Le Monde - 08.09.2019

(Ron) #1

0123
DIMANCHE 8 ­ LUNDI 9 SEPTEMBRE 2019 culture| 17


Partitions neuves à Royaumont


Jeunes compositeurs et musiciens se mettent au diapason pour le festival


MUSIQUE
royaumont (val­d’oise)

L’


abbaye de Royaumont
(Val­d’Oise) est gorgée
de soleil, en cette mati­
née de septembre, et
pourtant, dans le parc, il n’y a pas
âme qui vive. De la majestueuse
allée de marronniers au plan
d’eau intimiste, le silence est to­
tal. Etonnant, dans la mesure où
la règle du moment n’invite pas
les occupants de l’édifice cister­
cien à s’adonner à la vie contem­
plative. De jeunes compositeurs
venus du monde entier mettent
la dernière main à une œuvre qui
doit être créée, dans le cadre de
l’académie Voix nouvelles, les 7 et
8 septembre, en ouverture du
Festival de Royaumont, qui s’y
tient jusqu’au 6 octobre.
« Je construis une commu­
nauté », résume Jean­Philippe
Wurtz en nous accueillant à
proximité du cloître. Vêtu d’un
jean et d’une veste bleue à motif
très seventies, le responsable, de­
puis 2015, de la session de compo­
sition, fondée en 1983, confirme
que l’habit ne fait pas le moine.
S’il n’a pas endossé la robe de
bure du père supérieur, il en a
adopté l’attitude inflexible. Les
quatorze compositeurs (autant
d’hommes que de femmes, mais
un seul Français dans le groupe)
retenus parmi cent quarante can­
didatures ont dû témoigner régu­
lièrement de l’avancée de leur tra­
vail. 50 % de la partition devait
être achevée le 23 juillet, 75 % le
8 août et 100 % lors de l’arrivée à
l’abbaye, le 24 août.
« J’ai pourri leur été, reconnaît
Jean­Philippe Wurtz, chef de l’En­
semble Linea, installé à Stras­
bourg, mais le respect des deadli­
nes constitue l’un des impératifs du
métier de compositeur. » Ici, à plus
d’un titre, puisque la partition est
soumise pendant une semaine à
deux maîtres (les compositeurs
Franck Bedrossian et Mark Bar­
den), avant d’être travaillée lors de
la semaine suivante avec les inter­
prètes qui vont en assurer la créa­
tion (l’ensemble vocal Les Métabo­

les, le quatuor à cordes Mivos et le
contrebassiste Florentin Ginot).
L’heure de vérité sonne enfin
pour Juta Pranulyté, dont la pièce
est déchiffrée dans l’ancien réfec­
toire des moines. « Les basses, un
peu plus, pour une fois », demande
Léo Warynski, le chef des Métabo­
les, en déchaînant l’hilarité des
autres chanteurs. De son côté, le
contrebassiste propose deux ty­
pes de vibrato à la compositrice
qui opte pour le premier. « C’est
plus vocal », approuve son aîné et
professeur du moment, Franck Be­
drossian, lequel explique, en
aparté, que son rôle consiste à
mettre les étudiants en confiance :
« Avec eux­mêmes, avec ceux qui les
encadrent et avec les interprètes. »

Duos, trios et quatuor
Dans le cas de la Lituanienne de
26 ans dont l’œuvre The First
7 Days commence à prendre
corps, le but semble atteint. Après
quelques ajustements, Juta Pra­
nulyté tourne le dos aux interprè­
tes pour se plonger dans l’écoute
de sa musique. Et elle sourit. Shiri
Riseman, Israélienne de 27 ans,
n’en est pas encore à ce stade de
ravissement avec son quatuor à
cordes, alors que les Mivos ten­
tent de se l’approprier dans une
petite salle, sous l’œil de Mark
Barden (Américain de 39 ans qui
réside à Berlin), son tuteur. Là, ce
sont surtout les téléphones mo­
biles qui sont mis à contribution,
afin de contrôler la justesse des
quarts de ton, au moyen d’une
application spécifique.
Un peu plus loin, au Labo, Dona­
tienne Michel­Dansac (soprano de
référence pour la création, de
Georges Aperghis à Philippe Le­
roux) dirige un ensemble de six
chanteuses stagiaires qui, à leur
manière, illustre « la dynamique
de compagnonnage » chère à Jean­
Philippe Wurtz. La réclusion de ce
sextuor cosmopolite (une Belge,
une Catalane, une Portugaise,
deux Françaises et une Japonaise)
débouchera sur un concert (le
7 septembre), dont le programme
concrétise une des aspirations
profondes de Donatienne Michel­
Dansac : « Pratiquer la musique de

