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LE MONDE·SCIENCE & MÉDECINE
MERCREDI 18 SEPTEMBRE 2019 | 3
Le rat, partenaire de cachecache
ÉTHOLOGIE - Une équipe allemande a joué avec les rongeurs, qui ont rapidement intégré
toutes les subtilités d’usage, apparemment pour le seul plaisir ludique
Q
uiconque a observé un
tant soit peu la vie des
animaux ne peut en
douter : ils jouent. Peut
être pas les libellules ou les pa
pillons. Mais les ânes, les singes,
certains oiseaux, et évidemment
les animaux de compagnie, chats
et chiens. « Ils jouent entre eux ; ils
jouent avec leur maître, quand ils
en ont un ; ou ils jouent tout seuls,
avec des objets, répète depuis des
années Marc Bekoff, célèbre étho
logue américain, qui a consacré
au sujet plusieurs ouvrages. Ils le
font parce que c’est important
pour leur développement et parce
que ça les rend heureux. » Ceux
qui en doutent devraient changer
d’avis à la lecture de l’étude pu
bliée vendredi 13 septembre dans
la revue Science.
L’équipe de chercheurs en neu
rosciences dirigée par Michael
Brecht, à l’université Humboldt
de Berlin, y détaille des parties de
cachecache particulièrement
spectaculaires entre des rats et
des humains. Le tout sans la
moindre récompense matérielle
- du moins pour les rongeurs.
Les scientifiques ont commencé
par habituer dix rats à leur pré
sence et à leur contact. Puis, par
éloignement progressif, ils leur
ont appris à retrouver un expéri
mentateur caché derrière certains
obstacles dans une pièce de 30 mè
tres carrés, puis à changer de rôle
et à euxmêmes se dissimuler.
« Notre première surprise a été la
rapidité de leur acquisition, ra
conte Konstantin Hartmann, un
des signataires de l’article. En deux
jours, tous ont compris comment et
où nous chercher. En une semaine,
tous sauf un savaient se cacher. »
Aucune récompense offerte
Lors de cette phase d’apprentis
sage, aucune récompense alimen
taire ne leur a été offerte, comme
le veut la coutume dans les études
de comportement animal. Juste la
poursuite d’un autre jeu, à base de
chatouilles. Quant au rôle qui leur
était assigné, il leur était signifié
par l’ouverture ou la fermeture de
la porte de la cage dont ils ve
naient d’être libérés et par la pré
sence ou non de l’expérimenta
teur – son absence marquant la
position du chasseur.
Les parties qui ont suivi et l’ana
lyse du comportement des ani
maux ont livré des résultats im
pressionnants. « D’abord, un plai
sir manifeste à jouer, souligne
Konstantin Hartmann. Quand on
trouvait un animal, il tentait de
nous échapper pour filer dans une
autre cachette pour poursuivre la
partie. Cela revient à remettre à
plus tard la récompense. Pour eux,
jouer à cachecache vaut donc
autant que jouer aux chatouilles... »
Deuxième enseignement ma
jeur : leur stratégie. Chassés, les
rats privilégient les cachettes opa
ques par rapport aux boîtes par
tiellement transparentes. Chas
seurs, ils ne manifestent aucune
préférence, passant en revue tous
les écrans susceptibles de dissi
muler l’expérimentateur. Même
différence dans la récurrence des
cachettes. En position de gibier,
l’animal évite de choisir deux fois
de suite le même abri. A l’inverse,
lorsqu’il traque son complice hu
main, il privilégie au contraire la
dernière cachette « gagnante ».
Les scientifiques ont également
enregistré les ultrasons émis par
les rats pendant le jeu. Ils ont
constaté une augmentation des
cris émis à chaque sortie de la
boîte de départ, quelle que soit la
position. En revanche, s’ils conti
nuent à faire du bruit quand ils
traquent, ils se montrent silen
cieux quand ils se cachent. Même
lors de la phase de découverte,
celui qui trouve apparaît plus
bruyant que celui qui est trouvé.
Toute ressemblance avec de jeu
nes enfants serait évidemment
totalement fortuite.
Quoique... L’équipe allemande
est parvenue à installer, dans un
second temps, des microélectro
des dans le cerveau des rats, avec
une transmission sans fil des
résultats. Elle a constaté une acti
vation de 30 % des neurones du
cortex préfrontal, une zone qui,
chez de nombreuses espèces, est
associée aux interactions sociales
et au traitement des règles. De
quoi nourrir un peu plus l’hypo
thèse que les rats, comme nous, et
comme les chiens de Marc Bekoff,
« jouent pour jouer ».
La volonté d’enchaîner les par
ties plaide en ce sens. Mais aussi
l’excitation à chaque début de par
tie. Ou encore la différence de sons
émis par celui qui est trouvé et
celui qui trouve : « Si la récompense
devait constituer leur première
motivation, les deux positions en
traîneraient la même réaction »,
souligne l’article. Enfin, ils sont ap
parus fatigués après vingt essais.
