Le Monde - 07.09.2019

(Barré) #1
Curieux bonhomme, il est vrai. Malgré les succès
professionnels, l’éditeur cherche encore sa placeàSaint-
Germain-des-Prés.Des parents sans le sou et un nom trop
souvent confondu avec celui d’un service postal suffisent à
vousfairedétesterlepetitmilieuparisien,cetobjetdudésir.
Aujourd’hui,ildittoujoursappartenir«aucamp des pauvres
humiliés».On lui fait remarquer que sa famille,son milieu
professionnel,seshabitudessontcellesd’unintellectuelpari-
sienbieninstallé,àquitoutréussit.L’unedesesdeuxfilles,
Anastasia,n’a-t-ellepaspubliéunessairemarquésurleblas-
phème,luipermettantdejouirdéjà,à29a ns,d’unepetiteaura
médiatique?VeronikaDorman,l’aînéedelafamille,nefut-
ellepaslacorrespondantedeLibérationenRussie?«Onreste
toujours métèque»,maintientColosimo.
Cemondequ’iladoredétesterl’apourtantconsacré,en2010.
EnpleincœurdesannéesSarkozy,ilestnomméàlat êtedu
Centre national du livre.Un poste de pouvoir,doublé d’un
véritable arrosoiràéditeurs,avec son budget de 30 millions
d’eurosparandesubventions.Sacandidatureaétésoutenue
pardeuxéminencesgrisesdupouvoir.CôtéMatignon,Jean
de Boishue, ex-pilier du RPR, un orthodoxe comme lui, a
glissésonnomàFrançoisFillon.CôtéÉlysée,l’ancienjourna-
liste d’extrême droite Patrick Buisson, devenu conseiller

Brésilcommel’avocatdespaysanssansterre,faitcirculer
unepétition:27frèresdénoncentl’intrusionparmieuxd’«une
droite perverse»et regrettent la présence de Jean-François
Colosimoaux50ansdutrèsconservateurhebdomadaireValeurs
actuelles,enoctobre2016.«Les signataires(...)sont vraiment
tristes de voir que le soutien apporté par les éditions du Cerfà
Valeursactuellesrompt avec toute cette tradition quiafait l’hon-
neur de l’ordre dominicain en France»,écrivent-ils.Ladirection
enterreralamissive,maisJean-FrançoisColosimosesaitdésor-
maissurveilléparsesactionnairesensoutane.

E

tre réduitau pedigree de sesauteurs
l’agaceprofondément.«Vous savez
quels sont mes titres de gloire dans
l’édition?nous demande le profes-
seurColosimo.Avoir été le premier en
France àpublier Alexandre
Bortchagovski, l’historien russe sovié-
tique auteur deL’Holocauste ina-
chevé,ou la traduction duTalmudd’Adin Steinsaltz.»La
religion,laRussie.Deuxpassionspourcetorthodoxedontle
cœuretlafoinaviguententredeuxrives,cellesdel’Occident
etdel’Orient.Pourcomprendrelebonhomme,ilfautrepartir
àlas ource.«C’est important, la chronologie»,insiste-t-il en
nousordonnantdenoter.Nousnotons.
Jean-FrançoisColosimoestnécatholiqueen1960,d’unemère
françaiseprovençaleetd’unpèrecalabrais.Ilgranditdansun
quartierpopulaired’Avignon,litbeaucoup,priebeaucoup,et
porte les cheveux longs.De cette jeunesse reste un amour
«pour la transcendance, la verticalité»,etunedentcontre
cesprêtresquivoulaient«àtout prix jouer de la guitare élec-
trique autour de l’autel»aprèsleconcileVaticanII.Lereste,
ill’apprendraauprèsd’unprofesseurrencontrésurlesbancs
delaSorbonne:lephilosophePierreBoutang.Unroyaliste,
ancien disciple de Charles Maurras,redevenu fréquentable
aprèsavoirprissesdistancesavecl’antisémitisme.Sonmaître
àpenser.Lejeune étudiant se sent malàl’aise àParis;il
chercheuneissue.Saconversionàl’orthodoxie,en1980,sera
sonchemindeDamas,saréponseà«unbesoin de radicalité».
Commencent alors plusieurs années de voyage,d’instituts
théologiques en monastères, du Mont-Athos, en Grèce, à
Sainte-Catherine, dans le Sinaï égyptien, pour finalement
atterriràNewYork,oùilsuit,en1988,unmasterofdivinity.
Là-bas,ilrencontresafutureépouse,uneparentedel’écrivain
russeAlexandreSoljenitsyne,convertiecommeluiàl’ortho-
doxie,par fidélitéàses origines.Elle est déjà mère de deux
enfants.Ilsenaurontdeuxautresensemble.
De retouràParis,Jean-François Colosimo se met en quête
d’un travail pour nourrir sa famille. Il guigne un poste de
«salarié».Presque uneinsulte dans la bouche de celui qui
s’étaitrêvémoine.«Laseule distinction avec la condition d’un
esclave antique, c’est que l’esclave, lui, aura du travail toute sa
vie»,maugréel’éditeur.Ildevient«mercenaire»,etgravitles
échelons.Stockàsesdébuts;Hachetteensuite,puisunetrêve
dedouzeanschezLattès.OdileJacob,unepetiteannée,avant
defilerauxÉditionsdeLaTableronde,qu’ilquittepourdiri-
ger les éditions du CNRS.Cultivé,travailleur,bon gestion-
naire...L’hommebrillemaisnelaissepasdebonssouvenirs
partout. Odile Jacob ne le supporte pas. DenisTillinac le
pousseàpartirdeLaTableronde.«Jemesuis rendu compte
qu’il n’était pas fait pour travailler sous l’autorité de quelqu’un,
racontecedernier.Un très curieux bonhomme.»

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Franck

Ferville/

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