Le Monde - 08.09.2019

(Ron) #1

10 |france DIMANCHE 8 ­ LUNDI 9 SEPTEMBRE 2019


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Le « système Corbeil » en correctionnelle


Sept personnes, dont le maire de la ville de l’Essonne, comparaîtront dans une affaire d’achat de votes


L


e juge d’instruction Serge
Tournaire, qui a enquêté
pendant plusieurs an­
nées sur les relations in­
terlopes entretenues par l’indus­
triel Serge Dassault avec « sa »
ville, Corbeil­Essonnes, dont il fut
l’édile entre 1995 et 2009, a or­
donné le 29 août le renvoi en cor­
rectionnelle de sept personnes,
dont Jean­Pierre Bechter, l’actuel
maire, pour « achat de votes » et
« financement illégal de campagne
électorale », a­t­on appris ven­
dredi 6 septembre.
Serge Dassault avait atteint un
tel niveau de pouvoir que, même
face aux juges d’instruction, il
n’avait pas cherché à nier les
nombreux dons qu’il avait oc­
troyés à des habitants de la ville
de Corbeil­Essonnes. Mieux, il ne
voyait pas malice dans ces libéra­
lités, considérant que l’usage de
sa fortune personnelle ne pouvait
susciter aucune critique, encore
moins quand elle s’inscrivait
dans une démarche considérée

comme philanthropique. Une vi­
sion patriarcale et anachronique
de la politique locale directement
héritée de son père, Marcel Das­
sault, député de l’Oise pendant
près de trente ans, qui avait pour
habitude de distribuer des enve­
loppes bien garnies.
Cette vision s’est heurtée à une
réalité bien différente dans l’an­
cien bastion communiste de Cor­
beil­Essonnes, où les pratiques de
Serge Dassault, installant dans la
durée un système clientéliste, ont
profité de la paupérisation de plu­
sieurs quartiers en y instillant le
poison de la corruption pour

garnir les urnes à son avantage
et à celui de son successeur,
Jean­Pierre Bechter. Le « vieux »,
comme il était surnommé, sa­
vait­il que le temps judiciaire lui
permettrait de quitter la scène en
échappant à une condamnation?
Il est mort en 2018 à 93 ans.

Convoitises et jalousies
En enrôlant des personnalités in­
fluentes des quartiers des Tarte­
rêts ou de Montconseil afin qu’ils
y jouent les propagandistes pour
son compte, Serge Dassault a
montré qu’il n’avait alors trouvé
aucun autre levier pour convain­
cre d’un vote en sa faveur, mais il
a surtout installé pendant des an­
nées un climat d’extrême tension
dans la ville. L’argent distribué
par centaines de milliers d’euros
par le biais de comptes au Liban,
au Luxembourg ou à Singapour,
finissant par attiser les convoiti­
ses et nourrir les jalousies.
L’enquête judiciaire a permis
d’établir que Serge Dassault avait

dépensé plus de dix millions
d’euros entre 2008 et 2010 au bé­
néfice d’habitants de Corbeil­Es­
sonnes. Une période au cours de
laquelle ont eu lieu trois scrutins
municipaux. Si tous ces fonds
n’ont pu être directement reliés à
des achats de votes, il est permis
de penser que le plafond de dé­
penses électorales a été dépassé.
Le 19 février 2013, un jeune
homme menaçant de révéler ces
pratiques aux médias s’il ne tou­
chait pas de l’argent, qu’il estimait
devoir recevoir en raison du
lobbying électoral effectué, était la
cible d’une tentative d’assassinat
le laissant grièvement blessé.
L’auteur des tirs, Younès Bou­
nouara, était l’interlocuteur privi­
légié de Serge Dassault dans le
quartier des Tarterêts. Il était ac­
cusé par d’autres habitants d’avoir
gardé pour lui 1,6 des 2 millions
d’euros reçus en 2011 au Liban de
la part de l’industriel, alors qu’il
était censé les redistribuer à ceux
ayant contribué à l’effort électoral.

Actuellement écroué pour ces
faits, il est lui aussi renvoyé de­
vant le tribunal correctionnel.
Selon le juge d’instruction, « la
corruption s’est exercée à un degré
sans doute jamais atteint lors des
élections de 2009 et 2010 rempor­
tées par Jean­Pierre Bechter ». Ce­
lui­ci « a participé à cette entre­
prise généralisée de corruption de
l’électorat et a bénéficié de finance­
ments occultes ». Ce n’est pas l’avis
de son avocat, Sébastien Schapira,
qui déplore que son client n’ait
été entendu qu’une fois au cours
de l’instruction et qui rappelle
que celui­ci a été réélu « avec des
milliers de voix d’avance depuis les
élections, objet de cette procédure
faisant la preuve que les électeurs
lui ont renouvelé leur confiance ».
Outre M. Bechter et M. Bou­
nouara, cinq autres personnes
soupçonnées d’avoir participé ac­
tivement au système mis en place
par Serge Dassault sont elles aussi
renvoyées devant le tribunal.
simon piel

Selon l’enquête,
Serge Dassault
a dépensé plus
de 10 millions
d’euros entre
2008 et 2010

La Cour de cassation veut


plus de prévisibilité dans


les décisions de justice


La nouvelle première présidente de la juridiction,
Chantal Arens, a pris ses fonctions vendredi

