Le Monde - 08.09.2019

(Ron) #1

8 |france DIMANCHE 8 ­ LUNDI 9 SEPTEMBRE 2019


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« Pour moi, la mondialisation est terminée »


Arnaud Montebourg, ancien ministre de l’économie, estime qu’un capitalisme vert plus équilibré est possible


ENTRETIEN


M


ême retiré de la
politique, Arnaud
Montebourg en­
tend peser dans le
débat public. L’ancien ministre de
l’économie et du redressement
productif expose, dans un entre­
tien au Monde, ses convictions
écologistes et sa certitude de l’im­
possibilité d’agir face à l’urgence
climatique dans un capitalisme
mondialisé. Il n’épargne pas non
plus Emmanuel Macron, qui
mène, selon lui, une politique
« incompatible » avec son dis­
cours écologiste. Une manière de
prendre date.

Votre expérience d’entrepre­
neur dans le miel constatant la
disparition des insectes vous a
fait prendre conscience de l’ap­
pauvrissement de la diversité.
Est­ce votre tournant écolo?
Ma prise de contact avec les
abeilles remonte à 2008 quand je
suis tombé sur un apiculteur du
canton où je me présentais qui ve­
nait de perdre ses 800 ruches.
On ne comprenait pas alors cette
mortalité. La disparition de l’en­
tomofaune n’était pas un sujet ;
on parlait de la disparition du
panda mais pas de l’abeille.
Or, celle­ci produit, par la pollini­
sation, l’équivalent de 35 % de
la nourriture de l’humanité.
En 2011, j’avais déjà écrit sur la dis­
parition des abeilles. Mais nous
n’étions pas dans cette situation
d’effondrement alarmante de la
biodiversité qui a intensifié mon
engagement.

Comment expliquez­vous
la réticence de l’Union euro­
péenne (UE) à interdire les pro­
duits nuisibles aux abeilles?
Parce que le modèle de l’agricul­
ture européenne et mondiale est
un modèle où la chimie a pris le
pouvoir sur l’agriculture. Le mo­
ment où il faut apprendre à s’en
passer est arrivé. La croissance
exponentielle de conversions
d’agriculteurs vers le bio montre
que les consciences évoluent fa­
vorablement. Mais ce n’est pas le
cas de nos compétiteurs écono­
miques au sein de l’UE. Le marché
unique et sa liberté de circulation
des produits sont un énorme
frein, pourtant le consommateur
soutient cette mutation. En ac­
ceptant de consommer différem­
ment même avec une augmenta­
tion des prix, il est le conducteur
de la révolution alimentaire.

Peut­on lutter contre le ré­
chauffement climatique dans le
contexte de la mondialisation?
La mondialisation, c’est la
concurrence effrénée où l’em­
porte le plus antisocial, le plus an­
ti­environnemental, qui utilise
les moyens les moins scrupuleux
pour fabriquer moins cher. La

mondialisation est donc déloyale
en mettant en concurrence des
anciens pays industrialisés,
qui ont cent cinquante ans d’ac­
quis sociaux, avec des pays nou­
veaux, qui traitent leurs tra­
vailleurs comme des esclaves. Elle
est aussi inégalitaire : en dix ans,
70 % des ménages dans l’OCDE
ont vu leurs revenus diminuer
ou stagner, pendant que 80 % de
la richesse créée allait à 1 % des
plus riches.
La mondialisation est enfin ins­
table : elle organise la contagion
des crises car elle est un méca­
nisme structurellement défla­
tionniste qui appuie sur la tête
des producteurs et des salariés
écrasant la croissance. Elle a pro­
voqué deux crises : celle finan­
cière des subprimes, où un excès
de la dette privée avait dû relayer
un pouvoir d’achat insuffisant, et
la crise écologique mondiale. Les
standards mondialisés tirent vers
le bas toutes les normes environ­
nementales et organisent le sac­
cage de la nature.

Peut­on penser la démondiali­
sation en s’abstenant de
réfléchir à la décroissance?
Pour moi, la mondialisation est
terminée. Si vous mettez bout à
bout l’explosion des inégalités, la
destruction des ressources natu­
relles, l’inquiétude mondiale sur
le dérèglement climatique, l’ap­
pauvrissement des classes
moyennes, la colonisation numé­
rique de notre économie par les
empires américains et chinois,
vous avez en résultante le néces­
saire rétrécissement du monde.
Et avec l’affirmation des Etats­
Unis qu’il faut restreindre les
échanges, c’est le retour inévita­
ble à la souveraineté économique
des Etats­nations.
Sur le plan environnemental, il
va falloir réduire les échanges,
puisque le transport de marchan­
dises émet presque 1 milliard de
tonnes de CO 2 par an! Mais les
échanges mondiaux ne sont pas
la croissance, car ce sont les
échanges locaux qui font la ro­
bustesse d’une économie. Nicolas
Hulot a raison : les traités de libre­
échange et l’écologie sont incom­
patibles. Pourtant, nous avons be­
soin de croissance, car dans un
monde en forte expansion démo­
graphique, la décroissance écono­
mique signifierait l’appauvrisse­
ment général. Nous avons besoin

d’un modèle dans lequel il y aura
des secteurs en décroissance forte
comme ceux qui produisent du
jetable et de l’obsolète, et des sec­
teurs durables et vertueux qui
devront croître très vite pour
remplacer ce monde que nous ne
voulons plus.

