nouvelles
lignes : le réseau va être mieux
équipé en appareils de collecte de
données, pour mieux faire face

aux événements climatiques,
aux fluctuations de la produc­
tion, notamment de la part des
énergies renouvelables, qui pro­
duisent de manière variable. Il va
aussi devoir résoudre la problé­
matique du stockage, à travers
des batteries sur le réseau, mais
surtout avec l’intégration de mil­
lions de véhicules électriques.
« On estime qu’en 2035 les voitures
électriques peuvent représenter en
stockage l’équivalent de dix STEP
[barrages hydroélectriques per­
mettant de stocker de l’électri­
cité] », s’enthousiasme M. Brot­
tes, qui souligne que les batteries
de ces véhicules, très souvent sta­
tionnés, pourront servir de relais
au réseau.
L’évolution du réseau électri­
que est aussi soumise à une forte
pression européenne : l’Allema­
gne prévoit, dans les prochaines
années, de sortir du nucléaire,
puis du charbon et d’augmenter
ses capacités de production éo­
lienne et solaire. Pour équilibrer
le réseau, nos voisins vont devoir
exporter de manière massive à
certains moments et importer à
d’autres. Pour répondre à cette
évolution, les capacités d’échange
avec les pays voisins seront dou­
blées en quinze ans.
Un changement structurel qui
devra donner lieu à une gestion
du réseau encore plus fine
qu’aujourd’hui. « Actuellement,
on gère 300 000 données par se­
conde sur le réseau, on va passer à
un million », prévoit M. Brottes.
nabil wakim

« Développement
des énergies
renouvelables,
arrivée massive du
véhicule électrique,
autoconsommation :
il va falloir
s’adapter! »
FRANÇOIS BROTTES
président du directoire de RTE

Grandes promesses et petits
fours ce soir à l’Elysée. Emma­
nuel Macron reçoit la fine fleur
de la French Tech et de la finance.
Objectif licornes. Nom donné à
ces jeunes entreprises, souvent
californiennes, qui en quelques
années parviennent à des valori­
sations dépassant le milliard de
dollars avant même d’entrer en
Bourse. A la mi­2019, on en
comptait 182 aux Etats­Unis et...
cinq en France. Pour une start­up
nation, cela fait maigre...
Aussi le gouvernement, s’inspi­
rant du rapport de l’économiste
et ancien banquier Philippe Tibi,
entend convaincre les grands as­
sureurs et fonds d’investisse­
ment français et étrangers d’en­
gager plus d’argent pour soute­
nir les jeunes entreprises
technologiques. Non pas au dé­
but de leur aventure, où l’argent
ne manque plus vraiment, mais
quand le succès est au rendez­
vous et qu’il faut investir des
centaines de millions d’euros
pour passer la vitesse supérieure.
Mais il faudra accepter de pren­
dre des risques, comme le mon­
tre la mésaventure de Ia poche la
plus profonde au monde en ma­
tière de technologie, le fonds ja­
ponais Softbank Vision. Doté de
près de 100 milliards de dollars
(90,8 milliards d’euros), grâce no­
tamment à la générosité de l’Ara­
bie saoudite, il se débat
aujourd’hui dans des difficultés
sérieuses avec quelques­unes de
ses plus belles pépites. Ce lundi
16 septembre, on apprenait que
la société WeWork, dans laquelle
il a investi près de 2 milliards de
dollars en janvier, allait repous­
ser son introduction en Bourse
face à la fronde des investisseurs
qui contestent sa valorisation
stratosphérique.
Spécialisée dans la sous­loca­

tion d’immeubles sous forme de
bureaux évolutifs et à haut ni­
veau de service, la société im­
plantée mondialement valait
47 milliards de dollars quand le
japonais est entré à son capital.
Elle en vaudrait maintenant trois
fois moins. Il faut dire que la so­
ciété a perdu 1,6 milliard de dol­
lars en 2018, soit pratiquement
son chiffre d’affaires et que son
ambitieux modèle économique,
ne laisse pas entrevoir une sortie
rapide de ce piège.

Bulle des valorisations
Et comme si cela ne suffisait pas,
les autres participations vedettes
de Softbank, comme la message­
rie Slack ou les taxis Uber, ont
raté leur entrée en Bourse cette
année. Le premier est 30 % au­
dessous de son cours d’introduc­
tion et le second 17 %. Les inves­
tisseurs s’inquiètent de cette sé­
rie noire qui confirme qu’il y a
bien une bulle des valorisations
des stars de l’Internet. Softbank a
largement contribué à l’alimen­
ter en volant au secours des plus
grandes au motif qu’en les
noyant sous les milliards, elles
pourraient écraser la concur­
rence et devenir aussi rentables
que Google ou Facebook.
Le pari mal engagé de Softbank
démontre également, en dépit
de tout ce que l’on a raconté ces
dernières années, que la Bourse,
par sa profondeur, reste indis­
pensable, ne serait­ce que pour
offrir une sortie aux investis­
seurs privés et apporter un peu
de transparence dans un milieu
très opaque. En France aussi, les
fameuses licornes, attendues
comme le messie, ne prospére­
ront qu’avec une place finan­
cière pour accueillir les espoirs
des plus ambitieuses.

PERTES & PROFITS|SOFTBANK
p a r p h i l i p p e e s c a n d e

Du danger de la


Bourse pour les licornes


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