chambre dans le domaine vocal. »
Des duos, des trios et un quatuor,
empruntés au répertoire contem­
porain, seront ainsi proposés dans
le voisinage d’une création pour
six voix, La Cité des dames, de
Justina Repeckaite.
Stagiaire lors de la session 2018,
cette Lituanienne de 30 ans a ainsi
bénéficié (comme trois de ses ca­
marades) d’une commande pas­
sée par Voix nouvelles (avec le mé­
cénat de Christine Jolivet), confor­
mément à la volonté de Jean­Phi­
lippe Wurtz de poursuivre
l’accompagnement des jeunes
compositeurs passés par Royau­

mont. L’inscription dans la durée
concerne aussi Les Métaboles, en
résidence à l’abbaye jusqu’en 2021.
Quand on rapporte à Léo Wa­
rynski que l’occasion d’écrire pour
un chœur a constitué la motiva­
tion principale des novices de
cette année, le chef et fondateur de
l’ensemble ne cache pas sa fierté et
se réjouit de pouvoir les sensibili­
ser, par ce biais, à la façon de com­
muniquer avec les interprètes.
« On peut perdre un ensemble sur
un mauvais mot, mais on peut le
gagner sur un bon... » Quelle que
soit la langue. Aya Yoshida, Japo­
naise de 27 ans, s’y attelle par
une succession d’onomatopées à
même d’expliquer aux chanteurs
comment réaliser sa pièce, The
Shadow of the Rain. Une pluie vo­
cale de toute beauté emplit alors
l’abbaye de Royaumont.
pierre gervasoni

Voix nouvelles. Abbaye
de Royaumont (Val­d’Oise),
les 7 et 8 septembre.
Entrée libre, sur réservation.
Festival19.royaumont.com

« On peut perdre
un ensemble
sur un mauvais
mot mais on peut
le gagner sur
un bon... »
LÉO WARYNSKI
chef des Métaboles

L’ensemble vocal
Les Métaboles. ELSA LAURENT

Les Métaboles, chœur vaillant


Créé en 2010 par Léo Warynski, Les Métaboles est un chœur
de chambre qui s’inscrit dans le sillage d’Accentus, fondé deux
décennies plus tôt par Laurence Equilbey. Cependant, comme son
nom l’indique, la formation ne cesse de se métamorphoser pour
s’adapter à divers types de répertoires. Constituée à l’origine
d’une majorité de jeunes, elle compte aujourd’hui des chanteurs
chevronnés – Marc Busnel ou Paul-Alexandre Dubois. Chacun est
capable de se produire en soliste. Après avoir revisité les monu-
ments du XXe siècle pour chœur a cappella, signés Poulenc
ou Rachmaninov, et s’être investi dans de nombreuses créations
telles que Papillon noir, l’opéra de Yann Robin, le chœur entame
à Royaumont une résidence de trois ans. En attendant, un disque
à paraître cet automne chez NoMadMusic viendra illustrer une
quête de l’originalité (l’inattendu Murray Schafer en compagnie de
Ravel et de Britten) qui n’est pas près de s’épuiser. « J’ai mille ans
de répertoire devant moi », constate malicieusement Léo Warynski.