« Or lors de conditionnements avec
de la nourriture, les rongeurs pour
suivent des centaines d’essais sans
relâche », précisent les chercheurs,
avant de conclure : « Mais tout cela
ne constitue que des preuves indi
rectes, il faut poursuivre le travail. »
Voir par exemple s’ils sont dotés
de la « théorie de l’esprit », cette
capacité qui permet à des indivi
dus d’attribuer des états mentaux
à d’autres individus. Prévoir par
exemple ce que l’autre va faire,
compte tenu des informations
dont il dispose. « Pour le moment,
cette étude ne le montre pas. Mais
la façon dont les chercheurs ont uti
lisé des comportements spontanés
plutôt que de leur inculquer des
tâches fait toute la beauté de ce tra
vail », remarque le primatologue
Frans de Waal. « Une bouffée d’air
frais, renchérit sa collègue fran
çaise Elise Huchard. (...) De quoi
changer notre regard sur les rats (et
sur les animaux en général) :
joueurs, interactifs, enthousiastes,
stratèges, attentifs à leur parte
naire de jeu et peutêtre même
dotés d’un sens de l’humour... » Pas
exactement l’imagerie populaire
associée au rongeur.
nathaniel herzberg
Un rat dissimulé derrière un carton lors d’une partie de cache-cache au laboratoire. REINHOLD, SANGUINETTI-SCHECK, HARTMANN & BRECHT
Opération résurrection pour un rhinocéros
BIODIVERSITÉ - Des embryons ont été produits. Se développeront-ils dans des mères porteuses?
nairobi correspondance
C
e n’est qu’une étape, mais
elle semblait « inatteigna
ble » il y a encore cinq ans.
Des scientifiques ont annoncé,
mercredi 11 septembre, être par
venus à obtenir deux embryons
de rhinocéros blancs du Nord,
une espèce décimée depuis cin
quante ans par les guerres et le
braconnage, et presque entière
ment éteinte, à l’exception de
deux femelles, vivant au Kenya.
Un premier jalon avait été fran
chi le 22 août, dans la réserve d’Ol
Pejeta, au centre du Kenya, où vi
vent Najin, 30 ans, et sa fille, Fatu,
19 ans, avec la ponction de leurs
ovocytes. La technique avait été
testée sur des femelles rhinocéros
blancs du Sud, une espèce très
proche, afin de préserver Najin et
Fatu. Si elles mouraient, plus
aucun gamète femelle rhinocéros
blanc du Nord ne serait disponible
sur la planète. Car les scientifiques
possédaient jusqu’ici le sperme
de plusieurs mâles, dont Sudan,
décédé en 2018, mais aucun œuf.
Richard Vigne, directeur d’Ol
Pejeta – qui dépense chaque an
née plusieurs millions d’euros
pour protéger ses rhinocéros –, a
assisté à cette opération critique :
« Faire cela sur les deux dernières
femelles vivantes était assuré
ment difficile. Et, forcément,
quand vous mettez un animal
sous anesthésie générale, particu
lièrement un rhinocéros âgé
comme Najin, il y a toujours un ris
que », expliquetil. Sans parler de
la crainte exprimée par les scien
tifiques qu’il « n’y ait pas d’œufs ».
Dix ovocytes ont finalement été
collectés sans encombre ce jourlà,
et envoyés immédiatement, par
avion, en Italie. Au laboratoire spé
cialisé Avantea, à Crémone, seuls
sept œufs se sont révélés exploita
bles après maturation. Ils ont été
fécondés avec le sperme congelé
de deux mâles différents, selon
une technique (intra cytoplasm
sperm injection, ICSI) qui permet
de ne sélectionner qu’un seul
spermatozoïde, afin de ne pas gâ
cher le précieux matériel.
Deux œufs seulement
Après dix jours d’incubation, seuls
deux œufs se sont transformés en
embryons. Un succès qui semble
maigre, mais dont se félicite le
consortium BioRescue, qui les a
congelés pour travailler sur la pro
chaine étape : les transférer dans
des « mères porteuses » de l’espèce
du Sud. Car Najin et Fatu ne peu
vent pas porter de petits. Le corps
de la première a été abîmé par de
longues années de captivité en
Europe, et l’utérus de la seconde
présente une malformation.
« Nous n’avons pas encore de date
pour ce transfert », explique le pro
fesseur Cesare Galli, du laboratoire
Avantea, joint par téléphone.