Un capitalisme vert est­il
possible?
Oui, tout à fait. On peut articuler
écologie et économie. L’entre­
prise est parfaitement capable de
remplir des missions de protec­
tion de la planète. Elle peut modi­
fier immédiatement ses prati­
ques, prendre des décisions et
changer considérablement la vie.
Beaucoup plus que la seule vo­
lonté politique exprimée média­
tiquement.
Il faut reconstruire un capita­
lisme équilibré, qui renoue une al­
liance entre le travail et le capital,
qui les rémunère équitablement.
C’est ce que l’on a fait dans Bleu
Blanc Ruche, et dans les entrepri­

ses à mission que je bâtis, aux an­
tipodes du capitalisme financier.

Donc on peut défendre l’indus­
trie française et un développe­
ment durable?
Parfaitement. Je parle d’un capi­
talisme coopératif. Entre la natio­
nalisation bureaucratique et la pri­
vatisation libérale, on pourrait
imaginer l’alliance public­privé
avec une participation citoyenne,
pour inventer une économie tri­
partite : les citoyens, le privé et
l’Etat. Le retour du protection­
nisme va rétrécir le monde, par un
rééquilibrage justifié, nécessaire,
après l’intégrisme religieux de la
mondialisation. Nous allons ima­
giner un monde où les peuples
vont reprendre le contrôle. D’où le
retour de la question de la souve­
raineté. Ce n’est pas un gros mot,
c’est une conquête de la Révolu­
tion française. Elle a été usurpée
par les rois, la noblesse, le clergé et
maintenant par la finance et les
traités bureaucratiques.

Jean­Luc Mélenchon a déjà
théorisé la question
de la souveraineté...
Comme tout citoyen ayant du
bon sens et qui s’intéresse au des­
tin collectif de notre société! Ce
qui fera l’avenir, c’est la reprise de
contrôle. Il faudra des décisions
fortes dans le domaine économi­
que contre les excès de l’écono­
mie de marché. C’est ça, le patrio­
tisme économique.

Faut­il une politique
d’intervention plus forte
de l’Etat, planifiée pour
de vraies mesures?
Les libéraux qui nous gouver­
nent privilégient l’écologie puni­
tive sur les gens qui ne peuvent se
défendre, tout en laissant les
puissances économiques conti­
nuer leur manège. Moi je la ré­
cuse. Si elle doit être, c’est à l’en­
contre des grands acteurs du sys­
tème économique qui ont une
responsabilité directe dans la des­
truction de la planète.

Cela veut dire qu’Emmanuel
Macron tient un double
discours en ratifiant ces traités
tout en se disant écologiste?
Emmanuel Macron a un talent
de metteur en scène dont on n’a
pas assez fait l’éloge... Parce que
défendre les traités de libre­
échange, qui autorisent les multi­
nationales à attaquer l’UE et ses
Etats membres qui interdiraient
les insecticides et les pesticides,
est totalement incompatible avec
l’esprit des lois écologiques dont
on prétend faire l’apologie.

Comment analysez­vous la mo­
bilisation des « gilets jaunes »
Ce mouvement est directement
lié à l’appauvrissement des classes
moyennes. En France, 40 % de
gens ont eu des pertes de revenus.
L’austérité qui a été menée, y com­
pris par le quinquennat précédent,
a été autant fiscale qu’écono­
mique. Ce mouvement est un pro­
cessus très profond, qui n’est pas
éteint. La population a payé la
facture de la crise alors qu’on lui
avait promis de l’en épargner.
Elle demande justice : moins de
prélèvements et des salaires en
hausse, un meilleur « pouvoir vi­
vre ». Les Français revendiquent
surtout le droit de reprendre le
contrôle puisqu’ils ont l’impres­
sion d’être dirigés par une oligar­
chie étroite selon des vues qui ne
sont pas les leurs.

La gauche est­elle capable
de porter le changement
que vous décrivez?
Je ne peux que l’espérer. Les
Français ont besoin d’une solu­
tion alternative au duopole em­
poisonné Macron­Le Pen.

Cette solution n’est­elle pas
encore incarnée?
Pour l’heure non, mais les idées
précèdent toujours les incarna­
tions. Elle surgira forcément.