S É L E C T I O N


A L B U M S


C H R I S S I E H Y N D E
Valve Bone Woe
A son tour, comme d’autres vedettes du
rock ou de la pop, Chrissie Hynde témoi­
gne de son intérêt pour le jazz avec Valve
Bone Woe. Au­delà du recours à la forme
big band avec orchestre philharmonique
à l’occasion, qui va fort bien au timbre
grave de la chanteuse du groupe
The Pretenders, à sa diction sensuelle sur
tempo lent, elle s’aventure ici et là en d’inventives ornementa­
tions venues de l’électro. Au programme, des standards dont You
Don’t Know What Love Is, I’m a Fool to Want You dans un envol
de cordes, des thèmes pop parmi lesquels une superbe version
de Caroline, No, de Brian Wilson, ou No Return, des Kinks.
Un ensemble parfait de bout en bout, dans l’interprétation, les
arrangements. Avec au premier plan des versions merveilleuses
de Wild Is the Wind (que Nina Simone et David Bowie ont porté
au plus haut) et Meditation (On a Pair of Wire Cutters), de Charles
Mingus, cette dernière sans paroles mais où Chrissie Hynde
pose un souffle vocal rêveur. Dommage que I’ll Stand by You, la
magnifique romance des Pretenders, ne soit pas au programme.
Elle y aurait été tout à fait à sa place. sylvain siclier
1 CD BMG.

B O N I V E R
i, i
Début août, le nouvel album du songwriter américain Justin
Vernon, plus connu sous le nom de Bon Iver, voit sa sortie
numérique anticipée de trois semaines. L’effet de surprise est
doublement réussi, i, i renouant avec une certaine harmonie
dans l’écriture, après les expérimentations déroutantes de
22, a Million (2016). Ce quatrième opus entend synthétiser ses
œuvres précédentes : folk, electronica, cuivres, gospel et hip­hop
s’y entremêlent avec pour fil conducteur la voix ultrasensible de
Vernon. Même lorsqu’il le maquille d’effets dispensables,
l’intensité de son chant est rarement altérée – sur We, fascinante
composition à tiroirs, ou encore le souffle emporté de Naeem,
Hey, Ma et Salem. Le choix des collaborateurs reflète cet éclec­
tisme sonore, du Britannique James Blake, en passant par les
frères Dessner de The National, le jeune producteur Wheezy, ou
encore le pianiste Bruce Hornsby. Depuis le succès de For Emma,
Forever Ago (2008), le musicien d’Eau Claire (Wisconsin)
n’a cessé de refuser de s’enfermer dans une image de folker
sédentaire. Bien lui en a pris.franck colombani
1 CD Jagjaguwar.

I G G Y P O P
Free
Incarnation du rock le plus sauvagement
libérateur, Iggy Pop a aussi pu se sentir
prisonnier de son animalité électrique.
Régulièrement, des disques plus décalés
lui permettent de s’évader de sa propre
caricature. Avec plus ou moins de réus­
site – de l’attachant Avenue B (1999) au
catastrophique Après (2012) où l’Iguane
tentait de reprendre des classiques de la chanson française.
Trois ans après un très convaincant retour au rock avec Post
Pop Depression, le chanteur prend à nouveau un chemin
buissonnier avec Free. Guidé par le trompettiste texan Leron
Thomas et la guitariste expérimentale new­yorkaise Sarah
Lipstate, l’album promet d’abord beaucoup : la classe altière de
Loves Missing (qui aurait pu figurer dans Post Pop Depression),
la promenade lunaire de Sonali, évoquant le Bowie de Blackstar,
la comptine minimaliste de James Bond...
Après le crispant Dirty Sanchez, la seconde moitié du disque
bascule dans un récitatif crépusculaire misant sur les graves
majestueusement esquintés du rocker­crooner, décorés
d’envolées assez banales de son trompettiste. Parfait sur un
magnifique texte inédit de Lou Reed (We Are the People),
Iggy convainc moins dans Do Not Go Gentle Into that Good
Night, célèbre poème de Dylan Thomas, autrefois magnifié
par John Cale. stéphane davet
1 CD Caroline Records.
Lire aussi sur Lemonde.fr « Flûtes, espaces, promenade... »,
d’Alain Louvier, « Roma », d’Enrico Rava et Joe Lovano, « Mr Sal »,
de Niska, « Amadjar », de Tinariwen.

Photographie : © Brigitte Enguérand

L’HÔTEL


DU LIBRE-


ÉCHANGE


et

DISPONIBLEENDVD
Dans les points devente habituels
surboutique-comedie-française.fr
et surboutique.ina.fr

deGeorgesFeydeauetMaurice Desvallières
Mise en scèneIsabelleNanty
RéalisationVitold Grand’Henry
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