« En 2018, nous avons tenté deux
grossesses avec des embryons de
rhinocéros du Sud, mais aucune
n’a fonctionné. Il va falloir retenter
plusieurs fois avec cette espèce
avant d’utiliser nos deux em
bryons. Cela prendra peutêtre
deux ans, sachant que la gestation
du rhinocéros dure seize mois. »
Même en cas de naissance d’un
bébé rhinocéros blanc du Nord,
l’espèce sera loin d’être sauvée, en
raison de la consanguinité in
duite par le faible nombre de don
neurs. Comptant aujourd’hui
20 000 individus, le rhinocéros
blanc du Sud a, lui, été sauvé de
l’extinction à partir d’une popula
tion d’une centaine d’individus.
BioRescue travaille donc sur une
autre piste : la création de gamètes
mâles et femelles à partir de sim
ples cellules de peau de rhinocéros
blancs du Nord.
marion douet
G É N É T I Q U E
Des souris plus maigres et longévives
Après avoir inactivé deux gènes dans des
neurones de souris, une équipe française a
constaté que les rongeurs présentaient une
masse réduite de 25 %, une baisse liée à un
déclin des tissus adipeux, tandis que leur
espérance de vie médiane était augmentée
de 33 %. Giovanni Levi (Muséum national
d’histoire naturelle de Paris) et ses collègues
ont ciblé deux gènes des neurones gabaergi
ques, « qui jouent un rôle d’intégrateur de l’ac
tivité cérébrale ». Leur inactivation s’est aussi
traduite par des changements de comporte
ment : réduction de l’anxiété et de l’intérêt
pour la construction de nids. « Il est fascinant
de voir que le fonctionnement du cerveau
peut conditionner la durée de vie », note Gio
vanni Levi. Reste à étudier les mécanismes
moléculaires et cellulaires qui sont à l’œuvre.
> De Lombares et al., « Aging » du 12 septembre.
E N V I R O N N E M E N T
L’algue sargasse, recyclée
dans des briques de construction?
Comment se débarrasser de cette algue, qui
infeste depuis 2011 les côtes des Antilles et de
Floride – et qui a envahi cet été les côtes de
Normandie? Ou, plutôt, comment recycler ce
déchet qui asphyxie les écosystèmes des lit
toraux? Une solution est explorée par le ca
binet In Situ Architecture, avec le laboratoire
de reproduction et développement des plan
tes (CNRSENS de Lyon) : faire de cette ma
tière organique une ressource de construc
tion. Les chercheursarchitectes ont testé
plusieurs mixtures. Verdict : les briques les
plus résistantes sont composées d’une moi
tié de terre crue et d’une moitié d’algue des
séchée. « Les fibres et les gels contenus dans
l’algue renforcent la résistance mécanique
de ces briques », explique Nicolas Vernoux
Thélot, fondateur d’In Situ Architecture, qui
les a présentées lors du salon Biomim’Expo
à l’Hôtel de ville de Paris, le 11 septembre.
(PHOTO : ARNAUD RINUCCINI)
S C I E N C E I M P R O B A B L E
Une équipe française récompensée
par un Ig Nobel
Jeudi 12 septembre s’est tenue, à l’université
Harvard (Massachusetts), la 29e édition des
Ig Nobel, cérémonie qui distingue des études
de science improbables, la science qui « fait
d’abord rire puis réfléchir ». Ont ainsi été
récompensés des chercheurs ayant étudié
le volume de salive produit par un enfant, les
vertus anticancéreuses de la pizza ou le plai
sir que l’on prend à se gratter. Une équipe
toulousaine a remporté l’Ig Nobel d’anato
mie pour un travail, publié en 2007, s’intéres
sant aux asymétries de température des tes
ticules chez des hommes travaillant debout
(des postiers) ou assis (des chauffeurs de
bus). Un des auteurs, Roger Mieusset, est spé
cialiste des questions de fertilité et inventeur
du « slip chauffant », procédé contraceptif
qui freine la production des spermatozoïdes
en augmentant la température testiculaire.
23,7 %
C’est le pourcentage de jeunes filles, âgées
de 16 ans, vaccinées en France, à fin 2018, contre
le papillomavirus, responsable de la survenue
du cancer du col de l’utérus. L’éradication
de ce virus est une priorité de santé publique,
annonce l’éditorial du Bulletin épidémiologique
hebdomadaire (BEH, la revue de Santé publique
France) du mardi 17 septembre. La publication
coïncide avec le lancement d’une campagne
de dépistage dans l’Hexagone. Si le nombre
de nouveaux cas a diminué depuis 1990, il reste
élevé, avec 2 920 cas en 2018, et 1 117 décès.
L’objectif est d’augmenter le taux de dépistage
et de diminuer de 30 % l’incidence et la morta-
lité d’ici à dix ans. De même, malgré une crois-
sance de la couverture vaccinale, celle-ci reste
très insuffisante en France, note le BEH. L’objec-
tif d’éliminer ce cancer est mondial, car il reste
l’un des cancers féminins les plus fréquents.
T É L E S C O P E