Le monde politique français
est­il à la hauteur de ces in­
quiétudes?
On a tous raté quelque chose. La
société est très en avance par rap­
port aux bureaucraties publiques
et privées, aux gouvernements et
aux politiciens.

Vous avez fui la politique. Mais
ce que vous faites aujourd’hui
est­il plus efficace?
C’est différent. Créer des entre­
prises et des marques équitables
est beaucoup plus modeste, mais
c’est concret. La politique, ce sont
des propositions grandioses pour
des résultats trop souvent minus­
cules. J’ai toujours été un citoyen
engagé, passionné par les ques­
tions collectives. Pourquoi de­
vrais­je y renoncer? Quant à agir
politiquement, cette question
s’est éloignée de moi.
propos recueillis par
abel mestre et sylvia zappi

Un ex­membre du RN recyclé par l’extrême droite allemande


L’assistant au Parlement européen Guillaume Pradoura avait été exclu du parti d’extrême droite après la publication d’une photographie antisémite


L


es législatures passent,
mais les mêmes sempiter­
nelles polémiques collent à
l’extrême droite européenne.
Ainsi recroise­t­on à Bruxelles le
nom de Guillaume Pradoura,
l’ancien assistant parlementaire
de Nicolas Bay, suspendu puis ex­
clu par le Rassemblement natio­
nal en mai après l’exhumation
d’une photographie antisémite.
En ce début de neuvième légis­
lature au Parlement européen,
Guillaume Pradoura y a en effet
retrouvé un poste d’assistant par­
lementaire. Sur le site du Parle­
ment européen, on le découvre

reconverti auprès de Maximilian
Krah, député d’AfD. Donc auprès
du parti d’extrême droite alle­
mand allié du Rassemblement
national (RN) : les deux partis siè­
gent au sein du même groupe,
Identité et Démocratie, dans l’hé­
micycle européen.
Le 15 mai, soit onze jours avant
le scrutin européen, l’ex­députée
frontiste européenne Sophie
Montel, qui ne manque jamais
une occasion de cogner sur
le parti pour lequel elle a milité
trente ans, publiait ce message
sur Twitter, photographie à
l’appui : « Voilà donc l’assistant

de toujours de @NicolasBay_ :
Guillaume Pradoura, qui a des
amis du KKK et aime faire ce genre
de photo. Visiblement intouchable
puisqu’il est encore là... » Sur le cli­
ché en question, Guillaume Pra­
doura apparaît grimaçant, mi­
mant des doigts crochus et affu­
blé d’un chapeau noir de rabbin et
de fausses papillotes. Tout l’atti­
rail de la caricature antisémite.
« Monsieur Guillaume Pradoura
est immédiatement suspendu du
Rassemblement national et con­
voqué devant la commission des
conflits en vue de son exclusion »,
avait rapidement réagi le vice­

président du parti, Steeve Briois,
sur le même réseau social.
Seulement, la photographie
était déjà connue en interne,
selon le député européen pour
qui il travaillait alors, Nicolas
Bay. Ce dernier, membre du bu­
reau exécutif du parti lepéniste
et aujourd’hui vice­président du
groupe Identité et Démocratie,
évoquait une histoire datant de
« 2012 ou 2013 » et en minimisait
sa portée : « De l’humour de très
mauvais goût », mais « dans un
cadre privé ». « Ce n’est pas de
“l’ humour” et c’est tout sauf
drôle. C’est de l’antisémitisme »,

avait répliqué le rapporteur gé­
néral de l’Observatoire de la laï­
cité, Nicolas Cadène.

Profil plus que gênant
D’autant que Guillaume Pra­
doura n’en était pas à son coup
d’essai. En 2016, Mediapart révé­
lait déjà une partie de la corres­
pondance de celui qui était l’un
des colistiers de Marion Maré­
chal­Le Pen aux régionales de


  1. Ces échanges datant de
    2010 témoignaient d’une rela­
    tion très amicale entre un skin­
    head français, alors en cavale
    et proche du Ku Klux Klan, et


Guillaume Pradoura, qui l’avait
même aidé à trouver un point de
chute en Bulgarie et à éviter de
se faire « choper par la police ».
Interrogé par Mediapart, M. Pra­
doura était loin de nier, et
confiait même avoir « voulu
l’aider, dans une sorte de réflexe
paternaliste ».
Un profil plus que gênant pour
la stratégie de dédiabolisation de
Marine Le Pen, qui a donc fini par
être écarté du casting des nou­
veaux assistants RN... Mais pas de
ceux de ses plus proches alliés, et
voisins de bancs.
lucie soullier

A Paris,
le 3 septembre.
EDOUARD CAUPEIL
POUR « LE MONDE »

« L’entreprise
est parfaitement
capable
de remplir
des missions
de protection
de la planète »
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