A


99 ans, Simone Rozès a
fait le déplacement ven­
dredi 6 septembre pour
assister à l’installation de Chantal
Arens à la tête de la Cour de cassa­
tion. Un événement. Il aura fallu,
en effet, attendre trente­cinq ans
avant de pouvoir écrire que
Mme Rozès n’a pas été l’unique
femme à accéder au poste de plus
haut magistrat de l’ordre judiciaire
en France. La nouvelle première
présidente de la Cour de cassation
a profité de cette audience solen­
nelle pour dévoiler ses intentions
en présence notamment de très
nombreuses personnalités, dont
Edouard Philippe, premier minis­
tre, Gérard Larcher, président du
Sénat et Nicole Belloubet, garde
des sceaux.
Mme Arens, qui présidait depuis
2010 la cour d’appel de Paris, la
plus importante du pays, compte
faire bouger les choses, notam­
ment en matière de prévisibilité
des décisions de justice. Les déci­
sions contradictoires qui ont
émaillé l’effroyable feuilleton de la
fin de vie de Vincent Lambert,
n’ont pas servi la confiance dans la
justice. Tout comme les jugements
contradictoires sur la validité de la
mise en place d’un barème pour
les indemnisations par les
prud’hommes. L’avis, moins fort
qu’un arrêt, rendu le 17 juillet par la
Cour de cassation chargée d’uni­
fier la jurisprudence n’est pas par­
venu à mettre fin à la cacophonie.
« Je souhaite renforcer le dialogue
avec les juridictions du fond, préa­
lable indispensable à l’harmonisa­
tion de l’interprétation du droit sur
l’ensemble du territoire de la Répu­
blique, mais aussi dans l’optique de
favoriser l’évolution de la jurispru­
dence et l’émergence de questions
partagées par plusieurs juridic­
tions, nécessitant une approche
unifiée », a­t­elle déclaré. Des ren­
contres seront en particulier orga­
nisées entre magistrats de la Cour
de cassation et magistrats des
cours d’appel. La Cour descend de
son Aventin.
De même, la haute magistrate
souhaite que « la mission interpré­
tative » de la juridiction suprême
puisse intervenir dès la publica­
tion des nouvelles lois et de leurs
décrets d’application, plutôt que
d’attendre des années de procé­

dure avant que des questions ne
lui soient formellement soumises.
L’objectif est que ces textes « soient
immédiatement interprétés et ap­
pliqués de manière cohérente par
l’ensemble des juridictions pour dé­
samorcer de futurs contentieux ».
Elle veut croire à une procédure
d’avis « plus incitative » qui per­
mettrait de mettre d’accord tous
les juges, pourtant statutairement
indépendants.
Au sein même de la Cour de cas­
sation, Mme Arens compte pour­
suivre la modernisation engagée
par son prédécesseur, Bertrand
Louvel, en particulier dans la ré­
daction des décisions et la motiva­
tion des arrêts les plus importants.
Elle prend des risques en voulant
harmoniser les pratiques au sein
des différentes chambres de la
Cour, à qui la tradition a attribué
une grande indépendance. Elle re­
joint François Molins, procureur
général, dans le souhait d’associer
le parquet général le plus en
amont possible aux affaires les
plus sensibles, dès la sélection des
pourvois les plus significatifs. Une
pratique déjà mise en œuvre avec
succès dans 36 dossiers depuis le
mois de mars.
Par ailleurs présidente de droit
du Conseil supérieur de la magis­
trature et de l’Ecole nationale de
la magistrature, la première prési­
dente de la Cour de cassation
compte mettre à profit son expé­
rience de gestionnaire de grandes
juridictions comme le tribunal de
Nanterre puis celui de Paris. Elle
rejoint la chancellerie dans le
souci d’aborder la nomination de
magistrats dans une optique de
gestion des ressources humaines
et de valorisation des compéten­
ces, comme la capacité à animer
des équipes.
Mme Arens, 66 ans, sait que son
mandat sera relativement court
pour mener à bien tous ces chan­
tiers. Mais pour afficher son ambi­
tion et sa détermination, elle s’est
référée pour ouvrir et clore son
allocution aux propos volontaris­
tes du philosophe Gaston Berger,
« Demain ne sera pas comme hier,
il est nouveau », puis de l’écrivain
Abert Camus : « La vraie générosité
envers l’avenir consiste à tout don­
ner au présent. »
jean­baptiste jacquin

J U S T I C E
Crash du Rio-Paris :
le parquet fait appel
Le parquet de Paris a annoncé,
vendredi, avoir fait appel du
non­lieu général ordonné par
les juges d’instruction chargés
de l’enquête sur le crash du
Rio­Paris, qui a fait 228 morts
en 2009. En juillet, le parquet
s’était prononcé en faveur
d’un procès pour la seule
compagnie Air France, accu­
sée de « négligence » et d’« im­
prudence », mais pas pour Air­
bus. Les juges d’instruction
avaient estimé que les charges
à l’encontre des deux entrepri­
ses étaient insuffisantes pour
justifier un procès. – (AFP.)

Un homme condamné
pour préparation
d’un acte de terrorisme
Un homme de 28 ans a été
condamné, vendredi, à trois
ans d’emprisonnement, dont
un avec sursis, par le tribunal
correctionnel de Chambéry,
pour apologie et préparation
individuelle à la commission
d’un acte de terrorisme.
A son domicile, les enquê­
teurs avaient retrouvé des
livres sur Mohamed Merah,
une arme, des munitions et
un sabre japonais. – (AFP.)

OpéraBastille-Théâtredes Bouffes du Nord-Cinéma BeauRegard

Programme et inscription surfestival.lemonde.fr


imagine 4-7 octobre 2019

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